Martin Schulz

Porté par sa popularité, le social-démocrate a semblé, un temps, être en mesure de battre la chancelière Merkel aux législatives du 24 septembre prochain.
L'ancien président du Parlement européen n'est cependant pas parvenu à prendre le pas sur sa rivale, qui a soigneusement évité l'affrontement.

Portrait
Olivier le Bussy

Que serait-il advenu de Martin Schulz s'il avait pu assouvir ses ambitions sportives ? Peut-être après avoir effectué la carrière de footballeur professionnel qu'il projetait – il en avait, dit-on, les dispositions – serait-il devenu entraîneur de son cher FC Cologne, au lieu d'être le candidat du Parti social-démocrate allemand (SPD) à la chancellerie.
On l'imagine sans peine bouillonnant chaque semaine sur le banc de touche, haranguant ses troupes, pestant contre l'arbitre, se prenant le bec avec le coach de l'autre équipe, exhortant les supporters du RheinEnergieStadion à donner de la voix.

Martin Schulz, avec son équipe du Rhenania Würselen, dont il était le prometteur arrière-gauche (2e à droite, à l'arrière). © www.martinschulz.de


Martin Schulz, avec son équipe du Rhenania Würselen, dont il était le prometteur arrière-gauche (2e à droite, à l'arrière). © www.martinschulz.de

Martin Schulz n'est jamais devenu joueur de football. Une vilaine blessure au genou a torpillé son rêve et manqué de l'envoyer par le fond.
Effondré, le Rhénan sombre dans l'alcool. ''A 20 ans, j'étais le jeune homme le plus déjanté de toute l'Allemagne. Le pire, c'était d'avoir chaque jour le sentiment d'avoir échoué", confessera-t-il plus tard, admettant avoir plusieurs fois songé au suicide.
Le jeune Schulz boit à en mourir, ou presque. En 1980, il sombre dans un coma éthylique. Il doit la vie à son frère, qui le retrouve alors qu'il erre entre la vie et la mort.
De ce sombre épisode, le candidat social-démocrate ne fait nul mystère, l'utilisant au contraire pour souligner sa force de caractère : "e n'ai rien à cacher. Les combats que j'ai eu à mener dans ma vie, je les aimenés, et souvent avec succès."

A 20 ans, j'étais le jeune homme le plus déjanté de toute l'Allemagne. Le pire, c'était d'avoir chaque jour le sentiment d'avoir échoué"

Martin Schulz

Remis d'aplomb, il prend l'engagement solennel, qu'il tient encore aujourd'hui, de ne plus jamais toucher à un verre d'alcool. C'est à la même époque qu'il commence à tenir un journal, dont il remplit une page quotidiennement, consignant ses pensées et observations, politiques et personnelles.
Sauvé des eaux, Martin Schulz doit désormais se reconstruire et se bâtir un avenir. Mais lequel ?
Ce fils d'un policier et d’une élue municipale chrétienne-démocrate, issu d'une famille de cinq enfants, né le 20 décembre 1955 dans le village d'Hehlrath (arrondissement d'Aix-la-Chapelle), ne dispose pas d'un lourd bagage académique - au contraire de sa rivale, Angela Merkel, titulaire d'un doctorat en chimie quantique.

Martin Schulz, sur les épaules de son grand frère, à droite.© www.martinschulz.de

Martin Schulz, sur les épaules de son grand frère, à droite.
© www.martinschulz.de

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Martin Schulz a pour sa part quitté son établissement catholique privé, le Heilig-Geist Gymnasium, sans avoir obtenu son Abitur, qui scelle les secondaires, échouant à deux reprises en terminale.
Les livres seront sa planche de salut. Ce passionné d'histoire et de littérature effectue une formation de libraire, travaille pour différentes librairies et maisons d'édition, avant d'ouvrir son propre magasin, en 1982, à Würselen.

Le jeune Martin Schulz, au centre. © https:\/\/martinschulz.de\/

Le jeune Martin Schulz, au centre. © https://martinschulz.de/

Européen par la géographie, l'histoire, la conviction et les langues

Parlement européen

La politique n'est pas encore une passion dévorante, mais elle attire celui qui a pris sa carte au SPD à l'âge de 19 ans,en 1974.
Dix ans plus tard, il devient membre du conseil communal de Würselen, dont il prend la tête en 1987. Il est alors, à 31 ans, le plus jeune bourgmestre de la République fédérale d'Allemagne.
C'est à la même époque qu'il épouse Inge, architecte paysagiste, avec laquelle il aura un garçon et une fille.

En 1987, à l'âge de 31 ans, Martin Schulz devient bourgmestre de Würselen, le plus jeune d'Allemagne. DR.

En 1987, à l'âge de 31 ans, Martin Schulz devient bourgmestre de Würselen, le plus jeune d'Allemagne. DR.

Avec son épouse Inge, à laquelle il est marié depuis trente ans. ©www.martinschulz.de

Avec son épouse Inge, à laquelle il est marié depuis trente ans. ©www.martinschulz.de

Martin Schulz est attaché à son fief, et à son Land de Rhénanie du Nord-Westphalie. C'est cependant sur la scène européenne qu'il va se faire un nom et bâtir sa carrière politique. Après un échec en 1989, il est élu pour la première fois au Parlement européen, au printemps 1994.

Son engagement européen est sincère. Il tient à l'histoire : Martin Schulz sait le prix que son pays a payé pour avoir engagé l'Europe dans deux conflits mondiaux. Il a des racines géographiques : l'Aqualien est un homme de (trois) frontières : les Pays-Bas sont à une dizaine de kilomètres de son domicile, la Belgique à une vingtaine.

 © LLB-Infographie

 © LLB-Infographie

De plus, le fait de n'avoir pas terminé ses études secondaires n'empêche pas Martin Schulz d'être un parfait polyglotte. Outre sa langue maternelle, ce francophile parle avec gourmandise un français châtié, s'exprime couramment en anglais, s'essaie avec succès à l'italien, se débrouille en néerlandais et comprend l'espagnol.
Strasbourg et Bruxelles seront ses véritables tremplins politiques. Il est réélu au Parlement européen en 1999, et devient, dès 2000, le chef de la délégation SPD au sein du Parti socialiste européen.
Pour le grand public, cependant, il n'est encore qu'un député européen parmi des centaines d'autres. En 2003, l'Italien Silvio Berlusconi, hôte du Parlement européen, en tant que président du Conseil européen, va lui offrir son quart d'heure warholien. L'Allemand, conseillé par ses collègues transalpins, titille le chef du gouvernement italien sur ses casseroles judiciaires. Sua Emittenza tombe à pieds joints dans le piège tendu. "Je sais qu’en Italie il y a un producteur qui est en train de monter un film sur les camps de concentration nazis : je vous proposerai pour le rôle de kapo. Vous êtes parfait !".
Coup double : Berlusconi est unanimement condamné pour son dérapage, Martin Schulz s'offre une notoriété internationale.

A nouveau réélu en 2004, il est nommé primus inter pares du groupe des socialistes européens.
Le poste lui apporte un surcroît de visibilité. Fort en gueule et charismatique, le barbu trapu dirige son groupe d'une main de fer, dans un gant de cordialité, sinon de jovialité. "Martin Schulz, c’est une combinaison assez extraordinaire : il peut être provocateur,dictatorial, exploser de colère, et en même temps, c’est quelqu’un d’une grande chaleur humaine », disait de lui en 2012 l'ex-eurodéputée socialiste belge Véronique De Keyser.

"Martin Schulz peut être provocateur, dictatorial, exploser de colère, et en même temps, c’est quelqu’un d’une grande chaleur humaine. Mais il garde le contrôle absolu sur les objectifs qu'il poursuit."

L'eurodéputée socialiste belge Véronique De Keyser, en 2012.

Sa forte personnalité peut renforcer la position de son camp, mais aussi provoquer des tensions et des conflits, dans et l'intérieur de son groupe. Il a ainsi des propos peu amènes pour ses collègues socialistes français, dont il dit : "Quand ils sont en haut, ils vous chient sur la gueule, et quand ils sont en bas ils vous bouffent dans la main".
En 2010, son homologue des Verts Daniel Cohn-Bendit lui assène par trois fois un sonore "Ta gueule, Martin !", en pleine séance plénière, exaspéré que l'Allemand parasite son intervention.

Ce bouillant tempérament et ce côté bulldozer ne doivent pas occulter le fait que Martin Schulz est un redoutable animal politique, "qui garde le contrôle absolu sur les objectifs qu’il poursuit", glisse Véronique De Keyser.
En effet, l'homme peut monter aussi vite que le lait sur lef eu, mais c'est aussi un calculateur madré. Pendant cinq ans, Martin Schulz s'est posé en farouche contempteur de la Commission européenne dirigée par José Manuel Barroso.
En 2009, à l'heure où le Parlement européen doit se prononcer sur la reconduction du Portugais à la tête de l'exécutif européen, l'Allemand met une sourdine à ses critiques. Faute d’accord interne (et d’alternative) de son groupe sur la question, certes. Mais aussi pour ne pas griller l’accord politique avec le Parti populaire européen (PPE, droite et centre-droit, le parti de M. Barroso) qui lui offrait sur un plateau la présidence du Parlement pour la seconde partie de la législature 2009-2014.

Martin Schulz et le président de la Commission, José Manuel Barroso, au Parlement européen, en 2014. © AFP

Martin Schulz et le président de la Commission, José Manuel Barroso, au Parlement européen, en 2014. © AFP

En vertu de cet accord, il accède à la présidence du Parlement européen, en janvier 2012, à la suite du place conservateur polonais Jerzy Buzek, après avoir recueilli 380 voix sur 670 exprimées. Un score respectable, mais pas non plus un plébiscite. ''Il est clair que de ne pas avoir été trop poli pendant sept ans et demi avec les autres groupes et d’avoir tapé sur tout le monde n’était pas la meilleure clé pour la popularité. Je ne m’attendais pas à ce que tout le monde vote pour moi mais je suis comme je suis et j’ai toujours défendu la dignité de ma fonction d’eurodéputé et de président du groupe socialiste. Je continuerai à parler sans ambages en veillant à ce que tout le monde me comprenne. S’il doit y avoir de la bagarre, elle aura lieu dans la dignité', commente-t-il.

''Il est clair que de ne pas avoir été trop poli pendant sept ans et demi avec les autres groupes et d’avoir tapé sur tout le monde n’était pas la meilleure clé pour la popularité."

Martin Schulz, commentant le score de son élection à la tête du Parlement européen, en janvier 2012.
Monsieur Parlement européen

© European Broadcasting Service

Le traité de Lisbonne, qui augmente considérablement les pouvoirs du Parlement, est en vigueur depuis deux ans.
Martin Schulz joue à présent dans la cour des grands. Il est invité à exprimer la position du Parlement devant les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union, à l'entame des sommets européens. Il multiplie les initiatives pour accroître la visibilité de l'institution qu'il préside, non sans succès, bataille pour que le Conseil (les Etats membres), ne tienne pas les eurodéputés pour quantité négligeable. "Il trouvait scandaleux que le Parlement soit insuffisamment entendu , alors que c'est la seule institution dont tous les membres sont directement élus", témoigne un membre de son cabinet.
Ainsi fait-il des pieds et des mains pour accompagner les présidents du Conseil européen et de la Commission, Van Rompuy et Barroso, à Oslo, pour recevoir le prix Nobel de la Paix attribué à l'Union européenne, en décembre 2012.

Les présidents du Conseil européen, de la Commission et du Parlement européen, Herman Van Rompuy, José Manuel Barroso et Martin Schulz reçoivent le prix Nobel de la Paix au nom de l'Union européenne, le 10 décembre 2012, à Oslo. Copyright Commission européenne.

Les présidents du Conseil européen, de la Commission et du Parlement européen, Herman Van Rompuy, José Manuel Barroso et Martin Schulz reçoivent le prix Nobel de la Paix au nom de l'Union européenne, le 10 décembre 2012, à Oslo. Copyright Commission européenne.

Martin Schulz, entre la chancelière allemande Merkel et la Première ministre Theresa May, lors du sommet européen, le 15 décembre 2016, à Bruxelles. AP Photo\/Geert Vanden Wijngaert

Martin Schulz, entre la chancelière allemande Merkel et la Première ministre Theresa May, lors du sommet européen, le 15 décembre 2016, à Bruxelles. AP Photo/Geert Vanden Wijngaert

Le Rhénan s'investit pleinement dans une fonction avec laquelle il fait corps. "Il bossait comme un malade", ajoute la même source.
Quand il n'est pas au Parlement, il est entre deux avions, deux trains ou deux trajets en voiture. Il donne un visage à cette institution, finalement assez méconnue. A vrai dire, il est fait pour le job. "C'est un bon communicant, il parle facilement plusieurs langues, il est sympa, et il a le talent de toujours trouver une histoire ou une anecdote opportune'', complète la même interlocutrice.

"Il trouvait scandaleux que le Parlement soit insuffisamment entendu , alors que c'est la seule institution dont tous les membres sont directement élus"

Un membre de son cabinet

Au sein de son cabinet, le président Schulz s'est entouré d'une garde rapprochée à forte coloration allemande, ce qui lui sera reproché. Ses troupes doivent suivre le rythme qu'il imprime : "Ce n'est pas un mec facile. Il faut être au top tout le temps. Mais c'est aussi quelqu'un de très généreux, d'attentif et de très fin".

Les uns le louent pour son action. Les autres, dont l'eurodéputé belge Philippe Lamberts, coprésident des Verts, se montrent plus critiques, estimant que l'Allemand use de sa position pour faire son autopromotion. "Schulz travaille surtout pour Schulz. Il se sert du Parlement européen pour être sur la photo", grince l'Ecolo. Le Belge pointe notamment que Martin Schulz, après avoir tempêté contre les Etats membres, n'a pas mené jusqu'au bout le combat pour un budget européen 2014-2020 plus ambitieux, quand même bien le Parlement européen en avait le pouvoir.

"Schulz travaille surtout pour Schulz. Il se sert du Parlement européen pour être sur la photo"

Philippe Lambert, coprésident du groupe des Verts au Parlement européen.

Martin Schulz goûte à son rôle de président du Parlement européen. Il n'empêche que l'ancien libraire a déjà une autre idée derrière la tête.

Si ce n'est la présidence de la Commission,
ce sera, encore, celle du Parlement européen

Le Grec Alexis Tsipras, l'Allemande Ska Keller, Martin Schulz, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker et le Belge Guy Verhofstadt, lors d'un débat entre les candidats des partis politiques européens pour la présidence de la Commission, lors de la campagne de élections européennes de 2014. © Parlement européen

Le Parlement européen a réussi à imposer aux Etats membres le principe des Spitzkandidaten pour les élections européennes 2014. A savoir que chacun des partis politiques européens présentera son candidat à la présidence de la Commission européenne.
Martin Schulz n'est pas pour rien dans cette évolution. Sa désignation comme tête de liste virtuelle dela famille socialiste européenne va de soi. Pendant des mois, il mène campagne,avec l'espoir de l'emporter face à son principal rival, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, porte-étendard du PPE.
Le Parti populaire européenne constitue d'ailleurs pour Martin Schulz une cible de choix. La famille politique de droite et de centre-droit tient la plupart des manettes, tant dans les institutions de l'Union qu'au sein des gouvernements européens.
Aussi le social-démocrate s'échine-t-il à le présenter comme étant responsable des politiques d'austérité en Europe, visant plus particulièrement la chancelière allemande Angela Merkel.
Au soir du 25 mai 2014, l'Allemand doit déchanter : les socialistes, sociaux-démocrates et autres travaillistes ont recueilli le plus de voix dans l'Union, lors des élections européennes, mais sont devancés par le PPE au nombre de sièges. C'est donc à Jean-Claude Juncker qu'est promis le bureau au 13e étage du Berlaymont.

Martin Schulz ravale son amertume et rebondit, une seconde nature, chez lui. Il noue avec le PPE ­ une "grande coalition"», ainsi appelée en référence à l'alliance entre les chrétiens-démocrates CDU/CSU et le SPD en Allemagne.
Cette alliance lui garantit de prolonger sa présence à la tête du Parlement européen, durant la première moitié de la législature. Il devient, dans l'histoire de l'institution, le premier président promis àoccuper le poste pendant une demi-décennie (deux fois deux ans et demi). Au moins, car au fil du temps, il envisage, plus ou moins secrètement pouvoirs'ancrer au perchoir jusqu'en 2019.

Rivaux lors des européennes de 2014, Jean-Claude Juncker et Martin Schulz sont devenus de solides alliés. ©Alexey Vivitsky\/Reporters

Rivaux lors des européennes de 2014, Jean-Claude Juncker et Martin Schulz sont devenus de solides alliés. ©Alexey Vivitsky/Reporters

En retour, Martin Schulz fera en sorte que le Parlement européen, dominé par la "grande coalition" collabore étroitement - ou ne se montre pas trop offensif, selon le point de vue où l'on se place - envers la Commission.
Il entretient d'ailleurs avec son ancien rival Juncker une relation de confiance, teintée de franche camaraderie. Les deux hommes sont de la même génération, ils ont tous deux un caractère entier et, s'ils ne sont pas d'accord sur tout, partagent la même vision européenne.
Sous "Schulz II", le Parlement européen, colégislateur de l'Union sur quasi toutes les politiques européennes, ronge un peu son frein, la Commission Juncker ayant décidé d'alléger l'agenda législatif.
C'est donc surtout sur les droits de l'homme et la défense des valeurs fondamentales que l'on entend le président Schulz. Lequel monte au créneau contre les eurodéputés d'extrême droite, les dérives autocratiques en Hongrie, en Pologne - non sans inviter les chefs de gouvernement de ces pays à venir s'expliquer devant les eurodéputés - la Turquie ou le régime saoudien.
Pour asseoir la réputation internationale du Parlement, il se plaît à accueillir dans l'hémicycle des invités de prestige, tel le pape François.

Martin Schulz au perchoir du Parlement européen, lors de la visite du pape François à Strasbourg, le 25 novembre 2014.© Andrew Medichini\/AP

Martin Schulz au perchoir du Parlement européen, lors de la visite du pape François à Strasbourg, le 25 novembre 2014.
© Andrew Medichini/AP

La méthode Schulz, et ses manies manœuvrières, commencent cependant à agacer, jusque dans les rangs socialistes. Il lui est ainsi reproché d'avoir changé les règles du jeu pour avoir évité au controversé commissaire européen Oettinger (un chrétien-démocrate allemand) un vote en plénière sur son changement de portefeuille, afin de ne pas embarrasser son ami Jean-Claude, ni Angela Merkel (grande coalition oblige).
On le tance, lui, le président d'une assemblée parlementaire, le chantre de la lutte contre l'austérité, quand, au plus fort de la crise grecque, à l'été 2015, il dit espérer la fin de ''l'ère Syriza'' et se dit favorable à l'installation d'un gouvernement de technocrates à Athènes.
On se moque de son obsession des spot-lights, quand il s'improvise médiateur dans la crise belgo-europeo-wallonne sur l'accord commercial avec le Canada (Ceta), alors que le Parlement européen n'est aucunement impliqué dans la procédure, à ce stade.

Martin Schulz accueille le ministre-président wallon Paul Magnette au Parlement européen, lors de la crise sur l'accord commercial UE-Canada, le 22 octobre 2016. © Nicolas Maeterlinck\/Belga

Martin Schulz accueille le ministre-président wallon Paul Magnette au Parlement européen, lors de la crise sur l'accord commercial UE-Canada, le 22 octobre 2016.
© Nicolas Maeterlinck/Belga

Bref, à force d'être partout, tout le temps, Martin Schulz commence à lasser. A-t-il fini par imaginer qu'il incarnait, seul, le Parlement européen ?
"Martin Schulz a accompli un travail phénoménal. Il a contribué à l’accroissement du pouvoir et du prestigedu Parlement européen, notamment vis-à-vis du Conseil", défend l'Italien Gianni Pittella, son successeur à la tête du groupe des eurodéputés socialistes, en décembre 2016.
La déclaration a valeur d'hommage "posthume". Quelques semaines plus tôt, l'Allemand s'est résigné à la perspective de ne pas effectuer un troisième mandat de président, le PPE réclamant le poste, en vertu de l'accord conclu en début de législature.

"C'est émouvant quitter le Parlement européen après vingt-deux ans et demi de présence. C’est un sentiment étrange. Mon épouse et mes enfants étaient ici hier . Quand je suis venu pour la première fois, en juin 2004, mon fils avait huit ans et ma fille en avait cinq. Aujourd’hui, ils sont adultes."

Martin Schulz, dans un entretien accordé à plusieurs médias européens, dont "La Libre",, le 17 janvier 2017.

"J’ai participé aujourd’hui à ma dernière conférence des présidents (de groupes politiques). J’en étais le membre le plus ancien. C’était assez émouvant", confie Martin Schulz lors d'un entretien de sortie accordé à plusieurs médias européens, dont ''La Libre", lors de son interview de sortie. " Mais ça l’est plus encore de quitter le Parlement européen après vingt-deux ans et demi de présence. C’est un sentiment étrange. Mon épouse et mes enfants étaient ici hier . Quand je suis venu pour la première fois, en juin 2004, mon fils avait huit ans et ma fille en avait cinq. Aujourd’hui, ils sont adultes. Mais pour éviter que ce soit trop émotionnel, je pense au principe de la démocratie : les mandats sont limités dans le temps. Et c’est une bonne chose."

A l'assaut de Berlin

L'Allemand fait contre mauvaise fortune bon cœur, mais la fin de sa carrière de député européen est un déchirement. ''Le Parlement européen, c'était sa vie'', rappelle une collaboratrice. Avec quoi va-t-il combler le vide ?
On lui prête l'intention d'être nommé tête de liste des sociaux-démocrates pour les législatives allemandes de 2017. Il reste évasif quand on aborde le sujet, assurant qu'il n'entreprendra rien contre le chef de file du SPD (et vice-chancelier), Sigmar Gabriel, "un de (mes) meilleurs amis''.
La voie s'ouvre devant Martin Schulz lorsque le même Sigmar Gabriel décide de s'effacer, conscient qu'il ne fera pas le poids dans un duel face à Angela Merkel, mais aussi que le frais retraité du Parlement européen est bien plus populaire que lui.
Le 19 mars 2017, ce dernier est élu leader et champion du SPD sur un score nord-coréen : 100 % des voix.
Fait rarissime, sinon inédit : un élu ayant fait toute sa carrière ''à l'Europe'' décide d'investir la politique nationale.

"Je ne reviendrai pas sur la méthode. Ce qui est fait est fait. Le plus important, c’est qu’on voit que Schulz a vraiment envie du pouvoir."

L'ancien chancelier social-démocrate Gehrard Schröder, commentant la façon dont Martin Schulz s'est imposé comme chef de file du SPD.

La campagne débute comme dans un rêve. Dans un premier temps, le SPD talonne, et même dépasse légèrement, la CDU d'Angela Merkel. L'effet Schulz joue à plein.
Son activité à la tête du Parlement européen a nourri sa notoriété, mais dans le même temps, son image politique en Allemagne est sans tache, puisqu'il n'a pas participé à la grande coalition CDU/SPD, et n'a même jamais exercé aucune fonction politique nationale, ni même régionale – quand bien même il est membre du bureau du SPD depuis 1999.

Au début de la campagne, Martin Schulz surfe sur sa cote de popularité.© Thomas Kienzle\/AFP

Au début de la campagne, Martin Schulz surfe sur sa cote de popularité.
© Thomas Kienzle/AFP

Le bilan économique d'Angela Merkel étant pour ainsi dire inattaquable Martin Schulz met la barre à gauche – ce qui ne manque pas de piquant, pour quelqu'un qui a toujours incarné l'aile droite du groupe socialiste au Parlement européen. Mauvais calcul.

Désemparé, face à Merkel qui refuse le combat

Angela Merkel et Martin Schulz, lors de l'unique débat télévisé de la campagne, le 3 septembre 2017. © John Mc Dougall/AFP

Le SPD se ramasse lors des élections régionales en Sarre, dans le Land de Schleswig-Holstein et, plus grave, en Rhénanie du Nord-Westphalie, sur les terres de Martin Schulz.
Le social-démocrate, qui a fait de la combativité une arme politique se retrouve démuni face à Angela Merkel. Le pit-bull d'Aix-la-Chapelle est condamné à boxer dans le vide, son adversaire étant d'une habileté sans pareille quand il s'agit d'éviter l'affrontement.
Quitte à désarmer son challenger en reprenant ses idées. "Je ne signerai pas d’accord de coalition dans lequel le mariage pour tous ne figure pas", avait déclaré Martin Schulz. Quelque temps après, la chancelière déclare qu'elle est favorable à ce que les députés chrétiens-démocrates puissent voter en leur âme et conscience sur la question. Non sans préciser, une fois le mariage pour tous adopté, qu'elle a personnellement voté contre.
Puisque la chancelière a décidé de jouer sur son image rassurante, plutôt que sur son programme, Martin Schulz en est réduit à l'attaque ad hominem. Il lui reproche, en juin de "taire de façon systématique les débats quant à l’avenir du pays", qualifiant cette attitude "d’attaque contre la démocratie".
L'offensive, outrancière, vaut à Martin Schulz sont lot de critiques, et glisse sur la cuirasse d'Angela Merkel. La chancelière prend le large dans les sondages, tandis que le Rhénan piétine à 25 % des intentions de vote.

"(Angela Merkel tait) de façon systématique les débats quant à l’avenir du pays. (...) Dans les cercles berlinois, on appelle ça de la “démobilisation asymétrique”. Moi, j’appelle cela un affront à la démocratie."

Martin Schulz, lors du congrès du SPD, en juin 2017, à l'entame de la campagne.

L'unique débat télévisé entre les deux candidats est la plus patente illustration de l'impossibilité, pour Martin Schulz, de marquer sa différence. Pour ne prendre qu'un exemple : il espère surprendre la chancelière en se déclarant en faveur de l'arrêt des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. La judokate Merkel enchaîne en disant qu'elle est du même avis et qu'elle en parlera à ses pairs européens.
Ippon.

Sauf très invraisemblable retournement de situation, Martin Schulz ne sera pas le prochain chancelier allemand. Pour autant que la grande coalition soit reconduite – une possibilité, mais pas une certitude – beaucoup l'imaginent en vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères.
Se satisferait-il d'un rôle, même en vue, de second ?
Il est improbable que Martin Schulz ait perdu de vue que les élections européennes se tiendront au printemps 2019.
Qui sait si ce compétiteur acharné ne sera pas tenté d'être, une fois encore et de briguer la place de Spitzkandidat des socialistes européens pour la présidence de la Commission ? Histoire de tenter, une fois encore, de devenir le numéro un.