Utiliser les déchets d'une PME comme matière première pour une autre PME. Favoriser la réutilisation ou le recyclage plutôt que l'incinération. Réduire les transports inutiles... Tels sont les objectifs d'un projet-pilote d'économie circulaire mené dans un zoning de la région liégeoise.
Une expérience qui laisse entrevoir de belles perspectives malgré certains obstacles.
Reportage
Gilles Toussaint
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Clac ! Clac ! Clac !... Le crépitement de la cloueuse résonne dans le vaste hangar. Dissimulé derrière une pile de palettes, masque anti-poussière collé au nez, un ouvrier cloue, scie, trie… Mécaniquement, il tourne et retourne les plateaux de bois, enlève les morceaux abîmés et répare ce qui peut l'être. « En moyenne, on considère que la durée de vie d'une europalette (un support standardisé, certifié pour le transport de marchandises, NdlR) tourne aux alentours de dix chargements », nous explique Louis Dario, directeur de l'entreprise Logi-Bois.
Installée dans le zoning d'Awans, Logi-Bois emploie six personnes dont deux issues d'une société à finalité sociale (Servi+) également créée par M. Dario. Si le site est aussi utilisé pour des opérations de stockage et de logistique, l'essentiel de son activité consiste « à acheter, réparer et revendre des palettes », poursuit notre guide. « C'est extrêmement difficile de trouver de la matière première, des palettes usagées, pas tellement de les vendre », enchaîne-t-il, pointant du doigt la concurrence venue des pays de l'Est.
Dans ce contexte, l'expérience-pilote d'économie circulaire qui vient d'être menée pendant neuf mois dans le zoning avait tout pour l'intéresser.
Palettes, frigolites, papiers, films plastique, toners d'imprimantes, matériel informatique...
Depuis le 1er janvier 2017, la réglementation wallonne encadrant la gestion des déchets en entreprises s'est considérablement resserrée. Dorénavant, celles-ci ont l'obligation de procéder à la source au tri sélectif de leurs résidus, en fonction de certains seuils (pneus, huiles, déchets de photos, métaux, emballages, déchets électroniques, textiles, végétaux, bois...)
« Pour les grandes entreprises, on trouve des solutions assez facilement car il y a des flux avec des volumes assez importants », explique Fabrice Stevens, qui a coordonné la mise en œuvre du projet-pilote d'Awans. « Pour les PME, c'est plus compliqué, car il s'agit souvent de micro-quantités qui restent là sans débouchés. Pour les palettes, par exemple, il n'est pas rare de les voir abandonnées devant les magasins le soir, en comptant sur des particuliers pour les récupérer. »
Initié par le ministre wallon du Développement durable Carlo Di Antonio, en partenariat avec Inter-Environnement Wallonie, l'Union wallonne des entreprises et la commune d'Awans, le projet-pilote a permis de mettre en réseau différents acteurs présents sur le zoning ou dans son environnement proche. Des filières favorisant le réemploi plutôt que le recyclage ou l'incinération ont ainsi vu le jour pour les palettes, frigolites, papiers, films plastique, toners d'imprimantes et autre matériel informatique. Un panel qui ne demande qu'à s'agrandir.
De la récup' en circuit court
Initié par le ministre wallon du Développement durable Carlo Di Antonio, ce projet avait pour objectif de mettre en réseau les PME afin de mutualiser la gestion de leurs déchets et de favoriser leur recyclage ou leur réutilisation.
L'opportunité pour Logi-Bois de récupérer à proximité de ses locaux un peu de cette matière première qui lui est indispensable a convaincu Louis Dario de s'y associer.
Après six mois, le bilan qu'il en retire est cependant mitigé.
« Sur l'esprit, je suis convaincu. Sur la forme, non », explique-t-il.
« Trop d'entreprises impliquées ne jouent pas correctement le jeu et nous mettent dans la collecte des déchets de bois inutilisables que nous devons ensuite évacuer à nos frais. Cela plombe le bilan financier car, même si ce n'est pas loin, je dois payer le chauffeur qui fait le ramassage pour récupérer des petits volumes…»
Des améliorations sont donc indispensables, juge-t-il : élargir le nombre de participants et idéalement attirer l'un ou l'autre gros opérateur pour augmenter la ressource ; et mettre en place un système pour que les déchets bois indésirables ne lui reviennent pas ou alors moyennant une rétribution.
Un gain de temps et d'argent pour les PME
A l'autre bout de la chaîne, Maxime Rigaux nous reçoit dans un showroom qui donne envie d'être en été. L'administrateur de la société « Tahiti Piscine », juge de son côté l'expérience « très positive ». « Nous n'avons plus à nous soucier des palettes consignées. Auparavant, on devait rechercher chaque fournisseur et lui renvoyer. Avec ce système-ci, Logi-Bois vient les chercher et même si le forfait qu'il nous paie sur chaque palette est moins élevé que ce que me donnaient les fournisseurs, j'y gagne car je ne dois plus mobiliser un ouvrier pour s'en occuper. Et puis cela libère de la place.»
Lui a joué le jeu et aimerait à présent que le système soit étendu aux déchets de bois non consignés. « On a pour le moment un énorme stock qui ne sert à rien et que l'on amène une ou deux fois par an directement chez Sitta à nos frais », explique-t-il, alors qu'il a décidé d'élargir l'expérience à la filière mise en place pour récupérer les papiers et les cartons.
Trois questions à Didier Delmal
Coordinateur de l'Agence de développement local d'Awans
Quel bilan tirez-vous de cette expérience-pilote ?
Il est très positif. D'abord parce que des entreprises se sont fédérées autour d'un projet global. Ensuite pour l'image positive que nous en retirons. Et enfin pour ses résultats. C'est un vrai circuit court qui contribue à mettre en évidence des acteurs économiques locaux. Globalement, les retours des entreprises participantes ont aussi été très positifs. C'est une problématique qui les touche car cela touche à leur business : les déchets leur coûtent de l'argent.
Ici, nous sommes sur un tout petit zoning, mais d'autres entreprises de la commune ou de zones limitrophes ont pris contact avec M. Stevens pour mettre des choses en place. Cela confirme qu'il existe des besoins et des attentes.
Quel rôle a joué l'ADL ?
Celui de facilitateur. Nous avons apporté notre connaissance du terrain et nos contacts, mais nous n'avons pas les moyens de gérer nous-mêmes un projet de ce type. Nous savions qu'il y avait une demande de certaines sociétés qui ont des petits flux de déchets. Mais il faut avoir du temps pour les lister, les évaluer, voir quels collecteurs pourraient être intéressés et arriver à mettre les gens autour de la table, les relancer régulièrement … C'est un gros boulot.
Quelle est la clef du succès et comment améliorer encore les choses ?
La flexibilité. Il ne faut pas vouloir absolument travailler avec tout le monde et tout solutionner dès le départ, mais s'adapter aux possibilités offertes, sinon on ne démarre jamais. Nous sommes partis d'un petit réseau et on essaie de voir qui veut s'y joindre au fur et à mesure et comment élargir le champ en trouvant d'autres débouchés. Il faut identifier les entreprises qui peuvent tirer parti de ces déchets. Il y a toute une économie sous-jacente, mais cela demande un énorme investissement, surtout humain, pour la mettre en place.
Il faudrait une vision d'ensemble à l'échelle régionale pour travailler ensuite de manière décentralisée avec un « M. Economie circulaire » par zoning ou par zone pour voir les flux qui existent et qui pourraient être mutualisés.
Mais avant d'en arriver là, nous attendons une décision du gouvernement wallon pour nous aider à continuer ce que nous avons entamé. On est à un moment charnière, sinon les entreprises auront le sentiment que c'est un Xe projet qui ne dure pas.
Continuera ou continuera pas ?
« On en est encore qu'au début », reconnaît bien volontiers Fabrice Stevens, le chargé de mission de la Fédération Inter-Environnement Wallonie qui a coordonné la mise en œuvre du projet.
Alors qu'une quinzaine d'entreprises ont accepté de prendre part à la création de ce réseau vertueux, un gros travail d'éducation permanente s'avère indispensable. « Ce sont des PME avec des micro-flux. Il faut donc un suivi afin de répéter ce qui peut être repris ou pas. Et puis il est clair que pour chacune, la priorité est économique avant d'être environnementale. Il faut que chaque acteur s'y retrouve. »
Toute une série de partenaires potentiels commencent à sortir du bois et viennent avec des demandes, ajoute-t-il. « Dans la commune voisine de Villers-le-Bouillet, par exemple, il y a une entreprise qui se chauffe au bois et on va essayer de voir si on peut l'intégrer et lui fournissant les déchets de palettes non réparables. » Ce qui permettrait de répondre aux difficultés soulevées par le responsable de Logi-Bois.
Le hic, c'est que la pérennisation de cette expérience, arrivée à son terme en juin, est en suspens, le gouvernement wallon n'ayant pas encore décidé de sa prolongation, pourtant jugée nécessaire par les interlocuteurs que nous avons rencontrés.
Lever les obstacles administratifs
« Notre objectif, c'est de faire en sorte que nos déchets ne nous coûtent rien. Donc, en revendant nos palettes, en valorisant le carton, le film plastique étirable, la frigolite… on essaie d'arriver à une opération neutre », confirme Matthieu Lebailly, directeur d'Electro-dépôt.
Spécialisé dans la vente de produits électroménagers et multimédias, son magasin était déjà très engagé dans ce processus. Il a néanmoins décidé de s'associer à l'expérience-pilote car les principes proposés par celle-ci
« correspondent exactement à ce que nous essayons de faire en interne ». « Electro-dépôt a été un moteur », corrobore Fabrice Stevens.
Dans l'ensemble, les résultats se révèlent positifs, avance lui aussi M. Lebailly. Sa principale critique, s'il en faut une, concerne le prix des sacs dans lesquels sont placés les emballages en frigolite qui vont être recyclés par la Ressourcerie liégeoise et qu'il estime « un peu chers ».
Appréciant cette idée qui consiste à mutualiser le potentiel des entreprises « pour essayer de recycler un max », Matthieu Lebailly aurait même souhaité aller plus loin en permettant à d'autres PME d'utiliser la presse à carton (et à plastique) dont dispose son entreprise. « Cet équipement pourrait servir pour des partenariats sous une forme ou une autre, mais malheureusement, la loi ne nous permet pas de le faire. »
C'est effectivement une ilustration des obstacles administratifs à lever, confirme Fabrice Stevens, qui en avance une autre:
« Le centre de La Poste qui se trouve dans le zoning dispose d'un système de tri pour 27 fractions de déchets différentes. C'est comme un mini-parc à conteneurs. Nous aurions souhaité pouvoir en profiter dans la mesure où eux valorisent déjà certaines de ces matières. Mais on n'a pas pu le faire car ce site de La Poste n'est pas agréé comme centre de regroupement des déchets. »
L'émergence de l'économie circulaire, on le voit, nécessite encore la volonté d'écarter certaines oeillères.
Photos : Elodie Ledure
Vidéo : Christel Lerebourg