Refresh, une assiette locale qui crée du lien social

Dans la commune d'Ixelles, la cantine de quartier Refresh ne désemplit pas.
Un projet solidaire qui est aussi un laboratoire social pour une meilleure résilience urbaine.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Depuis le seuil de l'étroite cuisine, Philippe observe. Sao enfourne des légumes. Patricia est aux fourneaux. Plusieurs assiettes dressées attendent d'être amenées en salle où Andreï s'assure avec enthousiasme que les clients attablés ne manquent de rien, avant de venir d'un pas hâtif chercher les deux salades composées. Philippe les saisit avant lui, donne plusieurs indications, vérifie que le tout est bon à être envoyé. « C'est un métier de la transmission », entame le chef. Chez Refresh, il est responsable des cuisines. Mais il enseigne, forme et encadre, aussi. Surtout.

Car cette « cantine de quartier » hébergée depuis trois ans au rez-de-chaussée d'une maison de maître bruxelloise est avant tout un outil au bénéfice de l'insertion socio-professionnelle. Elle forme actuellement quatre personnes, sous le statut « Article 60 », à la restauration. Une cinquième assiste Laurent Dennemont, directeur de l'établissement, dans le travail administratif.

Une cantine comme outil d'insertion

S'il a actuellement comme mission principale l'intégration socio-professionnelle via une activité de restauration, tel n'a pas toujours été le cas dans l'élaboration du projet Refresh. Et tel ne sera pas le cas à l'avenir. « Nous avions fait le constat d'un manque d'accès des publics précarisés à une alimentation durable et aux produits frais, à cause des prix trop élevés. Les colis alimentaires sont le plus souvent composés de conserves. Sur cette base, il avait été envisagé de créer des chaînes de récupération d'invendus alimentaires qui fourniraient un projet de restauration », se souvient Laurent Dennemont.

Inscrit dans la stratégie Good food de la Région bruxelloise, le projet s'est petit à petit transformé, laissant en marge ce volet pour se concentrer sur un outil fonctionnel au service de l'insertion. Et y intégrer progressivement d'autres pôles d'activités et missions. « Pour que ce projet fonctionne, il est essentiel que le restaurant fonctionne et que la clientèle réponde présente », soulève le directeur. La cantine est actuellement majoritairement fréquentée par un public de travailleurs mais entend développer, par le biais de différents incitants, la mixité sociale et l'accessibilité aux plus précarisés (lire par ailleurs).

L'impulsion des pouvoirs publics

Refresh puise aussi son originalité dans le fait qu'il a été initié par les autorités communales d'Ixelles, et que celles-ci mettent encore aujourd'hui le lieu à disposition du projet. Son directeur, détaché de l'administration, est ainsi rémunéré par la commune. « Ces partenariats sont essentiels. Le tout est de trouver la bonne relation pour que les autorités publiques soutiennent sans se l'approprier un projet porté par la société civile. Celle-ci a l'envie et le temps pour mener des projets qui font sens, pour un mieux vivre dans la cité », pense Laurent Dennemont.

« On a affaire à un public éloigné du monde du travail, explique encore notre interlocuteur. Sélectionnés par le CPAS, ils sont formés pendant une année voire deux » lors desquelles ils exercent un métier protégés par la « bulle que leur offre Refresh ».

« Le rythme est moins élevé et l'environnement de travail moins coercitif que dans une cuisine classique », estime Philippe. Cela s'avère nécessaire car « ayant été longtemps sans emploi, ils doivent réapprendre les bases : arriver à l'heure, prévenir d'une absence... », complète encore Laurent.

« Nous établissons un plan de formation, qui est certifiante. On la veut crédible sur le marché de l'emploi afin que ceux qui en bénéficient puissent trouver du travail lorsqu'ils en sortent ».  
Laurent Dennemont, directeur de Refresh

L'établissement reconnu comme « initiative locale de développement de l'emploi » sert de tremplin. A ce jour, l'équipe a déjà été renouvelée une fois (avec des destins divers à la sortie).

Une alimentation locale, saine et... engagée

« La satisfaction est grande d'envoyer un plat qu'ils ont préparé de A à Z », glisse Philippe alors que Andreï file en salle d'un pas déterminé. Les tables disponibles - une dizaine - sont rapidement prises d'assaut dès les douze coups de midi. Les trois salades qui composent le menu varient en fonction des produits fournis par les producteurs locaux, au gré des saisons. C'est là que réside le deuxième pôle du projet. « Dans un souci de cohérence, de la fourche à la fourchette, nous sommes engagés dans des projets de production urbaine pour les fruits et les légumes », explique le directeur.
100 pap, kel Bier, les bières sont « bruxelloises et engagées ». « Cet engagement est revendiqué », appuie Laurent Dennemont.

« On prône un modèle de société via notre consommation et les producteurs que nous choisissons: l'argent public nous permet de façonner la société que l'on veut mettre en avant ».
Laurent Dennemont

L'objectif est aussi celui de la « reconnexion des citoyens de la ville aux rythmes de la nature ». Si cela passe par de la nourriture locale et de qualité et des menus décidés en fonction de ce que cette nature a produit, le volet éducatif est jugé essentiel. Refresh a dès lors mis sur pied des outils pédagogiques visant à la sensibilisation à l'agriculture urbaine et à l'alimentation durable. Elle les met notamment en application dans le verger qu'elle a créé, auprès des écoles et des habitants du quartier.

Laboratoire social

Quel impact le lieu a-t-il a l'échelle du quartier, de la commune voire de la Région ? La question est posée par le directeur et coordinateur du projet Refresh. « Il doit être mesuré et augmenté autant que possible », répond-il dans la foulée. Pour ce faire, il se veut être un « lieu d'utilité publique », explique Laurent Dennemont. « Je considère que ce lieu est un bien commun. Quatre jours par semaine, de 8h30 à 16h30, il est dévolu à la cantine et donc à un projet d'insertion. Mais en dehors, il est possible le mettre à disposition et qu'il soit investi par des dynamiques et des collectifs différents ». Une sorte de « maison de l'innovation sociale » anticipe-t-il.

Incubateur, Refresh suscite la création de nouvelles filières économiques. Lieu d'accueil, il permet la réalisation de projets culturels valorisant autant la mixité sociale que l'économie circulaire. « Nous avons le souhait de nouer des partenariats et des synergies avec d'autres structures. Le microcosme du tissu associatif bruxellois est dense. »

De la théorie à la pratique, il n'y a qu'un pas ! Une serre, des bacs, quelques arbres fruitiers et un poulailler occupent le jardin. Si les fruits sont destinés au restaurant, le reste est géré par le collectif citoyen qui s'est mis en place en marge de Refresh.

« Nous avions envie que les habitants du quartier se réapproprient le lieu et qu'il favorise l'éclosion de dynamiques participatives et citoyennes ».
Laurent Dennemont

Et de constater que « la mise à disposition de cet espace a effectivement permis d'impulser des projets et, à travers eux, de développer des formes de citoyenneté active », se réjouit Laurent Dennemont. Il résume dès lors le lieu comme étant « une cantine de quartier solidaire, laboratoire social pour une meilleure résilience urbaine ».

Favoriser l'accès aux publics précarisés

Le souhait de s'adresser aux publics précarisés en fournissant une nourriture saine, locale et de qualité issue des chaînes de récupération alimentaire et cuisinée par des personnes en voie d'insertion s'est rapidement heurté au principe de réalité. Refresh a donc, pour asseoir des bases solides à son projet, favorisé la remise à l'emploi. « Le volet social, à savoir l'accessibilité du lieu aux publics fragilisés, est redevenu central », glisse toutefois Laurent Dennemont. « Ils ont cependant encore du mal à pousser la porte de Refresh, qualifié de bobo », constate-t-il.

Au-delà de la gratuité de l'eau - assez rare pour être soulignée -, plusieurs pistes d'action ont été envisagées et devraient être mises en place rapidement : « Nous souhaitons nouer des partenariats avec des structures dont c'est le public cible. Cela a déjà été fait avec le CPAS d'Etterbeek ou Singa ». Les plus précarisés y bénéficient d'un tarif avantageux. La deuxième piste est justement celle de « tarifs différenciés », en veillant, par là même, à ne pas « tomber dans le piège de la stigmatisation » de ce public.

La dimension collective est sans nul doute au cœur d'un projet qui tente de créer des solidarités. Ce faisant, c'est un « sens qu'il entend donner à la vie en ville ».

Vidéos : Valentine Van Vyve
Photos : Bernard Demoulin