Lettre par lettre, son par son, mot par mot...

©Marie Russillo

©Marie Russillo

L’asbl Formosa apprend aux femmes issues de l’immigration à lire et écrire.
Un premier pas vers l’intégration, mais aussi vers plus d’autonomie et de confiance en soi.
Un travail de longue haleine.

Reportage 

Solange Berger

“Comme tous les enfants” , “se demande si”, “un animal dressé” : trois petits bouts de phrases qui nous paraissent si simples à lire. Mais qui sont loin de l’être pour cette classe d’une dizaine de femmes issues de l’immigration. Difficiles à lire mais également à prononcer. Le “tous” devient “tu” ; le ‘dressé”, “dressi” ; et le “si” un “sé”. “La plupart de ces femmes ne savaient ni lire ni écrire avant de venir chez nous. Elles ne parlaient pas non plus français. Certains sons n’existent pas dans leur langue maternelle”, explique Patricia, formatrice bénévole depuis huit ans auprès de l’association Formosa. “Prenons le mot ‘élève’. Si on ne fait pas la différence entre ‘é’ et ‘è’, on ne sait pas où placer l’accent.”

La grande majorité des femmes qui viennent dans cette association, qui s’occupe d’alphabétisation, n’ont pas été scolarisées dans leur pays d’origine, ou alors très peu. Certaines vivent en Belgique depuis plus de 20 ans ; d’autres depuis trois ou quatre ans. Avant de commencer la formation à la lecture et l’écriture, un certain niveau de français est nécessaire. “Nous leur donnons d’abord quelques cours oraux de français. Certaines savent parfois un peu lire ou écrire. Si pas en français, dans leur langue maternelle, mais avec un autre alphabet comme l’arabe ou le penjabi (Inde).”

Plus que de l’alphabétisation

Ce qu’elles viennent chercher c’est plus que de l’alphabétisation. “C’est également une autonomie, une confiance en soi, des contacts sociaux. Elles veulent apprendre à se débrouiller seules, pour aller en ville, prendre le bus dans le bon sens, aller à la maison communale, prendre un rendez-vous chez le médecin, payer avec Bancontact, envoyer un sms, assister à une réunion de parents à l’école des enfants… Certaines ne savent pas lire un calendrier. Parfois même simplement lancer un dé pour faire un jeu prend des proportions incroyables. Tout comme tenir un crayon ou dessiner”, raconte Patricia.

“Nous essayons de favoriser leur autonomie. Et cela marche".
Patricia, enseignante bénévole

“Plusieurs femmes de ma classe m’ont dit qu’au début elles avaient un peu peur de venir jusqu’ici, de sortir de chez elles. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Ces femmes sont souvent isolées à la maison. Pour certaines, la pression sociale est très forte. Venir chez nous leur permet de sortir d’un quotidien qui est très pesant.”

Formosa organise également des sorties culturelles avec les apprenantes : théâtre, cinéma, musée, atelier créatif. Avec le soutien financier d’Article 27 notamment.

Un Belge sur 10 éprouve des difficultés à lire et à écrire

Estimations. On estime qu’un adulte sur dix éprouve des difficultés à lire et à écrire en Belgique, selon l’association Lire et Écrire. Mais si l 'on considère que savoir signer suffit pour ne pas être considéré comme analphabète, alors seul 1% des adultes sont illettrés.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, aucune enquête n’a été réellement menée. Le chiffre habituellement avancé de 10 % découle d’une projection des estimations faites dans d’autres pays européens connaissant un développement socio-économique comparable.

La Communauté flamande, elle, a participé à l’étude Piaac de l’OCDE qui évalue les compétences des adultes, parmi lesquelles la “littératie”, qui est définie comme “la capacité de comprendre, d’évaluer, d’utiliser et de s’engager dans des textes écrits pour participer à la société, pour accomplir ses objectifs et pour développer ses connaissances et son potentiel”, peut-on lire sur le site de Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale.

Selon les résultats de l’enquête effectuée entre le 1er août 2011 et le 31 mars 2012, 15 % des adultes âgés de 16 à 65 ans ou plus d’un demi-million de Flamands (580 470) sont illettrés.

Dans le monde, on estime que 750 millions de personnes sont analphabètes. Quelque 63 % d’entre elles sont des femmes.

L’asbl concentre son attention sur les femmes. “À une époque, nous avions des cours du soir avec un public mixte. Maintenant, nous ne donnons plus que des cours de jour. C’est aussi une volonté des apprenantes elles-mêmes de rester entre femmes”, constate Patricia. “La relation avec les hommes est parfois particulière”, note, pour sa part, Véronique, autre formatrice bénévole dans cette association qui compte une soixantaine d’élèves dans cinq classes. “Nous avons travaillé avec un formateur masculin. Au début, ce fut terrible pour plusieurs apprenantes qui ont dit qu’elles ne venaient plus si c’était un homme qui leur donnait cours. Et puis, pour finir, elles ont revu leur relation aux hommes.”

"Elles viennent à l’association de plein gré”, précise Patricia, “parce qu’elles en ont entendu parler, qu’elles sont dirigées par une autre association – parfois le CPAS –, qu’elles habitent le quartier…”. Située pour l’instant rue du Grand Serment, dans le quartier Dansaert à Bruxelles, Formosa est à la recherche de nouveaux locaux, l’immeuble qu’elle occupe devant être démoli.

“Les filles arrêtent l’école plus facilement pour s’occuper de la famille et aider au ménage”

"J’ai dû arrêter l’école car il y avait la guerre. Maman est tombée malade et j’ai dû m’occuper de mes quatre frères et sœur”, raconte Seiran, qui a quitté l’Irak il y a 11 ans pour venir en Belgique avec son mari et ses quatre enfants. “En Irak, il n’y a pas vraiment de différences entre les garçons et les filles. Tous peuvent aller à l’école. Mais les filles arrêtent plus facilement pour s’occuper de la famille et aider au ménage.” depuis deux ans en formation chez Formosa, elle apprend petit à petit.

“C’est fatiguant et difficle. Je ne parlais pas du tout français en arrivant en Belgique. J’aime bien la langue et puis c’est important de la connaître pour m’intérger.”
Seiran, originaire d'Irak

“C’est souvent le mari qui décide si on continue l’école ou non…”, souligne Diaffo qui a arrêté à 14 ans. “Surtout parce que c’était trop difficle. J’ai fait de la couture alors. J’avais un petit atelier chez nous. Aujourd’hui, j’en fais encore. Je vais d’ailleurs recommencer une formation en septembre”, précise cette Guinéenne.
En Belgique depuis 2012, elle a a fui son mari – “je n’étais pas d’accord avec lui” – avec ses enfants. “Je suis arrivée d’abord en Flandre. Alors j’ai appris le néerlandais. Maintenant je suis à Bruxelles et suis les cours chez Formosa sur les conseils d’une amie. En Guinée-Conakry, on parle notamment le français, à côté du soussou et du peul, et j’avais appris un peu à l’école. Mais j’avais beaucoup oublié. J’ai récupéré un certain niveau, ce qui me permet de mieux communiquer avec les gens. Mes enfants m’aident beaucoup pour la lecture et l’écriture, même s’ils vont à l’école en néerlandais”, explqiue Diaffo, qui estime que c’est important d’aller à l’école jusqu’au bout. “Mais il faut pour cela quelqu’un qui puisse aider à la amison. L’école ne peut pas tout faire.”

Avec les enfants

Venant de Guinée-Conackry également, Domany n’a pas aimé l’école. “J’ai arrêté à 7 ans. Mes parents n’étaient pas contents, mais mon grand-père m’a soutenue. De son point de vue, les filles ne devaient pas nécessiaremnt aller à l’école. Alors je suis restée à la maison avec ma mère.” Envoyée chez son oncle et sa tante qui n’avaient pas d’enfants, elle s’est lancé dans le commerce, notamment de pagnes. Arrivée en Belgique avec son mari il y a 15 ans, elle a commencé à suivre les cours chez Formosa il y a quelques années avant d’arrêter à la naissance de son petit dernier.

“Au début, je ne savais ni lire ni écrire. Mon mari devait m’accompagner partout. J’ai repris les cours. Et cela va beaucoup mieux.”
Domany, originaire de Guinée-Conackry

Cette femme de 42 ans a quatre autres enfants qui vont à l’école à Bruxelles en français. “Mais je n’ai pas le temps de lire avec eux. L’aîné n’a que 14 ans et le bébé de 18 mois est encore à la maison, tandis que mon mari travaille. Cela prend du temps."

Pas comme les enfants

Apprendre à lire et écrire à des adultes ou des enfants, ce n’est pas la même chose. “C’est même très différent”, souligne Patricia.

“La plupart des femmes que nous avons dans nos classes ont une quarantaine d'années. Apprendre à cet âge-là, c’est plus compliqué.”
Patricia

“Elles ne viennent chez nous que 12 heures par semaine – 4 fois 3 heures – alors que les enfants passent plus d’heures à l’école. Elles ont autre chose en tête aussi. Elles ont leur ménage et des problèmes personnels. Et elles en ont en général beaucoup! Il leur faut aussi plus de temps pour assimiler la matière. Nous travaillons selon une méthode de pédagogie active, qui intègre plusieurs canaux d’apprentissage car nous avons des publics différents. C’est un travail de longue haleine. Un an ne suffit pas. Certains stagnent. Mais ce n’est pas grave. L’important aussi c’est qu’elles gagnent en confiance, en autonomie et qu’elles échappent à leur quotidien.”

“Et puis tout l’apprentissage se fait en général chez nous, durant les cours”, constate Véronique. “On ne leur donne pas vraiment de devoir ou de leçon car elles n’ont pas le temps de les faire.”

Vidéo : Semra Dessovali
Photos : Marie Russillo