Les animaux au chevet des malades
Les animaux ont-ils des bienfaits thérapeutiques sur les malades ?
Sur le plan purement scientifique, il est compliqué de le démontrer.
Les différentes pratiques de la zoothérapie se multiplient pourtant. Elles font endosser à ces chats et à ces chiens le rôle d’aide-soignant.
Reportage
Laurence Dardenne et Gilles Toussaint
Voilà plus d’un an maintenant que Misty et Luna, deux imposants chats Maine Coon, ont pris leurs quartiers dans l’aile droite de la Villa Samson, ouverte depuis le 1er décembre dernier sur le site de l’UZ Brussel à Jette. On leur avait alors rendu visite à l’instar d’Alissa, cinq ans, hospitalisée pour une intervention chirurgicale. L’espace d’un moment, la petite patiente avait pu quitter son lit pour venir se distraire et chercher un peu de réconfort auprès des félins qu’elle tentait, avec plus ou moins de succès, de câliner.
« Le fait de pouvoir sortir de la chambre d’hôpital et se retrouver ici, un peu comme à la maison avec des animaux, lui change les idées. Cela lui permet d’oublier un moment les soucis de santé. »
La maman d'Alissa,était alors clairement convaincue des bénéfices qu’allait procurer cette expérience à sa fille.
Depuis lors, près de mille patients (environ deux tiers d’enfants et adolescents et un tiers d’adultes) sont passés dans ce bâtiment ouvert aux animaux. Que ce soit les deux chats résidents plein temps – les plus demandés -, les chiens, petits Cavalier King Charles, qui accompagnent la zoothérapeute une fois par semaine ou alors, à la demande, les animaux domestiques des personnes hospitalisées.
La zoothérapie, c'est quoi ?
On distingue deux formes d’intervention en zoothérapie indique le Service d’Information sur les Études et les Professions (SIEP).
La thérapie assistée par l’animal est une thérapie individuelle qui permet de mettre au travail un comportement précis : anxiété, agressivité, repli sur soi, etc. L’intervenant analyse la demande et choisit avec le patient l’animal qui va les accompagner dans leur cheminement. Le contact avec l’animal va stimuler d’autres formes d’expression des difficultés et des potentialités du patient. Les zoothérapeutes qui exercent en TAA ont une formation de base dans le domaine psycho-médico-social : assistant social, ergothérapeute, éducateur, psychologue, infirmier, médecin, scientifique, etc.
Les activités assistées par l’animal, quant à elles, consistent en des activités de groupe telles que l’observation de l’animal, le nourrissage, les soins quotidiens, les jeux, etc. Ces activités sont proposées en fonction d’un programme personnalisé établi, suivi et évalué avec soin. Leur objectif global est l’épanouissement et l’amélioration de la qualité de vie des bénéficiaires. Les zoothérapeutes qui exercent en AAA ont une formation de base en tant qu’éducateur spécialisé, animateur, assistant social, etc.
Des bienfaits à plusieurs niveaux
Pour autant bien sûr que la pathologie du patient permette un contact avec les animaux et que le médecin traitant donne son aval, un moment avec ces compagnons à quatre pattes peut s’avérer bénéfique à plusieurs niveaux.
D’abord, un moment passé à la Villa Samson au contact avec un animal offre aux patients hospitalisés un moment de détente, de réconfort, de distraction hors de l’univers médicalisé, avec tous les bienfaits que cela peut représenter. Pouvoir, au cours d’une hospitalisation de longue durée, retrouver de temps à autre leur animal de compagnie laissé à la maison met du baume au cœur de patients qui en ont bien besoin.
L'animal est un aide-soignant,
pas un médicament
Psychologue et anthropologue, Véronique Servais enseigne à l'Université de Liège où elle dirige notamment un Certificat en médiation animale et relations à la nature.
Que sait-on précisément aujourd'hui des bienfaits apportés par les animaux dans certaines pratiques de soins ?
Sur le plan purement scientifique, il très compliqué de démontrer ce que l'on appelle les effets positifs ou les bienfaits thérapeutiques des animaux avec les procédures d'évaluation standard basées sur la démonstration par des preuves. Celle-ci repose sur le suivi de grandes cohortes de patients et sur des résultats statistiquement significatifs, en faisant appel à des groupes contrôle : un groupe de patients avec animal et un sans.
Dans ce cadre-là, il est assez difficile de mettre en évidence de façon incontestable les effets positifs de la zoothérapie. Les résultats sont vaguement significatifs ou peu significatifs. Ces effets ne sont pas facile à traduire en chiffres.
Ceci dit, quelques études basées sur la physiologie, le niveau de stress par exemple, ont montré que le rythme cardiaque est moins élevé chez les enfants qui doivent lire un texte quand un chien est présent. On voit que la présence de l'animal a des effets apaisants.
En ce qui concerne la tension artérielle, si on compare deux groupes de personnes qui sortent de l'hôpital, on observe moins de rechutes chez les gens qui ont eu des problèmes cardio-vasculaires et qui possèdent un animal que chez les autres. Mais est-ce le fait de posséder son animal ou d'aller le promener ? ... Établir un lien direct est toujours très difficile.
Un effet très général que l'on a observé, c'est celui de facilitateur social. La présence d'un animal contribue à briser la glace et à augmenter les interactions entre personnes présentes. A l'hôpital, cela peut contribuer à libérer la parole d'un patient vis-à-vis du personnel soignant. Il joue un rôle de tiers.
Pourquoi est-ce si difficile à démontrer?
Pour ma part, je pense que c'est parce que ces effets bénéfiques tiennent à une rencontre entre un humain et un animal. Ce n'est pas comme un médicament qui agirait de la même façon pour tout le monde. Il y a une question de relation, d’interaction. Or on a tendance à vouloir appliquer sur cela les schémas qu'on utilise pour les médicaments, la méthodologie est inadéquate dans ce cas.
Ici, les résultats dépendent beaucoup de ce que l'être humain va faire du potentiel offert par la présence de l'animal. Cela dépend beaucoup de la sensibilité humaine.
Dans quels domaines a-t-on recours à cette approche ?
Les pratiques se multiplient de plus en plus. Des hôpitaux et des structures de toutes sortes font appel à des animaux. Il y a des pratiques plutôt récréatives, comme celle consistant à amener un chien dans une maison de retraite. Cela permet d'apporter un peu de gaieté ou de faire faire des exercices aux résidents sans en avoir l'air, en lançant une balle par exemple.
Il y a ainsi toute une dimension de l'hippothérapie qui relève plutôt de la kiné. Pour faire des exercices, c'est quand même plus chouette d'être sur un cheval.
D'autres pratiques se basent plutôt sur la dimension relationnelle. Par le truchement de l'animal, on entre tout doucement en relation avec les personnes qui connaissent des problèmes d'introversion ou autres. Et progressivement, on peut essayer de déplacer cet échange vers les êtres humains. Avec des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, on voit des choses étonnantes. Des personnes qui n'ont plus parlé depuis longtemps qui peuvent prononcer quelques mots. La présence de l'animal contribue aussi à les apaiser énormément, à diminuer l'angoisse. Ce sont des patients très désorientés et l'animal donne un ancrage dans le réel qui peut vraiment être intéressant, même pour l'appréhension de l'espace et du temps. Au centre neuro-psychiatrique de Dave, il y a aussi eu une expérience avec deux chiens et des patients psychotiques.
Il existe également des chiens d'éveil pour aider les enfants autistes à entrer en contact avec leur environnement. Parfois, cela donne des résultats spectaculaire. D'autres fois, rien du tout.
Les animaux apportent un contact sensible qui est au-delà des mots. On est dans un mode de relation fondamental qui est plus difficile à mettre en œuvre avec les êtres humains parce qu'on est dans la convention sociale, on est reconnu dans telle ou telle case.
"L'animal, lui, s'en fiche que vous sentiez mauvais ou que vous soyez défiguré. Il n'a pas d'a priori et ça ouvre beaucoup de perspectives."
Un autre facteur important, c'est que souvent, le regard du staff d'encadrement change en voyant la personne agir avec l'animal. Ils se rendent compte que le patient est capable de certaines choses.
Les animaux sont aussi utilisés de façon préventive ?
Oui. Il y a notamment des chiens d'alerte. Ils sont dressés et grâce à leurs capacités sensorielles, ils sont capables de détecter la diminution du taux de glucose dans le sang de personnes diabétique, la survenue de crises d'épilepsie, certains cas de cancers aussi. Il y a pas mal de filières d'éducation qui se mettent en place, surtout en France.
Quelles sont les choses à ne pas faire ?
Ces pratiques sont très peu encadrées aujourd'hui. Les personnes que nous voyons se présenter au certificat sont souvent dans le cadre d'une réorientation. Ce sont en outre souvent des personnes qui ont elles-mêmes eu un animal qui a joué un rôle extrêmement important dans leur vie et qui les a aidés à surmonter des difficultés. Et elles veulent en faire profiter d'autres. Mais le risque est de croire que l'autre est comme elle, alors qu'il est forcément différent. Il y a donc un véritable risque de maltraitance de l'animal, mais aussi du patient à qui on va imposer un animal. Dans notre certificat, nous insistons sur le fait que les gens doivent par ailleurs avoir une formation dans un métier d'aide aux personnes (ergothérapeute, psy, éducateur, infirmier, assistant social...) et on va les former à intégrer un animal dans leur pratique. Pour les approches plus récréatives, comme les visites dans les homes, il faut qu’elle travaille avec un référent sur place, comme un kiné par exemple. Il faut aussi veiller à laisser sa liberté d'initiative à l'animal. Il ne fait pas n'importe quoi, il a sa propre vision des choses. Il faut donc le voir comme un collaborateur et suivre ce qu'il fait.
L'animal ne doit pas être utilisé comme un instrument pour faire sauter un symptôme. S'il fait du bien, c'est parce qu'il est vivant. Si on a des animaux « robotisés » c'est beaucoup moins intéressant. Autant utiliser de vrais robots.
La thérapie assistée par l’animal
Puis, il y a les séances de thérapie assistée par l’animal. Elles ont démontré leur efficacité que ce soit dans le traitement de la dépression, de l’autisme, des troubles psychiques, du comportement alimentaire… Ou alors comme auxiliaire de revalidation pour la mobilisation des patients.
Comme nous l’a expliqué Vicky De Baere, coordinatrice de la maison Samson, sur base des expériences vécues jusqu’ici, « pour les enfants et les adolescents hospitalisés dans le service psychiatrie, le contact avec les animaux permet souvent de diminuer leur anxiété. Lorsqu’ils sont en crise et que l’équipe médicale juge que c’est opportun, ils se rendent dans la Villa Samson pour retrouver un peu de sérénité. Pour d’autres, prendre soin des animaux leur donne confiance en eux. Les nourrir permet aux personnes souffrant d’anorexie d’accomplir des gestes très compliqués pour elles et cela participe donc au processus de rétablissement. »
« On constate que les chats et les chiens sont souvent les confidents des malades. Leur présence permet donc aussi de libérer la parole. »
« Ils leur disent des choses qu’ils n’expriment pas spécialement au médecin ou à la famille. C’est particulièrement intéressant à observer chez les personnes qui ont une maladie mentale. Nous projetons d’étudier plus à fond tous ces bienfaits de manière scientifique ».
©UZ Brussel - Christel-Wellens
©UZ Brussel - Christel-Wellens
Enfin, pour les personnes en soins palliatifs, pouvoir passer encore quelques moments avec leur compagnon adoré et lui dire un dernier au revoir est un cadeau précieux que leur offre la Villa Samson.
Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : UZ Brussel - Christel-Wellens