10 ans tout rond. Voici pile une décennie déjà, débarquait dans notre quotidien le produit qui a sans doute changé le plus la face du monde connecté qui est le nôtre depuis l’entame du 21e siècle : l’iPhone. Premier du nom ! En l’occurrence, l’iPhone V1 (aussi appelé Edge). C’est le 29 juin 2007 que les premiers Américains ont pu mettre la main sur ce qui allait devenir l’un des biens de consommation les plus iconiques et les plus écoulés du monde - Apple n'a pas du attendre son dixième anniversaire pour écouler le milliardième exemplaire de son précieux smartphone, puisque ce cap aura été atteint en 2016.
Le terminal avait, initialement, été présenté par Steve Jobs le 9 janvier 2007, lors de la keynote la plus légendaire d'Apple.
Revoyez ce moment clé, condensé et sous-titré en français :
Le lancement en Belgique
En Belgique, il aura fallu attendre plus d’un an, jusqu'au 11 juillet 2008, pour le voir débarquer officiellement, dans sa mouture 3G. C'était, alors, sous la tutelle exclusive de l’opérateur Mobistar (Orange aujourd’hui). On se souvient, comme si c'était hier, de l'ambiance qui régnait à minuit, au Mobistar Center de la Toison d'Or... Petit rappel en vidéo :
Alors que les opérateurs avaient livré une bataille sans merci pour le simple fait de pouvoir vendre le mobile, les formules d'abonnement que Mobistar avait créé sur mesure pour l'arrivée de l'iPhone en Belgique, font presque froid dans le dos, au regard des normes actuelles. Voyez par vous-même !
Nous sommes en 2005.
Les smartphones n’ont pas encore vu le jour, et c’est l’iPod d’Apple, innovation salvatrice de la marque, qui balade la musique du monde dans nos poches. Apple Computer Inc devient petit à petit Apple Inc.
A l’époque, il faut un master d’ingénierie pour mettre de la musique sur son téléphone et en disposer aisément. On parle d’une période où les plus avancés des téléphones, en matière d’interface, commencent à peine à implémenter une molette cliquable. D’une époque où l’écran tactile est une geekerie droite issue de Minority Report. Le seul équivalent du smartphone à l'époque, le PDA (coucou QTek, coucou Palm), est réservé aux nerds ou aux cadres sups.
On peut, en fait, tourner le problème dans tous les sens : en début de siècle, Apple, qui surnage en vendant son iPod par containers entiers, devait être la dernière marque à vouloir inventer l’iPhone.Seulement voilà, un certain (feu) Steve Jobs sent le séisme arriver. Il veut en être à l’épicentre. Pour exploser l’échelle de Richter.
Bémols : tout ce qui a fait le succès du mobile pommé devait alors être inventé. Son design (mais ça, Apple maîtrise, et Johnny Ive, père de l'iMac est déjà là), mais surtout son interface (tactile), son langage, sa mécanique (les applications, l’App Store, etc.).
Le "gars de chez Microsoft"
Il y a dans la manière de se replonger les livres d’histoire d’Apple un tic injustifié : celui de vouloir chercher du romantisme et une vision hors-norme là où il n’y en a pas toujours. L’iPhone n’échappe pas à la règle. Jamais le mobile n’aurait vu le jour (à cette époque) si Steve Jobs n’avait pas été un homme colérique, vengeur et teigneux.
C’est Scott Forstall qui nous en parle.
Ingénieur chez Apple, il a étroitement contribué à faire naître l’iPhone. Il fut aussi l’un des repsonsables d’iOS, même s’il fut lourdé d’Apple après le flop de l’application de cartographie Plans, l’un des plus retentissants échecs d’Apple en matière d’apps mobiles. Aujourd’hui reconverti (avec succès) dans les… comédies musicales (notamment à Broadway), Forstall explique : « l’iPhone est le fruit d’une aversion profonde de Steve Jobs envers ce gars, employé de chez Microsoft. »
Un peu comme quand Enzo Ferrari eut l’outrecuidance de dire à Ferrucco Lamborghini, alors constructeur de tracteurs, qu’il était incapable de construire d’aussi jolies voitures que les siennes…
L'employé en question était l'époux d'une amie de Laurene Powell Jobs, épouse de Steve. Via leurs compagnes respectives, Steve Jobs et cet employé de Microsoft avaient donc des cercles d'amis en commun et se croisaient de temps à autre, ce qui avait le don d'agacer Steve Jobs au plus haut point. Néanmoins, c'est à la suite de l'un de leurs échanges au cours d'une soirée que Steve Jobs a eu la révélation de l'iPhone. Un échange, vif, où le cadre de chez Microsoft fanfaronnait en expliquant que sa firme avait enfin résolu le problème des tablettes PC (qui ont été envisagés bien avant les smartphones). Ces dernières tourneraient sous une version spéciale de Windows, avec un stylet. Un stylet ! Une aberration pour Steve Jobs. "Première chose, ce sont des imbéciles, aurait-il hurlé à Forstall après ce repas. On n'utilise pas un stylet. Les gens les perdent et c'est contre-intuitif. Nous sommes nés avec dix stylets ! », se serait alors indigné Steve Jobs auprès de l'ingénieur.
L’iPhone, ou du moins son développement sur un écran tactile capacitif (et non résistif, ce qui était déjà plus courant à l’époque,mais terriblement agaçant à utiliser) multi-points était sur les rails.
Et il aura fallu attendre que Jobs ait rejoint l'iCloud immatériel depuis quatre ans pour qu'Apple ose introduire un stylet dans sa gamme, au lancement de l'iPad Pro : l'Apple Pencil...
L'iPhone, avant l'iPhone
Un chemin majeur a été parcouru, dans les couloirs de Cupertino, pour aboutir au produit dévoilé en 2007.
C'est qu'en 2005, l'iPhone ressemblait à cela :
Il semble poussiéreux aujourd'hui, mais à l'époque, faire tourner Mac OS sur pareille machine était une petite prouesse.
Notez que s'il ressemble plus à un iPad qu'un iPhone, c'est parce que la tablette tactile, sortie bien après le premier iPhone, a en réalité été imaginée en même temps que le téléphone, voire au préalable. Ce prototype mesurait alors 12,7 centimètres de largeur pour près de 18 centimètres de longueur. Et au niveau de l’épaisseur, avec 6 centimètres, il était très loin de la finesse de l’iPad Air !
Equipé d’un processeur ARM9 de Samsung cadencé entre 200 et 233 Mhz, ce proto a posé les bases du premier iPhone cadencé qui embarquait une version améliorée de cette puce : un processeur ARM11 cadencé à 412 Mhz.
Apple n'a pas entendu l'iPhone pour se donner une image d'entreprise différente, désirable, à la fois accessible et chic. Mais la sortie de l'iPhone a exacerbé cette aura.
La marque aura démontré tout son savoir-faire marketing avec ce produit. La rumeur partie très tôt, de très loin, qu'on laisse monter. La rupture de stock plus ou moins organisée, histoire de créer de la rareté. Le marketing de la keynote (et du pull col cheminée noir de Jobs), des superlatifs "totally amazing", le principe de saisonnalité (une première, sur un téléphone), les pubs pourléchées.
Rareté + innovation + marque désirable : le combo est imparable. Très rapidement, des files énormes se forment devant les Apple Store du monde entier. Les gens dorment devant les enseignes pour gagner le droit de dépenser un loyer pour leur iPhone. Parfois, déguisés en iPhone.
Le prestigieux Time Magazine dédie sa cover au produit, qui se bousculait en manchettes de tous les journaux lors de sa sortie. L'Apple Mania est partout.
Cet engouement, aujourd'hui largement amenuisé, s'est rapidement traduit en chiffres concrets. De 1,3 millions d'unités écoulées en 2007, Apple vend désormais quelque 230 millions d'iPhone par an. C'est l'iPhone qui a fait d'Apple l'une des plus grandes puissances financières au monde, via sa marge majeure et sa popularité hors-normes.
Soyons clairs : Apple n'a pas inventé le smartphone. Il y eut, au moins, RIM (Blackberry) avant elle. Mais la Pomme l'a rendu sexy, mis sur orbite, et introduit dans les poches du grand nombre. Ne minimisons pas l'impact de l'iPhone premier du nom à un joli storytelling et une robe sexy : techniquement, l'iPhone V1 a tout changé. Il a introduit le principe d'OS dédiés, propres au mobile. Inventé celui du magasin d'applications (l'App Store), qui transcendent et personnalisent l'usage d'un téléphone. Fait du tactile capacitif la norme. Et, surtout : poussé le monde dans l'abysse du web mobile.
Le changement de paradygme est une expression trop galvaudée. Ce qu'a fait l'iPhone en 2007 en mérite chaque lettre. Pour autant, il n'est pas seul à avoir fait bouger les lignes.
Aujourd'hui, plus de 80% des utilisateurs de smartphones disposent d'un appareil Android. L'OS mobile de Google, déployé par Andy Rubin, est paru en septembre 2008. Il a mainstreamisé ce que l'iPhone et iOS avaient défloré et fait monter Google dans le train de l'Internet mobile. Un train que d'autres (Blackberry, Microsoft) ont loupé sur le quai.
Parallèlement, d'autres constructeurs ont répliqué à Apple. Samsung en est le plus iconique exemple. Là où le cimetière des éléphants accueille quelques mastodontes (Nokia, par exemple), le Sud-Coréen marche sur les cadavres. Alors qu'Apple se concentre sur un seul téléphone par an (puis un peu plus, en plusieurs déclinaisons, par la suite), Samsung tire tous azimuts et conquiert les masses. Une stratégie qui lui a permis de déplacer le pôle d'innovation dans ses rangs. Entre un Samsung Galaxy S8 et un iPhone 7, bien malhonnête sera celui qui verra plus d'innovations dans le produit pommé...