Le patrimoine népalais est toujours en ruine

Les deux séismes qui ont frappé le pays himalayen il y a deux ans ont tué près de 9.000 personnes. Sur les 700 monuments historiques endommagés, seuls deux ont été reconstruits.

Son vaste bulbe arrondi, sa flèche dorée, ses paires d’yeux hypnotiques et ses drapeaux à prières colorés en ont fait l’un des monuments bouddhistes les plus connus de l’Himalaya. Le stupa de Bodnath, à Katmandou, est l’un des rares témoignages du patrimoine culturel népalais à avoir été restauré, deux après les tremblements de terre des 25 avril et 12 mai 2015. Sur les sept cents monuments historiques - temples, palais, musées, etc. - qui s’étaient effondrés, "peut-être dix, seulement, ont été reconstruits", indique Christian Manhart, le représentant de l’Unesco sur place.

Si la restauration de ce haut lieu de pèlerinage du bouddhisme tibétain a pu se faire si rapidement - au regard de la lenteur du processus de reconstruction au Népal -, c’est parce que la communauté monastique l’a prise en charge elle-même, grâce à l’apport de dons privés. Elle n’a pas attendu l’autorisation du département d’archéologie, ni demandé l’avis de l’Unesco, nous explique Christian Manhart. "Nous avons proposé nos conseils mais on ne nous a pas répondu." L’organisation onusienne aurait suggéré "un minimum d’intervention, le minimum nécessaire" : "réparer le parasol" par exemple, mais pas poser une structure de béton sur le dôme. À défaut d’avoir été associés à la restauration, "nous aurions aimé examiner la structure, parce que nous ne savons pas si elle n’est pas trop lourde" . Du coup, "on verra l’impact au prochain tremblement de terre…"

Une administration kafkaïenne

Katmandou le 2 mars 2017.
© Prakash Mathema / AFP

Les temples et autres monuments historiques font partie intégrante de la vie quotidienne du Népal où la foi - hindouiste et bouddhiste - reste extrêmement forte. Aussi beaucoup désespèrent-ils de la lenteur de la reconstruction et des techniques employées pour remettre ce patrimoine sur pied.

Durant les cérémonies de Bisket Jatra le 14 avril 2017.© Prakash Mathema \/ AFP

Durant les cérémonies de Bisket Jatra le 14 avril 2017.
© Prakash Mathema / AFP

Plusieurs raisons à cela. D’abord, on ne rebâtit pas un temple comme on édifie un bâtiment moderne en béton : chaque monument historique a ses propres spécificités, ses propres techniques de construction, sa propre histoire.

Ensuite, le processus d’autorisation se révèle particulièrement aléatoire dans un pays où, qui plus est, les querelles politiques sont légion. "Le département d’archéologie, dont on peut penser qu’il aurait été en charge de cela, n’a pas le pouvoir de donner le feu vert aux donateurs pour mener à bien leurs projets de restauration", témoigne Christian Manhart.

"Nous devons introduire notre demande au département d’archéologie, le département de l’archéologie doit interroger le ministre de la Culture, qui doit demander à l’autorité nationale de reconstruction, qui s’adresse à la commission nationale du plan et au ministère des Finances. Il n’y a pas de processus établi, à chaque fois c’est différent. Cela peut prendre six mois pour avoir une réponse, positive ou négative, et certains donateurs n’en reçoivent parfois aucune."

"Malheureusement, le gouvernement a déjà perdu des fonds à cause de cela."

Christian Manhart
Le moins cher, pas le meilleur

Le site de Hanumandhoka, sur Durbar Square à Katmandou, le 30 avril 2017.
© Sunil Sharma / Reporters

Enfin, les projets menés par le gouvernement népalais ne peuvent se faire sans passer par "un processus d’appel d’offres inadéquat". Un contrat de construction d’un montant supérieur à 4 500 euros doit, selon la loi, être attribué à l’entrepreneur le moins cher - une règle qui s’applique aussi bien pour les locaux administratifs que pour les temples anciens. Or, "l’offre la moins chère n’est bien sûr pas nécessairement la meilleure".

"Les autorités gouvernementales népalaises utilisent les offres les plus basses pour quelque chose que nous aimons et qui a de la valeur à nos yeux, quelque chose qui représente notre identité", déplore Sumana Shrestha, le porte-parole de "Rebuild Kasthamandap", une initiative locale qui vise à rebâtir ce monument emblématique qui "a donné son nom à Katmandou".

Kasthamandap.

Kasthamandap.

Deepak Shrestha, dont la famille est gardienne du temple Trailokya Mohan Narayan depuis des générations, a dû cadenasser les ruines pour empêcher les ouvriers chargés de la reconstruction d’y accéder. "Nous avions nos doutes sur les entrepreneurs mais cela s’est confirmé lorsqu’ils ont commencé à creuser les fondations n’importe comment, sans aucun respect pour la communauté et nos rites sacrés", a-t-il raconté à l’AFP.

Christian Manhart explique aussi avoir "récemment arrêté des travaux en cours", parce que les entrepreneurs n’utilisaient pas du mortier adéquat, parce qu’ils coulaient du béton, parce qu’ils faisaient travailler des enfants. A Swayambunath, "nous avons pris la décision qu’il fallait démolir ce qui avait déjà été reconstruit du temple Anantapura" pour défaut de construction. "S’il y a un séisme et que les fondations sont faibles, tout le temple s’effondrera, même si le reste des travaux a bien été fait", explique l’expert de l’Unesco.

Un moine népalais regarde à travers une vitre les cérémonies célébrant la naissance de Bouddha, le 10 mai 2017 à Swayambunath.© Prakash Mathema \/ AFP

Un moine népalais regarde à travers une vitre les cérémonies célébrant la naissance de Bouddha, le 10 mai 2017 à Swayambunath.
© Prakash Mathema / AFP

"Vous pouvez imaginer que les gens ne nous ont pas reçus de façon amicale. Ils étaient vraiment contrariés que l’Unesco vienne leur dire que ce qu’ils faisaient n’était pas approprié et qu’il fallait arrêter… Ce sont des décisions très difficiles à prendre mais, comme il s’agit d’un monument de patrimoine mondial, l’Unesco doit prendre cette décision."

Depuis, l’organisation forme les ouvriers aux techniques de restauration adéquates. "Je ne suis finalement pas mécontent que peu de reconstructions aient été réalisées pour le moment. Cela permettra au moins de les mener correctement."

Les communautés locales à la manœuvre

Sur Basantapur Durbar Square le 25 avril 2017, un site du patrimoine mondial de l'Unesco à Katmandou.
© Prakash Mathema / AFP

Birendra Bhakta Shrestha, 72 ans, tient à ce que cela soit fait dans les règles de l’art, lui aussi.

"Les habitants de Katmandou peuvent tout tolérer, mais pas qu’on s’attaque à leur héritage!"

Birendra Bhakta Shrestha (cité par l'AFP).

C’est lui qui a lancé la campagne locale pour la reconstruction de Kasthamandap, dont les fondations remontent au VIIe siècle et les piliers reposent sur des mandalas d’or, a découvert l’Unesco à la faveur du séisme.

"Pour assurer que le temple sera reconstruit correctement, nous organisons des ateliers, nous engageons des experts et nous demandons aux gens d’agir pour contrôler le travail", explique Sumana Shrestha. A quelque chose malheur est bon: la communauté locale veut se réapproprier Kasthamandap, non seulement son patrimoine physique, mais aussi son héritage intangible.

Sabine Verhest

Des élèves népalaises allument des bougies, à Bodnath le 25 avril 2017, en mémoire des victimes des séismes des 25 avril et 12 mai 2015.
© Niranjan Shrestha / AP