Palais de l'Afrique

Un lieu en voie de disparition

Avant l'ouverture des portes à 11h et l'arrivée massive des bus de visiteurs, les lieux sont d’un calme olympien. L’air est humide. Les quelques personnes qui s’agitent ont l’air de préparer une réception dans l’ancien Palais des Colonies, désormais occupé par un organisateur d’événements. Les jardins taillés au millimètre entourant les bâtisses du XIXe semblent figer un peu plus le paysage dans le passé. À l’arrière du Palais, où s'est tenue l’Exposition Universelle de 1897, est logée une partie des scientifiques. L’entrée est cachée des regards, au milieu des arbres.

Une statue de sphinx se dresse sur le bord du chemin et donne au lieu une empreinte mystique. Rien ne semble indiquer que cette petite porte en verre mène à l’une des unités de recherche scientifique les plus performantes d’Europe, voire du monde selon les domaines. À l’entrée, un dessin de poterie aux airs de chaudron magique illustre ce qui semble être la devise du département d’anthropologie culturelle, tout en faisant un clin d’oeil humoristique à l’univers du sorcier « Harry Potter ». Justement, le deuxième étage du bâtiment qui abrite le service « Patrimoine » est rempli du sol au plafond de ces fameuses poteries ethnographiques qui captivent le regard.

L’espace sombre dédié à la recherche archéologique, ethnologique et anthropologique s’éclaire soudain quand la voix guillerette d’Alexandre Livingstone retentit. Cet archéologue au nom étonnamment opportun mène ses recherches au musée de l’Afrique centrale depuis plus de vingt ans. Durant toutes ces années, il a eu le temps de voir la situation se dégrader, pour lui comme pour ses collègues. Féru de recherche de terrain en Afrique centrale et subsaharienne, il admet aujourd’hui passer une grande partie de son temps de travail à quémander des financements pour pouvoir mener ne serait-ce qu’un projet de recherche.

Ce travail administratif qui occupe 90% de son temps est, selon lui, indispensable pour pouvoir continuer à exister en tant que département de recherche scientifique, et surtout pour pouvoir continuer d’offrir aux autres chercheurs du temps et des moyens pour mener à bien les études. « Ça nous fait perdre un temps considérable. Le gros problème, c’est qu’aujourd’hui j’essaie moi-même de passer le plus clair de mon temps à chercher cet argent pour que mes collègues puissent continuer à avoir un travail. Sinon, ces gens-là, qui ont des connaissances et des compétences uniques au monde, vont soit partir au chômage soit disparaître, et leur savoir va les suivre. On ne peut pas voir un scientifique de ce calibre, qui a consacré sa vie à la recherche, jeter l’éponge et devenir banquier. Or, ça arrive tout le temps ! » Une forme d’abnégation que beaucoup de ces chercheurs sont désormais obligés de faire, au péril de leur carrière.

Suite aux départs consécutifs du personnel, le département repose désormais sur quatre personnes. Burn-out, non remplacement de départs à la retraite, ou même changement abrupt de carrière à cause du ras-le-bol généralisé des conditions de travail : les raisons du manque d'effectif sont diverses. Autant de champs d’expertise qui ont disparu avec les personnes qui s’en sont allées, rarement de leur plein gré. Ces départs ont transformé le département en « service Patrimoine », un nom fourre-tout qui fait office de cache-misère et rassemble les scientifiques encore présents pour faire vivre cette unité de recherche.

Les lieux accueillent désormais des chercheurs dont les projets sont également tombés à l’eau faute de financement. Dans ce grand laboratoire au style néo-classique, règne le même calme que dans les jardins du Palais. Nous sommes loin de l’image des instituts de recherche en ébullition prégnante dans l'inconscient collectif. Ici, les scientifiques sont démunis face aux coupes budgétaires et à ce qu’Alexandre Livingstone appelle « la mécanique de destruction du culturel et du scientifique ».

« Obligés d’être moins ambitieux »

Un étage en dessous, c’est le même constat qu’on déplore. Au département des sciences de la Terre, le chef de service spécialisé en risques naturels, François Kervyn, constate que les champs de recherches et d’expertises se réduisent. Pour contrer cette tendance persistante, son unique solution est de consolider et maintenir ce qu’il reste. Et c’est un défi au quotidien. « Je suis responsable d’une équipe, je ne peux pas me permettre d’être pessimiste envers mes collaborateurs. On met un point d’honneur à réaliser ce qu’on s’est engagés à faire, mais on est obligés d’être moins ambitieux. »

Le plan