Les perturbateurs endocriniens sont partout.
Comment s'en protéger ?

Les perturbateurs endocriniens sont partout.
Comment s'en protéger ?

Présents dans les cosmétiques, dans les aliments, dans l’air que nous respirons ou dans le matelas sur lequel nous dormons... Vous ne les voyez pas, et pourtant les perturbateurs endocriniens sont partout.
Les scientifiques continuent à mettre en garde contre leurs effets néfastes sur la santé et l’environnement. Ils avancent également quelques pistes pour réduire notre exposition à ces substances chimiques.

Reportage
Gaëlle Deleyto (St.) et Valentine Van Vyve

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L'usage de produits chimiques dans les ménages contribue autant que le trafic routier à la pollution de l'air des villes industrialisées. Voici la conclusion, aussi surprenante soit-elle, d'une récente étude réalisée par les scientifiques des universités du Colorado et de Berkeley en Californie pour le compte de la "National Oceanic and Atmospheric Administration" (NOAA), l'agence scientifique publique américaine qui étudie les océans et l'atmosphère.

Sprays vaporisant, produits de nettoyage, peintures, produits de beauté et de toilette seraient responsables de la moitié de ce qu'on appelle les "composants organiques volatils". "Les produits que l'on utilise ont un impact sur la pollution de l'air", conclut le Dr Biran Mc Donald. Et qui dit pollution de l'air dit aussi impact sur la santé humaine, principalement des voies respiratoires. Ce sont par ailleurs dans ces produits ménagers et cosmétiques que l'on retrouve quantité de substances chimiques considérées comme perturbateurs endocriniens (PE).

Les "PE" : qui sont-ils ? Quel danger représentent-ils ?

Corinne Charlier
Chef du service de toxicologie clinique, médico-légale, de l'environnement et en entreprise (CHU-Ulg)

« Des interférences sur un poste radio »

Les PE sont des substances chimiques qui affectent le système hormonal de manière négative. Elles "brouillent les informations entre nos cellules, comme les interférences sur un poste radio", explique le Professeur Barbara Demeneix. Ces substances, on les respire, les ingère et les absorbe par contact avec la peau. Elles agissent sur le métabolisme, le système neurologique et l'appareil reproductif et sexuel. On en dénombre à peu près 800 à ce jour, sans compter les effets dévastateurs des "mélanges", autrement plus toxiques encore. "La liste devrait continuer de s'allonger" , estime la toxicologue Corinne Charlier, à mesure des tests scientifiques et de l'arrivée de nouveaux produits chimiques sur le marché.

Le retour en force du crétinisme ?

"On assiste à une explosion des maladies non infectieuses", selon les termes utilisés par le Professeur Barbara Demeneix. Si les changements de style de vie sont à prendre en considération pour beaucoup, notamment pour l’obésité, l'environnement est davantage à incriminer dans les cas d'augmentation des troubles de l'attention et de l'autisme.
Et cela inquiète cette biologiste. Ces pathologies trouvent notamment leur source dans le dysfonctionnement de la glande thyroïdienne chez la femme enceinte. "La période de plus grande vulnérabilité s'étend de la période fœtale jusqu'aux premières années de la petite enfance. Aujourd'hui, il ne faut pas uniquement considérer le fait que chaque enfant qui naît est exposé à une centaine de produits chimiques, mais qu'il est conçu et se développe dedans. C'est affolant !", explique-t-elle. "Même très jeune, c'est impossible de trouver quelqu'un qui ne soit pas contaminé par quelque chose", appuie le Dr Corinne Charlier, chef du service de Toxicologie clinique du Centre hospitalier universitaire du Sart-Tilman.

143 000 produits chimiques sur le marché.

A l'exclusion des pesticides et les cosmétiques. Leur nombre a été multiplié par 300 en 50 ans.

Sommes-nous dès lors condamnés à donner naissance à des générations de moins en moins intelligentes ? Demain, à cause d'une infertilité croissante, serons-nous même encore capables d'assurer notre descendance ? "Les enjeux sont énormes. C'est une vraie question de santé publique, en plus du coût que ces pathologies engendrent", insiste le Dr Charlier.
Car ces substances qui miment nos hormones sont partout. "Dans les pesticides qui se retrouvent dans les aliments, les cosmétiques, certains plastiques et films alimentaires, les produits d'entretien et détergents, les retardateurs de flamme que l'on retrouve sur le mobilier, les carpettes, matelas et textiles..." La liste est longue et non exhaustive."On ne peut pas les éviter", déplorent les expertes consultées. Par contre, il est possible d'en limiter les effets...
Des petits gestes peuvent en effet faire de grandes différences. "Il faut changer nos habitudes", souligne Corinne Charlier. Parcourons les embûches et les pièges et tentons de voir quels comportements nous pouvons modifier...

Je vais au marché et j'achète...

La réunion avec votre chef s’est éternisée plus tard que prévu. Fatigué(e) de votre journée, il vous reste à peine quelques minutes pour faire un saut au supermarché pour le repas du soir. Vous vous ruez sur quelques produits, soyons honnêtes, sans regarder les étiquettes. C’est à ce moment précis que nous commettons la première erreur : ne pas savoir ce que l’on achète. Les experts insistent sur le fait qu’il faut non seulement prêter attention à ce que l’on met dans notre caddie, mais également s’alimenter autrement.

« La recette pour éviter au maximum ces substances indésirables, c’est de préparer le plus souvent possible ses plats soi-même avec des produits bio

Professeur Dr Corinne Charlier, chef de service toxicologie (CHU-ULg)

Rien de tel que des produits frais. Si on peut y retrouver des résidus de pesticides, les produits bio en contiennent bien moins que les autres. "Si on mangeait tout le temps bio, on diminuerait déjà très fortement notre exposition", juge le Dr Charlier, qui conseille également d’éviter les produits préemballés dans du plastique.

Si néanmoins vous n'avez pas privilégié le vrac, dès votre retour, vous pouvez prendre l’habitude de retirer les films alimentaires et autres plastiques accusés de contenir de nombreux produits chimiques dits "liposolubles" ou solubles dans les graisses.
Par exemple un fromage emballé a de fortes chances de contenir des perturbateurs endocriniens transmis par ce plastique. Autre ennemi de nos aliments, les récipients en plastique micro-ondables qui passent du congélateur au lave-vaisselle. "Ils libèrent petit à petit des produits chimiques à effet perturbateur endocrinien - comme les phtalates - dans l'aliment que vous mangerez. Vous allez donc vous contaminer par voie digestive", souligne le Pr Charlier.

L’iode, une solution ?

Les enfants et les femmes enceintes étant plus vulnérables, certaines recherches s’orientent vers l’iode comme piste de solution pour limiter les effets des perturbateurs endocriniens sur l’organisme, de la maman comme de l'enfant. Mais à ce jour, les avis divergent encore face à cette possibilité. Pour le Dr Corinne Charlier, cela ne résoud pas un mal qu'il "faut prendre à la racine en diminuant la contamination".
"En Belgique, il n'y a jamais de sel iodé sur la table des restaurants
. C'est atroce parce que c'est un moyen efficace"
, pense par contre Barbara Demeneix. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, 250 microgrammes d'iode par jour sont nécessaires pour toute femme enceinte et allaitante. Face à une déficience potentielle croissante, prendre 150 microgrammes d'iode par jour en supplément des vitamines conseillées lors de la grossesse serait susceptible de garantir que la femme enceinte et par extension, son fœtus aient suffisamment d’iode pour assurer le développement du cerveau fœtal.

Au contact de la peau

Intéressons-nous maintenant aux produits phares présents dans nos salles de bain : savons, crèmes de jour, déodorants, parfums ou encore mousses à raser. L’usage des cosmétiques est un réflexe du quotidien que nous ne soupçonnons pas toujours comme étant un danger potentiel pour notre santé. Pourtant, notre trousse de toilette regorge de perturbateurs endocriniens. Phtalates, nonylphénol, parabène, ou encore benzophenone-3… des mots à rallonge, souvent difficiles à retenir, mais qu’il faudrait dans l’idéal apprendre à repérer en scrutant les étiquettes et les labels dans les rayons. Heureusement pour le consommateur, certaines marques l’ont compris et affichent d’ores et déjà des mentions "sans parabène" - à prendre avec précaution.

La parade pour limiter le risque de contamination dermique est de réaliser soi-même ses cosmétiques.
Plus chronophage et véritable casse-tête pour les personnes actives.

Il existe néanmoins des moyens faciles pour s'épargner cette exposition. Une flopée de sites, de livres, d’ateliers, de brochures ou encore de conseillers en magasin peuvent en effet vous guider dans la préparation de produits "home made".

Autre conséquence méconnue des perturbateurs endocriniens: la transmission par contact avec le linge de maison et les vêtements. Certains contiennent ce que l’on appelle des retardateurs de flamme, des nonylphénols, ou encore des composés perfluorés. Au fil des ans, le contact avec la peau libère leur toxicité.
Il est donc conseillé de faire son shopping du côté de produits qui ne sont pas pré-traités et qui garantissent l’absence de substances nocives. Vous pouvez également troquer votre lessive habituelle contre des produits naturels ou des marques écolabellisées.

Dans l'air de nos maisons

Mais la chasse aux perturbateurs endocriniens ne s’arrête pas là. La menace la plus insoupçonnée se trouve en réalité sous nos yeux et au-dessus de nos têtes : nos maisons. Le foyer représente un vrai nid à retardateurs de flamme, en particulier les ignifuges bromés. Présents dans les poussières de maison que l’on inhale, dans l’ameublement, les ordinateurs, les téléphones, les rideaux, les moquettes, les peintures et les isolants, il est difficile d’éviter ces substances, mais pas impossible.
Le premier conseil de nos experts : éteignez vos appareils électroniques pendant la nuit et à la prochaine occasion de changer votre matelas, optez plutôt pour de la laine ou du bambou.

Aérer, aspirez, et nettoyez régulièrement à l’eau l’habitation pour éviter l’accumulation des poussières de maison.

Pour ce qui est du ménage, selon le Pr Demeneix, certains produits dits "d’entretien" relèveraient d’arguments purement marketing. "Pour nettoyer, utilisez du vinaigre blanc et du bicarbonate de soude, mais jamais des sprays désinfectants. Ils ne sont absolument pas nécessaires!"
L’utilisation des produits vaporisés serait non seulement inutile, mais également en partie responsable d’une contamination respiratoire importante.

Selon nos interlocutrices, on constate aujourd’hui une réelle prise de conscience qui doit encore à ce jour se poursuivre par des actions individuelles davantage répandues.

"Chacun a un poids en tant que consommateur. Si nous changeons nos habitudes de consommation, certains produits n’auront plus d’intérêt à être présents dans les rayons, et les industries suivront"

Professeur Corinne Charlier.

Et de renvoyer tout le monde à ses responsabilités : "On attend du politique qu'il se fasse moins influencer par les lobbies (lire ci-dessous) ; du citoyen, qu'il utilise son pouvoir d'achat comme moyen de pression ; et des scientifiques, qu'ils produisent une science indépendante et publient ce qu'ils constatent."

Photos : Olivier Papegnies - Reporters - Shutterstock
Vidéo : Gaëlle Deleyto

Mettre en place un cadre législatif clair

"La réponse est d'abord à trouver du côté politique", clament le Dr Corinne Charlier et le Professeur Barbara Demeneix. Au niveau européen, d'abord. "Pour protéger tout le monde, il est primordial de légiférer", martèle la seconde.
Poser un cadre législatif permettrait de "prendre le mal à la racine", pense également la première. Mais le dossier patine, ou n'avance qu'à "très petits pas". La faute à "la pression des lobbies de l'industrie chimique, qui font en sorte que la Commission européenne ne prenne pas une définition suffisamment claire des PE", analysent les deux spécialistes. "Ils entretiennent la manufacture du doute, comme c'était le cas lorsqu'il fallait juger de la nocivité du tabac."

Le Parlement européen et la Commission se renvoient le dossier depuis bientôt dix ans. Le Dr Corinne Charlier retrace le fil des événements : "En 2009, il est demandé à la Commission européenne d'établir une définition pour 2013. Cette année-là, la Commission s'appuie sur un rapport de l'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments, l'organisme européen actif en matière de sécurité alimentaire) selon lequel les PE ne constituent pas un problème"Le hic, c'est que "la moitié des personnes ayant participé à la rédaction de ce rapport avaient un conflit d'intérêt avec les industries qui vendent ces produits chimiques", relève ironiquement Corinne Charlier.

"En 2015, la France, le Danemark et la Suède ont déposé une plainte devant la Cour de Justice européenne pour forcer la Commission à donner une définition des perturbateurs endocriniens. Une définition qu'elle propose le 15 juin 2016... et qui est réfutée dans un premier temps par les trois plaignants". Elle sera pourtant avalisée un an plus tard, le 4 juillet 2017, la France se rangeant finalement du côté des autres États membres.

"En octobre dernier, le Parlement a remis en cause cette décision, à raison, parce que, selon celle-ci, on doit être capable de prouver le lien entre l'exposition au produit chimique et la maladie." Chose que le Professeur de l'ULg juge "extrêmement compliquée" chez l'homme : "Vous ne pouvez pas isoler 100 personnes dans un laboratoire pendant 20 ans et ne les exposer qu'à des perturbateurs endocriniens."

Fin 2017, un comité d'experts des 28 Etats membres s'est rallié à la majorité qualifiée à une proposition de définition légèrement remaniée par la Commission : "Le PE est une substance ou un mélange qui modifie la fonction du système endocrinien et en conséquence induit des effets adverses dans un organisme, sa descendance ou une sous -population." Le Conseil européen et le Parlement doivent encore donner leur feu vert à ce texte qui pourrait dès lors être d'application dans le courant de cette année.

En tout état de cause, aujourd'hui, comme "l'Union Européenne ne peut pas interdire quelque chose qu'elle n'a pas défini", on attend. Et "tant qu'on attend, on continue à mettre ces perturbateurs dans tout", ponctue le Pr Charlier.