Des déracinés se taillent un avenir sur mesure avec HackYourFuture
Les entreprises sont en demande d’experts du développement web. Les réfugiés, eux, sont en recherche de travail. HackYourFuture fait se rejoindre les besoins des uns et des autres.
Reportage
Au-dessus de la gare centrale de Bruxelles, les locaux réaménagés de BeCentral font la part belle aux start-up technologiques. C’est dimanche et une dizaine d’enfants s’amusent à apprendre la langue du codage. S’enfonçant plus profondément dans ce dédale de couloirs, longeant des espaces de détente bordés de plantes, le chemin débouche sur une large porte blanche. Derrière celle-ci, ce sont les murmures d’une quinzaine d’étudiants studieux que l’on perçoit. La pièce sombre est éclairée par autant d’écrans d’ordinateurs.
Robbert circule entre les duos constitués pour le programme du jour. Le coach écoute, pose des questions, rebondit, encourage, laisse faire et guide. « J’aime être dans l’interaction, les faire participer », explique cet Anversois. Cela fait un an que ce spécialiste du développement web s’est mué en enseignant. Le dimanche, de 12 à 16 heures, il donne bénévolement cours à des étudiants immigrés dans le cadre du programme HackYourFuture, une « école qui forme gratuitement des personnes réfugiées à la programmation», résume Maïté Cluydts, la coordinatrice de l’antenne belge.
Afin de favoriser l’accessibilité à tous, qu’ils vivent dans des centres à Anvers ou en province du Luxembourg, l’école prend en charge les frais de déplacement de ses étudiants.
Un métier en pénurie
L’initiative, qui a vu le jour à Amsterdam puis à Copenhague et Malmö, est née d’un double constat : d’une part, la pénurie de développeurs dans un monde où tout à tendance à se digitaliser, la demande des entreprises suivant la même courbe croissante. D’autre part, la difficulté d’insertion professionnelle des réfugiés, due au manque de valorisation de leurs compétences ou d’un manque de formation.
« Ce métier a la particularité de pouvoir être appris par tous et de ne pas exiger une formation longue et théorique. Il s’apprend davantage par la pratique. »
Le programme qu’a mis en place HackYourFuture s’étend dès lors sur six mois seulement. Période durant laquelle les quinze étudiants d’une classe suivent quatre heures de cours par semaine. « Mais cela nécessite d’y consacrer vingt à vingt-cinq heures chez eux », insiste Saïd Tayebi, un autre enseignant. Au terme de la formation, on attend d’eux qu’ils deviennent des « full stack developpers ». Comprenez, qu’ils soient capables de mener des projets de codage pour des applications à utiliser quotidiennement. « On leur apprend à construire les fondations et à poser les briques, c’est le back-hand, poursuit la coordinatrice. Et puis de veiller à l’esthétique du bâtiment, à choisir une porte en bois ou non. C’est le front-hand », explique-t-elle en guise d’analogie.
Apprendre à apprendre
« La vie d’un développeur est faite de problèmes à résoudre ! », résume Maïté Cluydts. Tout le défi consiste donc à apprendre aux étudiants à déceler le bout par lequel les attaquer. On leur apprend à identifier une situation problématique, à décortiquer les problèmes et à les résoudre l’un après l’autre.
« C’est davantage une manière de penser et de réfléchir tournée vers la résolution de problèmes qui leur est inculquée plutôt que des connaissances théoriques à retenir. »
Wael, originaire de Lataquié en Syrie, venait d’obtenir son diplôme d’ingénieur informatique quand il a quitté le pays. Arrivé en Belgique en juillet dernier après un parcours migratoire d’une année, le jeune homme de 27 ans souhaite enrichir sa formation. « Combler les lacunes que j’ai en codage devrait me permettre d’intégrer un master en science informatique à l’ULB en septembre prochain », prévoit-il. Et, à terme, de travailler dans ce secteur. Zeinep s’imagine aussi exercer un métier dans le développement web. En Turquie, cette réfugiée politique était d’ailleurs professeur d’informatique. « Mais je n’en maîtrise pas tous les langages », précise-t-elle.
Au-delà de l’aspect technique, ce sont aussi des « compétences de vie que cette manière de réfléchir leur apporte », pense Robbert. « On travaille sur leur esprit critique », ajoute Maïté Cluydts.
Des bénévoles « nourris » par l'enseignement
« Il y a un côté nourrissant à enseigner », commente Robbert Segers. Lui qui avait un penchant pour l’exercice s’est donc lancé en même temps que l’école voyait le jour. « J’étais par ailleurs touché par le public auquel on s’adresse ». C’est un concours de circonstances qui a amené Saïd Tayebi chez HackYouFuture. « Étant issu de l’immigration, j’ai moi-même vécu les difficultés liées à l’insertion professionnelle et à la reconnaissance des diplômes. L’accès à la formation n’est pas simple, se souvient-il. Ma chance est d’avoir été aidé par plusieurs personnes. J’ai envie de rendre la pareille ».
Depuis un an, les deux hommes passent leurs dimanches dans les salles de classe de BeCentral aux côtés d’étudiants « qui ont une furieuse envie d’apprendre ».
Pour Saïd Tayebi , « c’est un défi de vulgariser ce que l'on maîtrise et de parvenir à le transmettre à des personnes qui n’ont dans bien des cas jamais touché au codage ». Cela demande de l’énergie, de l'implication personnelle, sur leur temps libre. Mais le jeu en vaut la chandelle, estiment-ils. « L’avantage d’avoir des professionnels de terrain comme profs, c’est aussi qu’ils nous ouvrent les portes de leur entreprise pour des stages », estime Wael, étudiant originaire de Syrie.
Après une année d’activité, ce sont une trentaine de coaches réguliers qui font désormais vivre le projet HackYourFuture en Belgique. « S’ils sont experts dans le domaine du développement web, ils n’ont pour autant pas tous une formation d’enseignant. Ce métier-là, ils l’apprennent sur le terrain», explique Maïté Cluydts. Un système de partage de bonnes pratiques a dès lors été mis en place pour faciliter l’exercice.
Vers l’intégration socioprofessionnelle
Selon HackYourFuture, la formation est le premier pas vers l’intégration socioprofessionnelle. Raison pour laquelle l’école met un point d’honneur à créer en son sein « un esprit de communauté ». Pour ce faire, l’étudiant est invité à investir le lieu afin de s’approprier au mieux sa formation. « Ils ne viennent pas chercher cela initialement mais cette solidarité se construit au fur et à mesure que ce programme intensif avance: tant dans les cours que dans l’implication dans la vie du groupe. La collaboration est un gage de réussite », ajoute la coordinatrice.
Huit modules de trois semaines sont à chaque fois assurés par un binôme de formateurs.
« Il nous importe de leur donner les outils pour qu’ils soient capables de trouver un emploi et de s’insérer dans le monde du travail en Belgique. »
HackYourFuture prétend « donner une formation crédible à faire valoir dans le monde du travail » et entend faire bénéficier ses étudiants de son réseau dans le secteur des nouvelles technologies et les assiste dans leurs recherches d’emploi ou de stage.
« Ce sont des personnes qui cherchent de la stabilité. Cela contraste avec les millenials et le ‘job shopping’. C’est un élément qui pèse dans la balance pour les recruteurs. »
Le certificat délivré à l’issue de la formation n’est cependant pas reconnu par les agences de mise à l’emploi Actiris et VDAB. Néanmoins, « ce n’est pas une nécessité absolue dans la mesure où c’est un métier pour lequel cela ne marche pas sur diplôme mais sur un savoir-faire de terrain », nuance Maïté Cluydts.
Robbert Segers donne cours à HackYourFuture depuis un an. "Nos étudiants ne trouveront pas tous le job de leurs rêves dans l'IT, mais ils auront appris des compétences de vie", croit-il.
Robbert Segers donne cours à HackYourFuture depuis un an. "Nos étudiants ne trouveront pas tous le job de leurs rêves dans l'IT, mais ils auront appris des compétences de vie", croit-il.
Après presqu’un an d’activité en Belgique, le programme a bénéficié à soixante étudiants. Actuellement, sur les deux classes de quinze étudiants ayant terminé le cursus, seize ont été diplômés et la plupart ont trouvé un emploi ou un stage à l’issue de la formation.
« Nous avons tout perdu. Ici, on nous donne la chance de nous reconstruire et de refaire notre vie. C’est inespéré », explique Zeinep, arrivée en Belgique en septembre dernier avec son mari et sa fille.
« Je ne veux pas être un poids pour ma société d’accueil. Trouver un emploi est donc essentiel pour être une citoyenne à part entière et me sentir appartenir à la communauté. »
La semaine, Zeinep s’occupe de sa fille et suit des cours de néerlandais. Les cours le dimanche, c'est donc pour elle une aubaine. Une nécéssité, même. « Nous avons choisi ce jour-là afin que la participation à ce cursus ne soit pas freinée par un travail, une formation en langue ou la charge familiale», explique Maïté Cluydts. Les femmes, déjà souvent éloignées de ce domaine d’activité, sont particulièrement concernées.
Peu fréquenté par la gent féminine, HackYourFuture a pourtant à cœur de les attirer dans son programme. L’école organise dès lors des classes d’initiation qui leur sont exclusivement réservées. Et cela semble fonctionner puisque « presque toutes celles qui y participent déposent leur candidature par la suite », se réjouit Maïté Cluydts. Désormais, les groupes sont composés d’autant de femmes que d’hommes.
Vidéo et photos : Valentine Van Vyve