A Liège, un foyer pour une autre économie
Novacitis se lance dans la création d’un espace dévolu aux entreprises solidaires de Liège.
Un lieu qui sollicite la rencontre et l’échange.
L’initiative séduit de nombreux entrepreneurs locaux.
Reportage
Valentine Van Vyve et Antoine Vermeersch (St)
C’est dans l’ancienne menuiserie de la ville de Liège que le premier projet développé par Novacitis prendra ses quartiers. Deux bâtiments de briques aux hauts plafonds, de larges baies vitrées et des poutres apparentes offrent les vestiges d’un temps industriel passé. “On compte conserver du mobilier rigolo”, s’amuse Catherine Hansoul, cofondatrice de Novacitis.
À deux pas de la Place Saint-Lambert, la cour du site offre une vue imprenable sur la basilique Saint-Martin. Bientôt d’ailleurs, une liaison piétonne la traversera, opérant ainsi la jonction avec ce quartier et celui de Sainte-Marguerite, où s’est installé cet “espace d’entreprises solidaires” en devenir. À son image, ce quartier multiculturel est en plein effort de rénovation. Un “environnement favorable” dans lequel Novacitis compte “s’ancrer”.
Un lieu hybride et inclusif
La SCRL Novacitis a pris possession des lieux après avoir remporté un appel d’intérêt lancé par la Ville. Ce projet – en cours d’acquisition du permis d’urbanisme - est celui d’une “coopérative inscrite dans l’économie sociale et solidaire, développée par des acteurs locaux qui ont pignon sur rue”, résume Mme Hansoul. Lorsqu'ils ont pensé le projet, ceux-là nourrissaient l’envie commune de “répondre par ce biais aux défis environnementaux, économiques et sociaux actuels”.
©Christophe Smets/ La Boite à Images
©Christophe Smets/ La Boite à Images
Tous ne s’installeront pas dans l’espace d’entreprises. Mais huit organisations multisectorielles – “une richesse” – se sont d’ores et déjà engagées à faire vivre cet “écosystème entrepreneurial collectif” : La Ceinture Alimen-terre, Cociter, Credal, Febecoop, Imagine magazine, Le monde des possibles, le Réseau Financité et SAW-B.
“On travaille sur les nouveaux écosystèmes, en rassemblant différentes fonctions favorisant la connexion, la rencontre et la convivialité”, explique Mme Hansoul. L’activité se dessinera autour d’une esplanade dédiée à la restauration et à la vente de produits alimentaires locaux et de circuits courts. On retrouvera 1 000 m2 de bureaux, 1 700 m2 hors sol, jusqu’à 150 postes de travail fixes, des salles de réunion, des espaces de coworking et des salles “modulaires”, notamment pour l’organisation de formations. Un potager urbain à visées pédagogique et alimentaire sera installé sur le toit. Une attention sera portée sur la durabilité des matériaux, l’aspect environnemental et la mobilité douce. “La vie sur le site suscitera la proximité et l'émergence de nouvelles dynamiques”, anticipe Catherine Hansoul.
Si le lieu est hybride, le financement du projet l'est aussi. La coopérative fonctionne selon “un modèle alternatif inclusif”, détaille Mme Hansoul, et est financée par une centaine de coopérateurs (citoyens, organisations, institutions - la Région Wallonne via la Sowexom -, banques) qui s'y impliquent à “envergures variables”. “Ils sont propriétaires de la coopérative, elle-même étant propriétaire du bien, précise Fabrice Collignon, cofondateur. Cela crée de nouvelles formes d’acquisition. Elles sont pérennes puisque les coopérateurs peuvent transmettre des parts plutôt que des briques.”
Les locataires (coopératives, organisations et personnes physiques inscrites dans l’économie sociale et solidaire) ne sont quant à eux pas nécessairement coopérateurs, mais n’en sont pas moins des partenaires. “Notre mandat est de développer et de pérenniser un modèle au bénéfice des coopérateurs et des citoyens”, complète Mme Hansoul.
Un modèle dans lequel les bénéfices ne sont pas immédiats. “On investit dans le bien-être communautaire”, en assurant toutefois la viabilité du projet. “Les enjeux économiques sont énormes”, souligne M. Collignon. Novacitis s’engage ainsi à “créer de la valeur économique et sociétale”.
“Nous voulons remettre l’action économique à sa juste place : au service des gens, par une répartition des ressources et des richesses au bénéfice du bien commun.”
Des synergies et des ambitions
“Ce lieu permet la rencontre physique entre les acteurs. Il suscite l’échange. C’est stimulant et inspirant”, s’enthousiasme Luc Pire, fondateur du VentureLab, présent lors de la table ronde des entrepreneurs organisée dans le cadre des Journées Novacitis (lire ci-dessous).
“C’est un lieu créateur de synergies. Les acteurs ont envie d’aller plus loin ensemble.”
Chacun y bénéficie d’une large autonomie et choisit de s’impliquer dans les dynamiques collectives en fonction de son domaine d'expertise et de ses compétences.
L’ambition est claire: “Changer d’échelle et avoir un impact durable sur le citoyen, la ville et la société”.
S’il commencera par illustrer “les prémices de nouveaux modèles économiques”, ce lieu se rêve en futur “pôle de l’économie solidaire et durable à Liège”, capable de rayonner au-delà de ce périmètre.
“Une vitrine exceptionnelle”
Le projet de Novacitis est sur les rails : les travaux pourraient débuter mi-2020 pour une ouverture début 2022. Mais reste un obstacle majeur à surmonter : le financement. L’argent reste le nerf de la guerre, une réalité cruellement d’actualité, surtout pour une coopérative. Car pour redéployer l’ancienne menuiserie, il faudra rassembler les fonds suffisants. Et sur ce plan, il y a encore du chemin à parcourir : après avoir réussi à lever 370 000 euros, 130 000 euros de capital supplémentaires devront encore être trouvés d’ici fin 2019 et 300 000 de plus d’ici fin 2020. Pour un investissement total estimé à 3,3 millions d’euros.
Un appel à de nouveaux coopérateurs
Pour récolter cette somme considérable, Novacitis compte sur un financement citoyen et participatif. Fin août, à l’occasion des Rencontres Novacitis, une première phase d’appel à de nouveaux coopérateurs a été lancée. David Dewe pourrait devenir l’un d’eux. Ce citoyen liégeois qui se dit “soucieux de l’avenir” est venu prendre le pouls du projet, lors d’une rencontre organisée pour les entrepreneurs le jeudi 29 août. Investir ? C’est une possibilité. “Un projet comme celui-ci, local et durable, peut être un plus pour la ville”, estime-t-il. Renaud Hoyoux, lui-même cofondateur d’une coopérative, déplore qu’ “on ne pense pas assez aux coops” et invite à soutenir des initiatives comme celle de Novacitis : “Je suis conscient du manque de visibilité dont souffrent ces modèles. Il y a un manque de connaissance de la population, des préjugés. Les gens ont peur du côté ‘altermondialiste’”.
Entreprendre différemment
Luc Pire, fondateur de VentureLab, structure de soutien aux étudiants entrepreneurs de HEC Liège, s’enthousiasme pour ce lieu “qui fait la part belle à l’intelligence collective, favorise un autre type de gouvernance et de répartition des richesses. Une vitrine exceptionnelle pour un changement de dynamique économique”. Il constate d’ailleurs que “les jeunes veulent entreprendre différemment : ils pensent au respect des gens et de la planète, qu’ils mettent sur le même pied que le profit. C’est en adéquation avec ce projet qui s’inscrit dans une dynamique économique dont l’ambition est de sortir de l’entre-soi et d’impacter plus largement.” Pour cet homme d’affaires, il est important que “des entrepreneurs locaux s’impliquent”. Il prend l’exemple de l’ASBL Terre, qui aide les personnes en situation d’insertion à trouver leur place dans le monde du travail et qui emploie plus de 300 personnes : “C’est la preuve qu’un projet social et solidaire peut être de taille !”
Selon Salvatore Vetro, chargé de relations extérieures pour cette ASBL, “Novacitis est une belle opportunité, car on change d’échelle. On a une renommée et de l’expérience que l’on peut faire valoir pour booster ce projet. On veut s’inscrire dans cette dynamique, parce que c’est dans notre ADN, de nous engager pour l’économie solidaire”.
Pour favoriser l’émergence d’une économie “en transition”, les fondateurs de Novacitis proposent un service de consultance à ceux qui voudraient se lancer dans l’aventure d’une “entreprise solidaire”.
“On touche à tout ce qui constitue les besoins primaires : travail, logement, énergie, formation et services”, résume Catherine Hansoul. Le prochain projet sera celui d’un habitat participatif, un lieu de vie “où se créent des liens de proximité”. Si les murs n’ont pas encore été élevés, ils ont déjà pris forme dans l’esprit de ceux qui l’imaginent.
Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos: Christophe Smets/La Boite à Images