Acheter des produits durables et de qualité n'est pas forcément à la portée de toutes les bourses.
Pour démocratiser ce genre d'achat, le "supermarché participatif" Coopeco a vu le jour il y a un an dans la région de Charleroi. Et la formule rencontre un succès croissant.
Reportage
Gilles Toussaint
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Installée derrière une table de bureau qui fait office de comptoir, la caissière encode scrupuleusement le prix des produits que lui présente une dame. "2€85… Oh !" s'écrie-t-elle, après avoir visiblement effectué une fausse manœuvre. "Tu annules ici, puis tu réencodes là", lui explique posément la cliente, qui semble familiarisée à cet exercice. L'atmosphère est bon enfant, rappelant celle que l'on retrouvait autrefois dans les épiceries de quartier.
Il y a un peu plus d'un an que la coopérative Coopeco a pris ses quartiers, justement, dans ce petit bâtiment attenant aux anciens abattoirs de Marchienne-au-Pont pour y installer son "supermarché participatif". Le terme "supermarché" est sans doute un peu excessif en l'état, eu égard aux modestes dimensions des locaux, mais on y trouve déjà sur les étals un large assortiment des produits de base nécessaires à la vie quotidienne.
"Notre objectif est d'offrir de quoi se nourrir, se laver et entretenir sa maison à des prix abordables", précise Stephan Vincent, le coopérateur qui s'est dévoué pour nous recevoir.
"A la base, c'est une citoyenne engagée, Marie-Françoise Lecomte, qui a rêvé de ce projet, enchaîne-t-il. Nous sommes à Charleroi, dans une région où la situation socio-économique n'est pas nécessairement facile, et elle s'est dit : pourquoi les gens d'ici n'auraient-ils pas eux aussi le droit de bien manger, avec des aliments de qualité, bons pour la santé et qui sont produits dans le respect des producteurs et de l'environnement ?"
Un démarrage dans un garage...
La coopérative a démarré à la manière d'un classique "groupe d'achat commun". "On commandait des paniers de produits par mail et, une fois par semaine, on allait les retirer dans le garage d'un des coopérateurs", explique notre hôte. Un début à la Steve Jobs en quelque sorte...
De fil en aiguille, le groupe de participants s'est élargi, tout comme celui des fournisseurs. Tandis que le travail de préparation des commandes devenait lui aussi de plus en plus fastidieux, le garage s'est rapidement avéré trop étroit.
"On cherchait à créer un point de vente fixe et, en septembre 2016, nous avons eu l'opportunité d'ouvrir le magasin sur ce site qui nous convenait très bien (lire ci-dessous)", raconte Stephan Vincent. Un parcours progressif donc, durant lequel l'association de fait s'est structurée pour se muer en coopérative à finalité sociale.
Pour la rejoindre, il suffit de participer à l'une des réunions d'information, d'acheter au moins une part dont le montant s'élève à 25 euros et de s'engager à consacrer trois heures de son temps par mois au projet. C'est à cette condition que le coopérateur peut aussi devenir client du supermarché. Un investissement personnel qui peut prendre différentes formes: "Vous accueillir aujourd'hui, par exemple, fait partie de ces trois heures", illustre Stephan Vincent.
Du caddie au cageot, le parcours du coopérateur
"Coopeco est une coopérative fermée", explique Stephan Vincent. Entendez par là qu'une personne qui n'est pas membre ne peut pas faire ses courses dans le magasin de l'association. "Mais tout le monde peut bien sûr nous rejoindre, nous sommes toujours à la recherche de nouveaux membres", clarifie-t-il. Des réunions d'information sont d'ailleurs régulièrement organisées à cette fin.
Après avoir pris part à l'une de celles-ci, les candidats sont invités à s'acquitter d'un montant de 25 euros qui fait officiellement d'eux des coopérateurs. Ils seront ensuite appelés à se joindre à l'un des sept groupes qui assurent le bon fonctionnement de la structure. "Nous les appelons les caddies, explique notre guide.Chacun de ces groupes se concentre sur une thématique particulière : l'accueil et l'information des nouveaux membres; l'organisation d'événements liés à la communauté; la gestion du magasin à proprement parler; les finances; les valeurs comme l'élaboration des critères dans le choix de producteurs avec lesquels nous travaillons; un caddie techno qui planche notamment sur l'intégration d'un système informatique ou encore le caddie vert qui réfléchit à la gestion des déchets et la mise sur pied d'un tri sélectif."
Ceux-ci sont de plus subdivisés en "cageots", poursuit-il. "Le caddie magasin compte, par exemple, un cageot qui s'occupe du choix et de la prise de contact avec les fournisseurs et un autre pour le transport de certaines livraisons. Un autre gère les clefs qui donnent accès au supermarché..."
Chaque membre choisit de rejoindre l'un de ces groupes en fonction de ses compétences ou de ses aspirations. Et chaque caddie est encadré par un animateur et un coanimateur. Des duos qui se retrouvent une fois par mois pour un comité de pilotage où l'on coordonne les différents projets en cours et où l'on établit l'ordre du jour des assemblées générales.
C'est lors de ces AG, qui ont lieu plusieurs fois par an, que se prennent toutes les grandes décisions à la majorité simple, complète Stephan Vincent.
Le challenge du collectif
"On a commencé dans une pièce, puis on a ouvert une baie dans un mur pour s'étendre dans une autre et on a de nouveau un projet d'agrandissement", poursuit-il.
Ouvert deux jours par semaine (le vendredi et le samedi), le magasin a vu parallèlement son offre s'étoffer et intégrer des produits frais comme la viande et les légumes qui ne sont plus seulement disponibles sur commande.
Grâce à ce modèle, il peut proposer des prix abordables à ses coopérateurs-clients, sans pour autant que cela se fasse au détriment des producteurs. "Nous prenons une marge limitée à 15 % qui nous permet de dégager les ressources nécessaires au fonctionnement de la coopérative. Comme les gens participent à son fonctionnement, nous avons des coûts relativement limités."
S'il y a bien sûr des départs et des arrivées, Coopeco se développe de façon continue et compte actuellement près de 400 coopérateurs. Un succès qui impose aussi certains ajustements du mode de fonctionnement pour faire émerger des réponses concrètes aux nombreux débats qui animent la vie de la coopérative. "Il y a des vegans parmi les membres, donc la question se pose de savoir s'il faut proposer de la viande ou pas. Autre exemple : ne doit-on avoir que du bio? Mais dans ce cas, les prix des fruits peuvent devenir inabordables. Il faut arriver à des compromis. Le challenge, c'est d'intégrer tout le monde et que tout le monde joue le jeu."
Grandir, évoluer et collaborer
"Il y a des nouveaux coopérateurs qui arrivent toutes les semaines. Nous sommes très représentatifs de la société. Il y a des ouvriers, des employés, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des avocats, des médecins… Tous les profils. Et si l'on constate des moments d'essoufflement chez certaines personnes moteurs ou des phases de ralentissement, ce qui est normal, on sent que le projet est porté par une forme d'énergie collective qui fait qu'il continue à avancer. C'est assez indescriptible", se réjouit encore Stéphan Vincent.
Au bout d'un an, les résultats de cette aventure, qui contribue également à créer du lien, s'avèrent donc très satisfaisants. Un projet d'informatisation qui permettra de faciliter la gestion de la structure est en chantier avancé, ainsi qu'un projet d'étiquetage mentionnant les différents critères auxquels répondent les produits proposés.
Y aura-t-il une limite à ce développement ? A priori, non, répond le coopérateur, citant le modèle du "Park Slope Food Coop" qui regroupe aujourd'hui près de 17000 membres à New York.
Mais Coopeco n'en est évidemment pas encore là et réfléchit plus modestement à des collaborations avec d'autres projets du même genre qui se multiplient doucement dans notre pays, tels Beescoop, Hesbicoop, L'Epi ou encore Bloum.
"On est en train de voir comment nous pourrions nous organiser pour l'achat de certains produits comme des pâtes en Italie ou de l'huile d'olive en Grèce car ce n'est pas intéressant pour ces fournisseurs de faire venir de trop petites quantités. Ce sont tous ces échanges qui sont riches", conclut Stephan Vincent.
Photos : Olivier Papegnies - Collectif Huma
Vidéo : Gilles Toussaint