Une boutique (d)éco fait souffler un vent nouveau sur le commerce namurois

Un commerce hybride a ouvert ses portes à Namur. Une boutique de déco marie des critères éthiques, écologiques et sociaux. En impliquant ses investisseurs.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Dans le centre de Namur, la Rue des Brasseurs reprend du poil de la bête. Certifiée « désertée » par la Région Wallonne, celle-ci incite les commerces à s’y installer, à coups d’aides financières, cherchant à dynamiser l’économie locale et durable. Depuis quelques mois, à côté du prolifique Manolo Madrid se sont installés des boutiques et petits commerces. C’est là précisément que Virginie Olivier et Sarah Genon ont ouvert « Sapristi », du nom de cette interjection « joliment désuète, à l’allure vintage, exprimant l’étonnement », explique Virginie Olivier. « Je l’entendais dans la bouche de ma grand-mère », poursuit la cofondatrice de la boutique. La devanture exprime en ce sens un « retour à des valeurs de base », un appel.

« C’est dire ‘bon sang ! Il est temps de faire quelque chose’. »
Virginie Olivier, co-fondatrice de Sapristi

Cette anthropologue de formation ayant travaillé dans le domaine de la santé mentale et de l’action sociale, assume le côté militant d’un espace commercial à l’objet… social.

Prendre le temps

Entre la slow fashion (on pense notamment, au bruxellois WeCo store, lire ci-dessous) et la slow food, vient se glisser le slow design. « Le mouvement existe. On revient à plus de simplicité, à plus d’humain, donnant plus d’espace au temps, et ce aussi dans le domaine de la décoration », commente Virginie Olivier, pour rendre plus intelligible la philosophie du lieu. En s’inscrivant dans un temps plus long, elle et Sarah Genon revendiquent le respect des créateurs, de leur production et de leurs conditions de travail. Qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs.

« On privilégie les artisans locaux, valorisons le patrimoine artisanal local et les circuits courts. »
Virginie Olivier, co-fondatrice de Sapristi

En y prêtant attention, on se rend effectivement compte que la boutique est remplie de créations d’artisans wallons et bruxellois. Certaines sont accompagnées de leur histoire : par qui l'objet a-t-il été réalisé, dans quelles circonstances, avec quelle démarche ? « On souhaite créer un lien entre le producteur et le consommateur et d'ainsi renforcer cette valeur de proximité », justifie Sarah Genon.

Les créneaux d’approvisionnement ne s’arrêtent pas aux frontières du Plat pays. « Nous travaillons avec des firmes européennes qui fabriquent dans des ateliers en Europe, où l’on peut plus facilement se fier aux engagements d’éthique de travail. Enfin, il y a des produits venus de pays du sud. Pour ceux-là, la firme doit apporter la garantie qu’elle s’inscrit dans une démarche de commerce équitable, ou qu’elle participe à des projets de développement socio-éducatif », complète Virginie Olivier.

Le travail avec des firmes qui délocalisent la production est compliqué par la difficulté de tracer les produits et les conditions dans lesquelles ils sont réalisés. En cas de doutes, ils sont évacués d’un éventuel partenariat. 

Ethique et écologique

« Cela a un impact évident sur le coût des objets… mais par ce biais, on essaie aussi de transmettre l’idée de privilégier la qualité et le respect de ceux qui produisent, plutôt que la quantité », plaident encore les entrepreneuses. Cet intérêt est aussi une manière de lutter contre la « surconsommation », l’épuisement des ressources et la pollution. Si la boutique se veut éthique, elle se dit aussi « éco-responsable »

Une carte d’identité du produit permet d’en connaître les caractéristiqes : impact sur l'environnement et informations sur le producteur.

Une carte d’identité du produit permet d’en connaître les caractéristiqes : impact sur l'environnement et informations sur le producteur.

« Nous cherchons des produits composés de matières premières eco-friendly : du bois issus de forêts certifiées, des tissus labélisés,… Qui soient issus de matériaux recyclés ou recyclables, d’origine locale, emballés proprement et traçables facilement ». En outre, on retrouve des produits issus de la récupération : des luminaires en bois, des fauteuils rénovés, des boucles d’oreilles dépareillées ou cassées à qui la créatrice a donné une seconde vie, revalorisant ce que l’on pensait juste bon à jeter,… Et même quelques éléments de seconde main, avec l’objectif de susciter un « autre regard sur les objets ». 

Et pour que l’achat se fasse consciemment, une carte d’identité du produit permet d’en connaître l’origine, la qualité des matériaux, l’attention donnée au recyclage, son emballage et la nature de la firme de production.

La difficulté, cependant, est de concilier le respect des critères éthiques et éco-responsables. « Certains produits sont fabriqués dans le respect des travailleurs… mais ils sont acheminés dans de la frigolite », soulève Sarah Genon.

Déco…opérative

A sa finalité sociale, les deux conceptrices on ajouté un modèle économique particulier : le magasin de décoration a le statut de coopérative. En quelques semaines, une septantaine de personnes sont montées à bord, investissant dans le projet namurois. « Il ne s’agit pas seulement d’une implication financière, précise Virginie Olivier, c’est un travail de collaboration. Les coopérateurs sont invités à donner leur avis, à faire part de leurs conseils, à apporter leur expertise. Nous les considérons comme des ressources ». « C’est extrêmement porteur. Nous nous sentons accompagnées, poussées », renchérit Sarah Genon, motivée par l’enthousiasme des personnes, proches pour la plupart, qui ont cru au projet.

Grâce à la «  Sowecsom » (Société Wallonne d’Économie Sociale Marchande), qui soutient les projets d’économie sociale et coopérative, les entrepreneuses ont pu compter sur une somme équivalente à celle apportée par les coopérateurs privés. La Région wallonne, en doublant la mise, donne ainsi un véritable coup de pouce aux projets d’économie sociale entrepris dans les domaines aussi variés que la construction, l’informatique, l’immobilier, l’environnement, le commerce équitable, la restauration, les services de proximité ou le secteur agroalimentaire, détaille la Sowecsom.

En travaillant avec des petits créateurs, Sarah et Virginie limitent les déchets. « C’est fait à la pièce, sans stock », parfois même sur mesure. « Le créateur peut s’adapter à la demande du client. En contrepartie, celui-ci doit se montrer flexible sur les délais de livraison », soulève Virginie Olivier. C’est un défi que les deux fondatrices posent à la société de l’immédiateté, disent-elles.

Un modèle hybride

A une démarche bien évidemment commerciale, elle associent un objet social. « Nous nous inscrivons dans l’économie sociale et solidaire », explique Virginie Olivier. Cette dimension se retrouve principalement dans le souhait de conscientiser les consommateurs à des achats responsables. « Il y a un manifeste besoin d’éducation », remarquent ces commerçantes d’un nouveau genre. Le commerce de proximité donne du temps à la discussion avec les clients, pense le duo féminin. C’est d’ailleurs avec cette envie de susciter l'interaction qu’elles ont pensé l’organisation et l’aménagement de leur boutique. «Nous voulons que les gens s’y sentent bien », commentent-elles.

Enfin, pour favoriser encore davantage l'échange, des ateliers "Do it yourself" sont régulièrement organisés. Sarah Genon y retrouve certains des ingrédients d’un passé professionnel pas si éloigné, celui de chargée de projets pédagogiques dans un musée. « Cela permet de prendre conscience, par la pratique, du travail qu'il y a dernière chaque objet », justifie Sarah Genon. Proximité avec le créateur qui vient animer l’atelier, production locale, attention sur les matériaux utilisés et les déchets produits ou réemployés, c’est enfin un moyen de « valoriser les compétences de chacun et d’en sortir avec un sentiment de fierté », conclut Sarah Genon.

Vidéo : Valentine Van Vyve

Photos : Valentine Van Vyve et Sapristi

À la mode de chez nous

Elles en ont parcouru, du chemin, depuis que Inspire les avait croisées. C'était il y a un an, lors du Declic Tour. Mélanie et Mathilde s'y étaient rencontrées et avaient alors décidé de lancer ensemble leur boutique de vêtements durables et éthiques. « Depuis lors, on a osé ! », commente Mélanie lorsque l'on revient avec elle sur ces derniers mois, qui ont vu éclore Wecostore.

Ceux-ci ont été parsemés de ventes éphémères et itinérantes afin de, mensuellement, « tester le produit, d'identifier les besoins et de comprendre comment y répondre au mieux ». Organisées dans des magasins qui incitent à la transition (Färm, TransiStore), ces ventes s'adressaient « à un public de convaincus », concède Mélanie. Mais aller à sa rencontre a permis aux deux jeunes fondatrices d'affiner leur offre... pour ensuite dépasser ce « milieu de niche ».

Si elles ont pu bénéficier pendant six mois de l'accompagnement de CoopCity, elles s'octroient actuellement les services de JobYourself afin de consolider leur initiative. Grâce à l'appel à projets « Auberge espagnole » du Hub, elles installeront par ailleurs un magasin fixe pendant trois mois, à Etterbeek.

Et dans un an ? Elles travaillent à l'aboutissement de leur coopérative. « Ce statut-là véhicule des valeurs qui nous parlent : celle du respect, de la durabilité, de la transparence et du partage », motive Mélanie. A l'instar des fondatrices de Sapristi, elle considère les coopérateurs comme des ressources, à même de questionner le projet et d'ainsi l'améliorer. Rendez-vous dans un an.