Les oubliés du Covid

Pression supplémentaire sur des personnes déjà fragiles, la crise sanitaire du Covid-19 a mis en évidence l’absolue nécessité d’un hébergement, d’un confinement et éventuellement d’une prise en charge médicale dignes pour tous.

Voici quatre lieux qui répondent à ces besoins : ceux d’Olivier, 51 ans, sans-abri qui vient se poser au centre Jacques Brel, auberge de jeunesse convertie temporairement en accueil de jour. Ou ceux de Belinda, souffrant d’une maladie chronique et expulsée de son squat, qui a trouvé refuge au stade Tondreau de Mons. Des dizaines de bénévoles et des équipes médicales renforcées les accueillent au quotidien depuis le début de la pandémie.

Centre d’hébergement Poincaré, avec le Samusocial

Pour la population des sans-abri, l'épidémie de Covid-19 signifie une pression supplémentaire sur des vies déjà très fragilisées." explique le Dr Cécile. Avec des équipes de médecins bénévoles, l’ONG Médecins du Monde est présente au centre ‘Poincaré’ géré par le Samusocial. Les personnes sans-abri peuvent y recevoir des soins médicaux et des médicaments. 

100 personnes sont hébergées chaque nuit au centre ‘Poincaré’. Le centre a dû réduire sa capacité d’accueil passée de 200 à 100 personnes pour répondre aux exigences sanitaires. Samusocial, Bld Poincaré de Bruxelles , le 9 avril 2020.

100 personnes sont hébergées chaque nuit au centre ‘Poincaré’. Le centre a dû réduire sa capacité d’accueil passée de 200 à 100 personnes pour répondre aux exigences sanitaires. Samusocial, Bld Poincaré de Bruxelles , le 9 avril 2020.

Pour les personnes précarisées, la crise sanitaire représente une pression supplémentaire qui s’ajoute à des conditions de vie difficiles.

Pour les personnes précarisées, la crise sanitaire représente une pression supplémentaire qui s’ajoute à des conditions de vie difficiles.

Jeudi 9 avril, le Dr Cécile y était de permanence. Ce soir-là, avec l'infirmière, elle s'est occupée d'une quinzaine de patients.  L'une d'entre elles, une femme de 65 ans atteinte de comorbidité, était l’un des cas suspects de Covid-19. Elle a été confinée durant sept jours dans un centre de quarantaine. Les autres patients venus à la consultation souffraient de maladies cardiaques, de diabète, de très haute pression sanguine ou de blessures infectées.

Le docteur Cécile, bénévole Médecins du Monde.

Le docteur Cécile, bénévole Médecins du Monde.

Des infirmières et infirmiers se relaient chaque jour pour évaluer les besoins médicaux. Le centre ‘Poincaré’ géré par le Samusocial accueille en majorité des hommes. Depuis le début de la pandémie, les 15% de femmes habituées du centre sont hébergées dans d’autres lieux d’accueil. Samusocial, Bld Poincaré de Bruxelles, le 9 avril 2020.

Des infirmières et infirmiers se relaient chaque jour pour évaluer les besoins médicaux. Le centre ‘Poincaré’ géré par le Samusocial accueille en majorité des hommes. Depuis le début de la pandémie, les 15% de femmes habituées du centre sont hébergées dans d’autres lieux d’accueil. Samusocial, Bld Poincaré de Bruxelles, le 9 avril 2020.

Un médecin de l'ONG Médecins du Monde est présent une semaine sur deux et à la demande.

Un médecin de l'ONG Médecins du Monde est présent une semaine sur deux et à la demande.

Centre de jour Jacques Brel : une pause dans la galère de la rue

Entre 140 et 145 personnes y sont accueillies chaque jour. Dans cette auberge de jeunesse bruxelloise, convertie temporairement en centre de jour pour personnes sans-abri, une quarantaine de bénévoles s’active à quinze postes différents, depuis le 10 avril.

Le centre Jacques Brel accueille chaque jour entre 140 et 145 personnes. Photo prise le 21 avril 2020.

Le centre Jacques Brel accueille chaque jour entre 140 et 145 personnes. Photo prise le 21 avril 2020.

Le public est composé d’hommes en majorité (91%), dont 79% sont déjà des "habitués" venus au moins une fois précédemment. Ils sont surtout originaires du Maroc, de la Bulgarie, de l’Erythrée ou de Belgique, même si beaucoup d’autres nationalités sont aussi représentées.

Irène, après son licenciement en raison de Covid-19, avait envie d’aider des personnes vulnérables en cette période spéciale. Elle a postulé auprès de plusieurs ONG mais ils avaient assez de monde. Elle a donc postulé chez MdM où elle a pu commencer son bénévolat au Centre d’accueil de jour, Jacques Brel. Le 21 avril 2020.

Irène, après son licenciement en raison de Covid-19, avait envie d’aider des personnes vulnérables en cette période spéciale. Elle a postulé auprès de plusieurs ONG mais ils avaient assez de monde. Elle a donc postulé chez MdM où elle a pu commencer son bénévolat au Centre d’accueil de jour, Jacques Brel. Le 21 avril 2020.

Olivier, 51 ans, fréquente les centres d’accueil depuis des années. "J’en ai fait au moins une quinzaine. Mais à chaque fois, je suis éjecté à cause de mon problème d’alcool" explique-t-il. À cause de sa dépendance, Olivier a perdu son travail et est devenu chômeur. Très vite, il a perdu pied, il n’arrivait plus à payer son loyer. "C’est comme ça que j’ai atterri dans la rue. Et vu que je n’avais plus de logement, je n’ai plus eu droit au chômage car je n’avais plus d’adresse. Je dépends donc aujourd’hui du CPAS."

Cela fait des années qu’Olivier, 51 ans, va de centre d’accueil en centre d’accueil. Il en a fait au moins une quinzaine. "C’est à cause de l’alcool que j’ai attéri dans la rue, je ne parvenais plus à payer mon loyer. Je n’aime pas du tout l’ambiance du confinement parce que tout est mort en rue. Je n’ai pas peur du virus". D’après lui, le Gouvernement gère ça n’importe comment et exagère. Comme il est souvent seul, il arrive à respecter la distanciation sociale. Il se lave souvent les mains et parvient, plus ou moins, à suivre les règles. Photo prise le 21 avril 2020.

Cela fait des années qu’Olivier, 51 ans, va de centre d’accueil en centre d’accueil. Il en a fait au moins une quinzaine. "C’est à cause de l’alcool que j’ai attéri dans la rue, je ne parvenais plus à payer mon loyer. Je n’aime pas du tout l’ambiance du confinement parce que tout est mort en rue. Je n’ai pas peur du virus". D’après lui, le Gouvernement gère ça n’importe comment et exagère. Comme il est souvent seul, il arrive à respecter la distanciation sociale. Il se lave souvent les mains et parvient, plus ou moins, à suivre les règles. Photo prise le 21 avril 2020.

Au centre Jacques Brel, 75% des personnes viennent pour un repas, 41% pour une douche et 28% pour une sieste. Quant au service de lessive, opérationnel 3 fois par semaine, depuis le 1er mai, il intéresse 3% des personnes.

"Depuis l’ouverture du centre (le 10 avril), nous avons servi 2.193 repas, offert 828 siestes et 1.195 douches. Or, nous ne pouvons proposer que 70 douches quotidiennement et nous devons refuser des personnes tous les jours (environ 10%). Nous les envoyons alors vers des organisations partenaires comme Hobo ou Doucheflux, selon le lieu qui est le plus facile d’accès pour eux" explique Maïté Machado, responsable de l’accueil.

40 bénévoles s’activent à 15 postes différents, le 21 avril 2020.

40 bénévoles s’activent à 15 postes différents, le 21 avril 2020.

2.193 repas ont été servis depuis le 10 avril, le 21 avril 2020.

2.193 repas ont été servis depuis le 10 avril, le 21 avril 2020.

Massimo, 37 ans, vient du Maroc. Il est arrivé en Belgique juste avant le confinement.  Il est venu en Europe car il espérait voir sa vie s’y améliorer. 3Au début, j’allais dans des hôtels mais aujourd’hui, je ne peux plus me le permettre car je n’ai plus d’argent. Et, surtout, à cause du confinement, tous les hôtels sont fermés. Je dors désormais à gauche, à droite, un de mes amis m’a montré des endroits où dormir. La situation est vraiment compliquée pour moi, je tourne dans la vide. Je suis bloqué, ici, à Bruxelles". Massimo rêve de rentrer au Maroc. "J’ai tout perdu en venant ici, je n’ai qu’un seul souhait : revoir ma famille". 21 avril 2020.

Massimo, 37 ans, vient du Maroc. Il est arrivé en Belgique juste avant le confinement.  Il est venu en Europe car il espérait voir sa vie s’y améliorer. 3Au début, j’allais dans des hôtels mais aujourd’hui, je ne peux plus me le permettre car je n’ai plus d’argent. Et, surtout, à cause du confinement, tous les hôtels sont fermés. Je dors désormais à gauche, à droite, un de mes amis m’a montré des endroits où dormir. La situation est vraiment compliquée pour moi, je tourne dans la vide. Je suis bloqué, ici, à Bruxelles". Massimo rêve de rentrer au Maroc. "J’ai tout perdu en venant ici, je n’ai qu’un seul souhait : revoir ma famille". 21 avril 2020.

Philippe, 69 ans, écrit tous les jours un poème pour remercier les équipes de Médecins du Monde. Ses poèmes sont affichés un peu partout dans le Centre d’accueil de jour Jacques Brel. 21 avril 2020.

Philippe, 69 ans, écrit tous les jours un poème pour remercier les équipes de Médecins du Monde. Ses poèmes sont affichés un peu partout dans le Centre d’accueil de jour Jacques Brel. 21 avril 2020.

Irène, après son licenciement en raison de Covid-19, avait envie d’aider des personnes vulnérables en cette période spéciale. Elle a postulé auprès de plusieurs ONG mais ils avaient assez de monde. Elle a donc postulé chez MdM où elle a pu commencer son bénévolat au Centre d’accueil de jour, Jacques Brel. Pour MdM, elle travaille dans la cuisine du centre d'accueil. Les tâches y sont variées : nettoyer les tables, faire respecter la distanciation sociale aux bénéficiaires, faire chauffer la nourriture, la distribuer, etc. 21 avril 2020.

Irène, après son licenciement en raison de Covid-19, avait envie d’aider des personnes vulnérables en cette période spéciale. Elle a postulé auprès de plusieurs ONG mais ils avaient assez de monde. Elle a donc postulé chez MdM où elle a pu commencer son bénévolat au Centre d’accueil de jour, Jacques Brel. Pour MdM, elle travaille dans la cuisine du centre d'accueil. Les tâches y sont variées : nettoyer les tables, faire respecter la distanciation sociale aux bénéficiaires, faire chauffer la nourriture, la distribuer, etc. 21 avril 2020.

28% des personnes viennent au centre d'accueil de jour "Jacques Brel" pour y faire une sieste, le 21 avril 2020.

28% des personnes viennent au centre d'accueil de jour "Jacques Brel" pour y faire une sieste, le 21 avril 2020.

Le Médibus, à la rencontre des personnes sans-abri

D’habitude, le Médibus s’arrête à la Gare Centrale, du Nord et du Midi, à Bruxelles. Médecins du Monde a temporairement ajouté d’autres lieux à ce circuit et a renforcé son équipe médicale. Il assure désormais 4 permanences par semaine.

Le médibus de Médecins du Monde assure 4 permanences par semaine, comme ici Porte de Namur, le 22 avril 2020.

Le médibus de Médecins du Monde assure 4 permanences par semaine, comme ici Porte de Namur, le 22 avril 2020.

"Depuis le début de la crise sanitaire, les besoins des personnes vivant en rue se sont accrus, qu’il s’agisse de personnes sans-abri ou migrantes. C’est pourquoi nous organisons également des permanences à la Porte de Namur et au Quai des Péniches. Nous allons aussi à la rencontre des personnes, en maraude, dans certains quartiers, comme autour de la gare du Nord et à Saint-Gilles. Dans le bus et aux alentours, nous offrons des soins (para)médicaux et faisons de la prévention selon les recommandations pour lutter contre le Covid-19." déclare Maité Montuir, coordinatrice du projet Médibus.

Les bénévoles du Médibus vont ‘en maraude’ à la rencontre des personnes précarisées. Porte de Namur, le 22 avril 2020.

Les bénévoles du Médibus vont ‘en maraude’ à la rencontre des personnes précarisées. Porte de Namur, le 22 avril 2020.

Le nombre de personnes qui viennent au Médibus varie, mais peut aller jusqu’à 50 par soirée. On les examine systématiquement sur les symptômes du Covid-19. Au total, depuis 5 semaines, 651 personnes sont passées par le Médibus. Les équipes médicales ont examiné près de 100 personnes et mis 4 personnes en confinement à la suite de suspicions de contamination.  

Les bénévoles du Médibus vont ‘en maraude’ à la rencontre des personnes précarisées. Porte de Namur, le 22 avril 2020.

Les bénévoles du Médibus vont ‘en maraude’ à la rencontre des personnes précarisées. Porte de Namur, le 22 avril 2020.

Les équipes du Médibus voient jusqu’à 50 personnes à chaque permanence. Porte de Namur, le 11 mai 2020.

Les équipes du Médibus voient jusqu’à 50 personnes à chaque permanence. Porte de Namur, le 11 mai 2020.

Le stade Tondreau de Mons

A Mons, le stade Tondreau s’est transformé en centre de jour et de nuit pour personnes sans abri depuis l’arrivée du Covid-19. Le dispositif Tondreau est composé de 30 lits et d’une équipe médicale.

"Aujourd’hui c’est une matinée particulière. Nous avons reçu 7 personnes. En plus, nous avons dû faire évacuer une personne vers les urgences en ambulance" explique Marine, infirmière. "Ici, on fait 40% de médical et 60% de social ou de psychologique. Clairement l’anxiété est montée d’un cran quand il y a eu des cas positifs au Covid-19".

Belinda est hébergée au stade et souffre d’une maladie neurologique chronique. Elle se présente pour une consultation médicale organisée sur place. Elle a été expulsée du squat où elle vivait. Mère de deux grands enfants placés, elle n’a pas le moral. "Heureusement un éducateur a trouvé un moyen pour que je puisse leur parler au téléphone" dit-elle les larmes aux yeux.

Belinda est une des 25 personnes présentes au stade (20 hommes et 5 femmes) ce 15 mai 2020.

Belinda est une des 25 personnes présentes au stade (20 hommes et 5 femmes) ce 15 mai 2020.

Pour Robin, médecin, l’hébergement et les consultations médicales du stade Tondreau sont indispensables : "Le Covid-19 a fait décrocher du système de santé beaucoup des personnes que l’on rencontre ici. Souci de papier, expulsion d’une maison, difficultés de voyager, perte de GSM ... Une grande partie avait encore une connexion relative au système de santé, mais le Covid-19 a poussé leur décrochage. Notre intervention ici compense cela. C'est très utile pour eux."

Une équipe médicale est présente au stade Tondreau de Mons transformé pour accueillir des personnes sans-abri, le 15 mai 2020.

Une équipe médicale est présente au stade Tondreau de Mons transformé pour accueillir des personnes sans-abri, le 15 mai 2020.

Un cas suspect Covid-19 est évacué vers des structures de soins adaptées. Photo prise le 15 mai 2020.

Un cas suspect Covid-19 est évacué vers des structures de soins adaptées. Photo prise le 15 mai 2020.

Jordan n’a que 24 ans, mais est déjà à la rue depuis plusieurs années. Il souffre de plusieurs problèmes de santé sérieux, dont l’épilepsie. Il a grandi dans une famille ‘compliquée’, bénéficie d‘une allocation d’handicapé et est sous tutelle. Il fait parfois des petits jobs dans le bâtiment ou dans les jardins. "Depuis le Covid-19, c’est dur. Car je ne peux plus faire mes petits boulots. Je ne peux pas non plus rendre visite à ma nièce de 2 ans, ou à ma maman". 15 mai 2020.

Jordan n’a que 24 ans, mais est déjà à la rue depuis plusieurs années. Il souffre de plusieurs problèmes de santé sérieux, dont l’épilepsie. Il a grandi dans une famille ‘compliquée’, bénéficie d‘une allocation d’handicapé et est sous tutelle. Il fait parfois des petits jobs dans le bâtiment ou dans les jardins. "Depuis le Covid-19, c’est dur. Car je ne peux plus faire mes petits boulots. Je ne peux pas non plus rendre visite à ma nièce de 2 ans, ou à ma maman". 15 mai 2020.

Jordan, lui, a été hospitalisé pendant 28 jours après avoir été testé positif au Covid-19 et en est sorti depuis 3 semaines. "A l’hôpital, c’était dur, car je ne pouvais rien faire. Ni sortir de ma chambre. Ni fumer. Ici au moins je suis libre. Et en plus les infirmières m’aident pour mes médicaments. Et puis les éducateurs, ils sont gentils. Ils m’aident bien".

La majorité des personnes hébergées au stade Tondreau de Mons ont décroché du système de soins de santé. Photo prise le 15 mai 2020.

La majorité des personnes hébergées au stade Tondreau de Mons ont décroché du système de soins de santé. Photo prise le 15 mai 2020.