Changer le monde, donner du sens à son métier, avoir un impact social. Tels sont les idéaux des participants du Déclic Tour. Pour sa deuxième édition, ce road-trip entrepreneurial a emmené trente jeunes pousses en quête de sens à la rencontre d’entrepreneurs sociaux.
Une bouffée d’optimisme pour l’avenir de nos sociétés. Bien, mais et après… ?
Reportage
Lauranne Garitte
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Vendredi soir, 18h. Dans les ruelles pavées de Liège, c’est l’heure de l’afterwork. Seul un lieu semble faire exception : l’espace de coworking «La Forge» où l’ambiance est plutôt studieuse. Les trente participants du Déclic Tour, éparpillés çà et là, répètent leur pitch. Ce soir, ils présentent leur projet d’entrepreneuriat social qui a mûri durant une semaine.
Dans le reflet d’une vitre ou face à un mur, chacun est plongé dans sa bulle... «On est sur un petit nuage, témoignent quelques participantes à pieds nus, ça va être dur d’atterrir. On a vraiment créé un cocon tous ensemble.»
En guise de transition vers la réalité, la soirée de clôture est ouverte au public : des amis, des parents, un frère ou un cousin venus écouter et soutenir l’idée d’un proche.
Entre les rangs, une énergie intense circule. Un savant mélange de frénésie, d’excitation, de nostalgie, d’idéalisme et d’optimisme. Beaucoup d’optimisme.
Oser entreprendre ou oser être soi ?
Ces derniers ingrédients sont à la base du Déclic Tour, un voyage aux quatre coins de la Belgique durant huit jours, visant à inspirer et à amener des jeunes de 18 à 30 ans à passer à l'action pour mener à bien leur projet de création d’entreprise sociale.
Durant cette semaine, les participants rencontrent des entrepreneurs sociaux, participent à des ateliers pratiques et de réflexion. Ils sont accompagnés tout au long de ce processus par des coachs professionnels. Etape par étape, ils construisent leur idée d’entreprise et façonnent progressivement le métier rempli de sens dont ils rêvent.
«Via le Déclic Tour, explique Lucille Rieux, cofondatrice du projet, nous voulons prouver aux participants qu’oser entreprendre et oser être soi ne sont pas deux idées si opposées… »
«Concrètement, complète Mathilde Sokart, l’autre fondatrice, nous aidons les participants à définir un besoin sociétal qui n’est pas rempli, puis nous cherchons comment y répondre, tout en trouvant le modèle d’entreprise qui conviendrait le mieux.»
Ce road-trip emmène les graines d’entrepreneurs de Bruxelles à Liège en passant par la campagne namuroise. Il se morcelle en trois phases : inspiration, introspection et émergence.
Du changement pour un monde meilleur
Pour l’heure, la phase d’émergence touche à sa fin. Dans quelques secondes, les trente jeunes monteront sur scène pour dévoiler le projet à impact sociétal qui les occupera dans les mois à venir…
Julie, 32 ans et mère de trois enfants, est la première à «pitcher» devant l’assemblée. Sous les applaudissements chaleureux, elle se lève et se chuchote à elle-même, pour se donner du courage : «Allez,ça y est !» Cette infirmière pédiatrique spécialisée dans la diététique a décidé en dernière minute de participer au Déclic Tour : «J’avais envie de changement et d’apporter ma pierre à un monde meilleur», exprime-t-elle. L’idée de départ était vaste, trop vaste : concevoir un espace pour créer du lien à Louvain-la-Neuve. «Cette semaine m’a permis de faire naître une idée plus réalisable et plus concrète», témoigne-t-elle. Une idée qui rassemble ses valeurs, ses envies et ses besoins : des ateliers culinaires parents-enfants «pour ramener du sens dans la maison, recréer du lien entre les parents et leurs enfants, ainsi qu’entre les parents d’un même quartier.»
Et le déclic ? La jeune femme affirme l’avoir eu lors de la phase d’introspection. Plus précisément, à l’occasion d’un exercice (appelé «Ikigai») l’invitant à se poser quatre questions : «Pourquoi suis-je payée aujourd’hui ?»; «Dans quoi suis-je douée ?»; «Qu’est-ce que j’aime vraiment faire ?»; «De quoi le monde a-t-il besoin ?» Forcément, ça remet en question…
Entreprendre avec son cœur
Vingt-neuf autres participants se succèdent devant le public. Il y a notamment Catherine et son idée de week-end pour se reconnecter à la nature. Claire et Lucie qui veulent organiser des sessions de cinq jours pour aider les adolescents à réaliser leurs choix d’avenir plus consciemment. Hakim qui veut mettre en place des stages d’initiation aux arts de la scène (mime, clown, art du conte…). Katia qui compte lancer une coopérative d’avocats à finalité sociale. Samuel et son idée de plate-forme permettant d’accueillir des réfugiés dans sa colocation. Ou encore une autre Catherine qui lancera prochainement des ateliers Do It Yourself de cosmétiques et de produits ménagers écologiques... Autant d’idées constructives qui naissent grâce à l’énergie collective.
«Au Déclic, on a été bien plus loin que l’énergie collective, affirme cependant Raphaël, facilitateur du Tour. On a atteint l’alchimie du collectif avec des ingrédients variés tels que l’ébullition, le solo, le duo, les larmes, les rires, les cris, l’enthousiasme, le découragement, les joies, les étoiles dans le ciel, dans nos yeux et dans nos cœurs. On a d’ailleurs parlé et écouté avec nos cœurs. Et aujourd’hui, on est là pour entreprendre non pas pour se faire du fric, mais avec notre cœur.» Une définition parmi tant d’autres de l’entrepreneuriat social…
La force du collectif
Au-delà du cheminement personnel, ce road-trip entrepreneurial mène à des rencontres enrichissantes. Sans exception, tous les interlocuteurs interrogés se rejoignent sur ce point : «La force du Déclic, c’est de se sentir soutenus dans la concrétisation de notre projet, même après le Tour», souligne une participante.
Pour les organisatrices, c’est d’ailleurs le point fort de cette édition : «Il y a eu cette année un incroyable esprit de coopération. Cette force collective contribue à l’émergence de projets, non seulement grâce aux échanges mais aussi grâce à l’écoute des critiques des autres.»
Parfois, ces rencontres conduisent à un projet commun, comme ce fut le cas pour Mélanie et Mathilde qui ne se connaissaient pas au début du voyage, mais ont décidé, un jour avant la fin, de se lancer à deux. «Lors d’un débat sur l’environnement, on s’est rendu compte qu’on avait la même vision, le même rêve. On veut toutes les deux conscientiser l’acte d’achat», explique Mathilde.
De là est née une envie commune : rendre visibles et accessibles les alternatives attrayantes pour la consommation vestimentaire. «On a des profils complémentaires, tant d’un point de vue du caractère que professionnellement. Ce sera une première force !», ajoute Mélanie.
Et après
Les présentations s’achèvent. L’afterwork peut commencer avec un peu de retard. En toute convivialité, certains exposent leurs ultimes doutes aux coachs. D’autres se nourrissent encore des idées de leurs camarades. D’autres encore semblent plus confiants, remplis de certitudes. Tous semblent métamorphosés par cette expérience.
«Je suis exténuée, mais pleine d’énergie !», lance Julie sur le départ. «Je me sens soutenue. Aujourd’hui, j’ose me lancer parce que je sais que je serai suivie», souligne une autre.
Car l’aventure ne s’arrête pas là. Maintenant que des idées ont germé, l’ASBL Déclic en Perspectives assure un suivi. Durant trois mois, les futurs entrepreneurs peuvent participer à plusieurs demi-journées visant à mettre en place leur projet et à réaliser leurs premiers pas dans la création de leur entreprise sociale. Ils seront ensuite orientés vers des structures d’accompagnement existantes.
Sybille Mertens, invitée de la soirée et chargée de cours au Centre d’Economie Sociale de l’ULg le rappelle d’ailleurs : «Toutes ces idées sont très belles, mais il ne faut pas oublier de penser à la concrétisation. Derrière chaque projet, il faut notamment songer à un modèle économique.»
La soirée ne durera pas jusqu’au bout de la nuit. Le Déclic Tour a en effet mobilisé une sacrée dose d’énergie auprès de chacun des participants qui, après de longues étreintes, repartent vers leur réalité d’avant.
Demain, ils ne se lèveront pas du mauvais pied pour aller travailler, mais avec la certitude qu’ils peuvent changer le monde… à leur échelle.
Vidéos:
Gilles Toussaint
Photos:
Jean-Christophe Guillaume / Gilles Toussaint