La seconde vie des emballages en aluminium

©Michel Tonneau

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Nous consommons tous les jours ou presque des produits emballés dans de l'aluminium.
Ces déchets finissent le plus souvent à l'incinérateur car ils n'entrent pas dans les filières classiques de recyclage.
Le Centre de Recherches Métallurgiques de Liège (CRM) a trouvé le moyen de donner une seconde vie au petit aluminium ménager et industriel.

Reportage 

Isabelle Lemaire

Capsules de café, emballages de chips, de biscuits, de chocolat ou de café, barquettes de lasagnes, plaquettes de médicaments, aérosols, tubes de coloration pour les cheveux, cerclages de bouteilles de vin, opercules de pots de produits laitiers..., la liste des produits de consommation courante emballés dans de l'aluminium est longue.

Ces déchets sont peut-être légers mais, en moyenne, le Belge en jette pas loin de deux kilos chaque année à la poubelle.

8000 tonnes - Quantité de déchets d'aluminium produits chaque année à l'échelle de la Wallonie.

Et s'ils se retrouvent dans la nature, leur dégradation naturelle est très lente : environ 200 ans pour une canette. Si ces emballages ne finissent pas à l’incinérateur, ils peuvent se retrouver dans des circuits d’exportation avec des déchets industriels d'aluminium comme les copeaux d'usinage, les moteurs et les châssis de fenêtres et ne sont dès lors pas valorisés à leur juste valeur chez nous( l'aluminium vaut actuellement 1800 euros la tonne). Il n'est pas facile de leur donner une seconde vie : ils sont très fins et pollués par des colles, vernis, peintures, laques, films plastiques, huiles, mousses ou caoutchouc.

"Il faut mieux valoriser ces produits et, dans un circuit classique de recyclage, c'est très compliqué. Cela nécessite un équipement spécial pour traiter les matières organiques et, surtout, l'aluminium d'emballage brûle très facilement si on ne prend pas de précautions", explique Christian Marique, directeur technique au Centre de Recherches Métallurgiques de Liège. "Il doit donc être conditionné au préalable, mélangé avec d'autres produits plus denses, être préparé, fragmenté puis compacté pour être traité plus facilement. C'est ce que nous avons mis en place."

"Dès le départ, on a visé le presque zéro déchet"

L'unité de recyclage de l'aluminium du CRM s'inscrit totalement dans le cercle vertueux de l'économie circulaire, soit non seulement le recyclage des déchets produits mais leur réintroduction en tant que matière première dans un processus industriel.

"Dès le départ, on a visé le presque zéro déchet", précise le chef de projet Christian Marique. "Un premier déchet sont les cendres du four qui sont un sel au départ et contiennent un peu d'aluminium oxydé et d'aluminium métallique. On dissout le sel pour le récupérer et il retourne dans le processus. L'aluminium métal est réutilisé et l'oxyde d'aluminium est vendu en cimenterie comme adjuvant au béton. On ne perd presque rien. Pour le projet à l’échelle industrielle de 20 000 tonnes d’aluminium à recycler par an, dans une première étape, le retraitement des cendres se fera à l’extérieur car la construction d’une usine de retraitement in situ ne devient rentable qu’à l’échelle industrielle de 40 000 tonnes par an." Les matières organiques séparées de l'aluminium sont également valorisées en chaleur, en biomasse et engrais.

Le système de traitement des fumées du four a été prévupar le CRM. "Il respecte les normes d'émissions les plus sévères en dioxineset composés organiques volatils", signale Christian Marique. "Les fumées sont brûlées, rebrûlées et lavées. Il reste alors une 'soupe' de maximum 400 tonnes par an (sur un volume de 20.000 tonnes recyclées), faite des poussières collectées, de produits basiques et de charbon actif. C'est le seul déchet ultime qui reste et qui est à retraiter."

Et le fin du fin, c'est que les gaz sont récupérés pour chauffer le four mais aussi les bureaux de l'usine quand il y a un excédent. Et excédent il y a.

La métallurgie à l'envers

Depuis trois ans, une équipe du CRM travaille à concevoir un procédé de recyclage de l'aluminium ménager et industriel. Cette initiative s'inscrit dans le projet "Reverse metallurgy" (la métallurgie à l'envers), financé par la Wallonie depuis 2015. "L'aluminium avait été retenu comme produit clé par Reverse metallurgy. Une filière d'aluminium secondaire existe déjà, dans laquelle on récupère une série de produits qui sont fondus puis reformatés. Quand on a regardé plus en détail les potentialités du recyclage, on a voulu aller beaucoup plus loin."

"On se rend compte que le petit aluminium léger disparaît dans la nature (par exemple, le cerclage des bouteilles de vin jetées dans les bulles à verre). Donc, on s'est dit qu'il y avait moyen de changer ce cycle, qui est loin d'être vertueux."
Christian Marique

La technique des Liégeois, doublement brevetée au niveau européen, est désormais au point. Elle permet également de séparer l'aluminium des capsules de café du marc qu'elles contiennent et aussi de mélanger déchets domestiques et industriels en un seul processus de recyclage.

A l'extérieur des locaux du CRM, des conteneurs sont remplis de ces petits déchets du quotidien.

"Nous avions besoin de matières premières. Dès 2016, le CRM a sollicité son personnel (265 travailleurs, NdlR) pour collecter ces déchets domestiques de petit aluminium. On a donné des sacs réutilisables pour les apporter ainsi qu'un aimant, afin de pouvoir faire la distinction avec les déchets en acier (comme certaines capsules ou boîtes), qui sont, eux, magnétiques", raconte le directeur technique, qui est aussi le chef du projet de recyclage de l'aluminium.

La ligne de recyclage est à l'échelle pilote mais le CRM, en collaboration avec l'entreprise liégeoise CMI, a conçu un projet d'usine, rentable économiquement, dans laquelle 20.000 tonnes de déchets d'aluminium pourront être recyclés par an. Le plan prévoit un doublement du volume dans une seconde étape. Le projet n'a pas qu'une portée écologique (outre l'aspect du retraitement, le recyclage de l’aluminium ne consomme que 5% de l’énergie nécessaire à la filière de production primaire), il vise aussi à créer une nouvelle activité de fonderie en Wallonie, axée sur le recyclage.

La ligne miniaturisée du CRM peut traiter entre 300 et 400 kilos de déchets par jour. "Ils sont broyés, fragmentés ; on libère certains composants organiques puis les déchets sont compactés en briquettes, d'une densité comparable au même volume d'aluminium pur, afin de les rendre facilement manipulables. Nous les composons sciemment avec certains type de déchets mis ensemble car nous ciblons une chimie particulière", explique, démonstration à l'appui, Adrien Nélis, ingénieur et chef de la partie technique du projet aluminium.

Un aluminium recyclé presque pur

Ensuite, place à l'enfournement. Le four est chauffé à 800°. Au bout de 30 à 35 minutes, l'aluminium recyclé et fondu coule, argenté et brillant, dans le moule. Une demi-journée est nécessaire pour pouvoir manipuler un lingot refroidi. Après la lidification, des échantillons sont envoyés à l'analyse chimique. "On peut adapter la recette de recyclage en fonction des secteurs visés comme clientèle. On peut en effet retrouver du fer ou zinc dans notre aluminium recyclé, des métaux qui jouent sur les propriétés des matériaux, leurs applications et leur qualité. L'avantage de l'aluminium d'emballage, c'est qu'il est assez pur car il n'a pas besoin d'autres éléments pour apporter des propriétés mécaniques, contrairement à celui utilisé pour faire des châssis ou par l'industrie automobile et aéronautique. Donc, en version recyclée, on obtient un très bon aluminium."

©Michel Tonneau

©Michel Tonneau

Les clients potentiels de l'aluminium recyclé, qui sont-ils ? "On a mis au point une recette de cuisine qui permet de viser des marchés spéciaux: les fonderies, la sidérurgie, grosse consommatrice d'aluminium pour faire des aciers calmés (désoxydés, NdlR), les industries cosmétique, pharmaceutique, agroalimentaire", détaille Christian Marique. "Et on a d'autres idées, qui sont encore à l'état exploratoire. Avec la fabrication additive (par impression 3D, pour faire simple, NdlR) qui se développe, ce qui coûte très cher aujourd'hui, ce sont les poudres des métaux qu'elle utilise. On pourrait se servir de notre aluminium comme poudre métallique, après autonomisation. Il serait moins cher. De nouveaux débouchés sont là."

"Le CRM a lancé les contacts pour une industrialisation de son concept. Notre petit doigt nous dit qu'il y a déjà de l'intérêt..."
Christian Marique

Reste un problème à régler si l'on veut lancer une filière industrielle de recyclage : la collecte de ce type de déchets en amont. "Les pouvoirs publics devront organiser un tri supplémentaire auprès des particuliers et un ramassage. Si les industriels ne sont pas certains de disposer de toute la matière nécessaire, ils n'investiront pas dans ce projet", conclut Christian Marique.

Vidéo et photos: Michel Tonneau