Nez dans le guidon,
les vacances à l'horizon !

Entre amis, seul ou en famille... Pour deux jours, deux semaines ou deux mois... A 10, 30 ou 60 ans... Les vacances et les voyages à vélo connaissent un succès croissant en Europe.
A l'occasion, du festival "En roue libre" dédié à ces cyclovoyageurs, rencontre avec une famille qui ne descendrait de selle pour rien au monde.

Reportage 

Gilles Toussaint

Dring ! Dring ! La chaîne est huilée, les sacoches solidement arrimées au porte-bagages, les pneus et le moral gonflés à bloc ! Cet été comme tous les étés depuis plusieurs années, Claire Poinas et Stéphane Desgain enfourcheront leur vélo pour s'élancer sur la route des vacances avec leurs enfants. Pour rien au monde cette famille recomposée de Watermael-Boitsfort n'échangerait la formule du cyclocamping contre des vacances plus classiques en mode sédentaire.

« Pour ma part, je n'utilisais le vélo qu'au quotidien, mais Stéphane voyageait déjà à vélo de son côté. Quand je l'ai rencontré il y a quelques années, je m'y suis mise aussi. Et depuis, on ne s'est plus arrêté », explique Claire.

Si Alizée la cadette est quasiment « née » sur le vélo de son papa, il n'en allait pas de même pour Jeanne, Rosalie et Émile, les enfants de Claire. L'initiation s'est donc faite en douceur. « Pour leur premier voyage, on a choisi un pays plat : la Suisse », rigole Stéphane. « Car en fait, dans ce pays le plus montagneux d'Europe, il y a énormément de voies cyclables qui suivent les cours d'eau. Elles sont en site propre et très bien aménagées. Comme Alizée avait cinq ans et qu’Émile commençait seulement à rouler sur son vélo, cela répondait à une partie des angoisses que l'on a en tant que parents : la peur qu'ils se fassent écrabouiller. »

Le bonheur de l'itinérance

De manière générale, un autre critère pris en compte lors du choix de ces itinéraires de vacances est aussi la proximité de l'eau, complète Claire. « Dès qu'on a une mare aux canards, un ruisseau pour faire un barrage, un lac pour se baigner, les enfants sont contents. »
« J'ai trop aimé ! »
, confirme Émile, qui garde visiblement un heureux souvenir de ces nuits en tente et des réveils à quelques pas de la mer. « On a nos maisons avec nous et c'est vraiment chouette ! »

« Il faut que ce soit gai, en fait. »
Stéphane Desgain est un fervent adepte des voyages et des vacances à vélo

« L'itinérance lui plaît, mais ce n'est pas forcément toujours facile », souligne Stéphane. « Il faut monter et démonter les tentes, charger les vélos, etc… Et ça peut être pesant. Il y a donc des moments où c'est bien de savoir s'arrêter deux jours. Quand on débute, ce n'est pas forcément une bonne stratégie de faire 200 km dans un pays où il pleut tous le temps, même si avec l'expérience, on découvre que l'on peut aussi passer au-dessus de ces épisodes-là. Les difficultés rencontrées ne sont pas forcément synonymes de mauvais souvenirs. »

Il y a presque autant de voyages que de voyageurs, poursuit-il. « Nous, on privilégie le plaisir. Il peut arriver que l'on fasse 20 km un jour et 60 le lendemain. Il faut laisser du temps pour jouer et se poser, pour tous ces moments et toutes ces rencontres qui sont le cœur du voyage. Avec des enfants, je pense qu'une distance de 30 à 70 km par jour, qu'ils peuvent accomplir sans trop de difficulté, est raisonnable. Mais il y a des ultracyclistes dont le plaisir est de faire des distances de fou. Certains prévoient et réservent tous les endroits où ils vont dormir à l'avance, mais il y a aussi beaucoup de gens qui préfèrent laisser la place à l'inconnu. Il nous est arrivé de rencontrer d'autres cyclistes et de modifier notre parcours pour faire un bout de chemin en groupe et manger ensemble le soir. On aime bien ce plaisir du hasard des rencontres. »

Diverses possibilités

Suisse, France, Slovénie, Pays Basque, Catalogne… Quand elle prend la route, la famille opte de préférence pour le camping sauvage, qui est autorisé presque partout mais n'est pas toujours simple à gérer lorsque l'on voyage en groupe élargi. « On aime bien le faire à la dure, explique Claire. Cela fait partie de notre plaisir pour la liberté que ça apporte, mais ce n'est pas forcément le cas pour tout le monde. Pour une de nos filles aînées, Rosalie, ça a été un peu plus difficile au début car elle aime savoir où on va dormir, ce que l'on va manger. Or avec cette formule, on sait qu'on va manger et dormir, c'est sûr. Mais où, quand et quoi, on ne sait pas forcément. » Et de préciser : « Mais on s'arrête aussi de temps en temps dans des campings. Cela permet de se reposer et de rencontrer d'autres enfants. Et de se laver aussi, pas juste de se rincer dans la rivière !»

« On devient nomade un petit morceau de notre vie, c'est une parenthèse qu'on s'offre. »
Stéphane

Quoi qu'il en soit, selon les aspirations et le budget des cyclorandonneurs, une multitude de points de chute s'offrent aujourd'hui à eux : campings municipaux, chambres d'hôtes, hôtels ou encore le réseau Warmshower où des amoureux du tourisme à vélo offrent l'hospitalité à ceux qui partagent leur passion.

Face au succès croissant de ce type de vacances, l'offre de logements le long des itinéraires de randonnée comme le réseau Eurovélo s'est également considérablement étoffée. Certains campings réservent ainsi spécifiquement quelques emplacements aux cyclotouristes ; des propriétaires de chambres d'hôtes proposent des garages sécurisés où abriter le matériel et parfois même l'outillage pour effectuer de petites réparations.

De plus en plus de tour-opérateurs développent également des formules « clef sur porte » pour des séjours d'un week-end ou de quelques jours, incluant un road-book détaillé, la location du vélo ­ ou d'un vélo à assistance électrique (qui rend la pratique accessible aux petits comme aux gros mollets) et le logement.

« En Roue libre », un festival pour se mettre en selle

De ses voyages à vélo, Stéphane Desgain a pris l'habitude de conserver des traces vidéos dont il fait des petits films. « Il en a proposé un à un festival qui se déroulait en France et le film a été retenu », raconte Claire. « On est donc allé à Nancy et c'était vraiment super. On s'est rendu compte qu'il y avait plein de films qui avaient été réalisés par des Belges. On s'est dit que c'était vraiment trop con et qu'il fallait aussi proposer un événement du genre chez nous. »

Ainsi est né le festival « En roue libre » que Claire a mis sur pied avec son amie Delphine, active au sein du Groupe d'action et de recherche des cyclistes quotidiens (Gracq) de Watermael Boitsfort.

Malgré une météo très défavorable, la première édition en mars 2018 a rencontré un succès qui a dépassé les espoirs des organisatrices. La deuxième édition, qui se déroule cette fois sur trois jours à la Maison haute et à la Vénerie de Watermael Boitsfort, propose un programme étoffé du 21 au 23 mars. Au gré de films, de conférences, d’ateliers et de stands d’information où faire le plein de conseils pratiques, les visiteurs découvriront que le vélo peut les mener au bout du monde… ou de leur jardin. 

Se lancer sans stresser

Pour se lancer, pas besoin du matériel dernier cri, insiste Stéphane. Un simple vélo « de tous les jours » en bon état suffit. « Il faut juste une bonne base : un porte-bagages solide, des freins en état de marche, des bons pneus qui résistent aux crevaisons. J'ai fait 40 000 km avec un pneu sans jamais crever. A partir du moment où tu achètes quelques petits trucs, tu n'as plus de problème. »

Le matériel s'est également démocratisé et il est possible de trouver aujourd'hui des jeux de sacoches ou encore du matériel de camping à des prix très abordables, sans oublier le marché de seconde main. Il est également envisageable de louer une remorque.

« La philosophie du voyage à vélo, c'est se dire que l'autre est plutôt une source potentielle d'aide et d'accueil. Quand on ne sait pas où camper, par exemple, on va demander à un agriculteur et la plupart d'entre eux acceptent. »
Claire Poinas

Pour le reste, si Stéphane conseille de savoir bricoler un peu, il se veut rassurant : « En Europe, on trouve des vélocistes un peu partout. Et puis la plupart du temps, vous rencontrez des gens qui sont prêts à vous aider en vous amenant jusqu'à un atelier avec leur voiture, par exemple. Contrairement à l'idée que l'on pourrait se faire selon laquelle le monde est dangereux, quand on voyage, on se rend compte que non. Il est plutôt rempli de gens qui sont prêts à vous aider quand il vous arrive un pépin. »

La Wallonie embraie doucement

Alors qu'il n'existe pas de données officielles sur le tourisme à vélo en Belgique, l'association Pro Velo s'est penchée sur l'opportunité de développer ce secteur en Wallonie, en retard sur la Flandre en la matière. Et la réponse s'avère clairement positive. Une dynamique dans ce sens a d'ailleurs été enclenchée en 2016.

Dans cette étude, Pro Velo souligne ainsi l'opportunité commerciale que représente un créneau en essor dans la plupart des pays européens, qui génère près de 44 milliards d'euros de recettes. L'essentiel du marché du cyclotourisme européen est aujourd'hui dominé par six pays : France, Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Suisse et Pays-Bas. En Allemagne, en 2015, quelque 4,5 millions de personnes avaient ainsi réalisé un voyage à vélo d'une durée supérieure à trois jours, ce qui représente 10 % des nuitées totales du tourisme intérieur du pays.

En pratique

Une foule de sites web existent pour les personnes désireuses de tenter l'aventure du cyclotourisme, nous n'en épinglerons que quelques-uns :

https://www.provelo.org/fr/sub-section/voyage-voyage

https://www.cyclo-camping.international/fr qui publie notamment le « manuel du voyage à vélo »

https://www.gracq.org/

http://www.eurovelo.com/fr/home

https://www.lavelodyssee.com/

https://www.viarhona.com/

Le vélo, vecteur de lien social et de liberté

Le fait de voyager à vélo – notamment avec un tandem semi-couché – et avec des enfants, facilite les rencontres, observe encore Claire. « D'autres enfants viennent vers nous et demandent s'ils peuvent essayer. Des adultes nous arrêtent pour nous demander des informations. On croise d'autres cyclos avec qui on sympathise...»

Ces deux ou trois semaines de voyage annuelles lui apportent avant tout le sentiment d'être « hyper libre », explique-t-elle. « Je suis complètement déconnectée de cette société où tous les jours je regarde la liste des choses à faire dans mon agenda. On pourrait se permettre des vacances d'un autre genre, mais quand on part à vélo, je n'ai plus d'horaire, je dors où je veux, je ne programme rien. Je reviens à l'essentiel et je vis une vie aux antipodes de toutes ces obligations qui entravent le quotidien. »

Une sensation de liberté qui habite également Stéphane, pour qui la dimension durable de ce mode de vacances compte aussi énormément. « Pour moi, avoir un mode de vie qui n'empiète pas sur celui des autres est vachement important. Je trouve que nous devons essayer de limiter au maximum l'usage de la voiture, même si ce n'est pas toujours possible
Pour rejoindre leurs itinéraires de vacances, regrettent-ils d'ailleurs, il reste malheureusement aujourd'hui souvent compliqué d'embarquer les vélos et l'équipement dans les trains, notamment parce que les tarifs sont prohibitifs. Et, sans grande surprise, la Belgique est très en retard dans ce domaine. « On aimerait que le rail soit plus 'bike friendly' », conclut-il.

Vidéos: Semra Desovali
Photos : Jean-Luc Flemal

Johanne, l'échappée belle

Par Sabine Verhest
Photos :
Tristan Glen, Jukka Salminen

Johanne Vandersteen avait un cousin au Canada et une famille d’accueil au Chili. “Je ne me souviens plus trop quelle mouche m’a piquée”, raconte-t-elle, mais un beau jour de juin elle s’est envolée pour une aventure hors du commun  : celle de pédaler d’un hémisphère à l’autre, de Vancouver (49°14’58’’ Nord) à Curico (34°58’58’’ Sud). Elle avait 25 ans, et fêtera deux anniversaires sur la route.

“Quand j’étais toute petite, deux gars avaient frappé à notre porte : ils voulaient planter leur tente dans le jardin. J’ai réalisé qu’il y avait d’autres sortes de voyage possibles qu’en all-inclusive”, se souvient l’Hennuyère. Le vélo deviendra l’instrument de son indépendance. À 18 ans, elle l’enfourche pour se rendre à Amsterdam avec une amie. “Après une journée, on n’en pouvait plus !” Et si le bus soulagera les mollets cette fois-là, “j’ai su que j’allais vouloir faire un grand voyage”.

Après des études de tourisme, Johanne travaille à envoyer les Belges en vacances ; elle économise aussi, se documente, lit des blogs de voyage, entre en contact avec des cyclistes. “On est toujours inspiré par d’autres personnes qui montrent que c’est possible, cela démystifie l’aspect extrême de l’aventure.” Elle suit également une formation technique aux Ateliers de la rue Voot. “Après, il faut pratiquer. Ma première crevaison, au Canada, j’ai mis deux heures à la réparer !”, rigole-t-elle. En revanche, elle fait l’impasse sur la mise en condition physique. “Je me suis dit que j’allais en chemin. Je ne regrette pas mon choix, mais cela a été un peu pénible au début. Les Rocheuses, c’est quand même très montagneux !” D’autant que la canicule sévit cet été-là. “C’était trop extrême, je n’étais pas prête à ça.”

La descente de la côte Ouest des États-Unis, adaptée au cyclotourisme et parsemée d’amis connus au cours de son année passée au Chili, lui fait beaucoup de bien. L’atterrissage au Mexique, en revanche, se révèle un peu plus éprouvant. Les cyclistes ne sont pas légion, la chaleur est forte, la culture diffère. Femme seule sur sa bécane, on lui avait en plus prédit le pire. “Il faut arriver à se détacher de toute mise en garde. Je n’en veux pas aux gens qui disent cela, c’est aussi la conséquence d’une société angoissée.” Johanne a une bonne étoile – elle fait “un peu gaffe” aussi. Jamais, elle qui dormait sous tente ou chez l’habitant ne sera mise en difficulté sur ce terrain.

Des nomades en quête de compagnie

Si la traversée du Mexique se révèle finalement une belle aventure humaine, elle réalise aussi qu’elle a besoin de compagnie, comme beaucoup d’autres nomades seuls sur les routes du monde. Elle rencontre un Autrichien, Franz, via la communauté Warmshower, une plateforme mondiale d’échange d’hospitalité entre cyclistes, et, avec lui, traverse l’Amérique centrale. “On a tiré beaucoup de positif de cette expérience même si, en fait, on ne s’entendait pas tellement ! Très rapidement, je me suis rendu compte qu’on n’aurait jamais été copains ici.” Leurs routes se séparent au Panama.

Johanne pousse jusqu’en Colombie, où elle passe les fêtes de fin d’année. C’est là aussi qu’elle retrouve Cherry, une Anglaise croisée au Mexique. Elles pédaleront cinq mois ensemble, à travers l’Équateur, puis le Pérou.“À deux, on décharge beaucoup les craintes”, notamment lorsqu’il faut opter pour un itinéraire ou l’autre. “C’est fatiguant psychologiquement de se demander tout le temps  : où est-ce que je vais dormir, qu’est-ce qu’il y a devant moi, est-ce que ça va être chouette, va-t-il y avoir des difficultés ?” Le partage allège les questionnements. Il rend le terrain moins insurmontable, aussi, quand il se montre extrêmement chaotique. Après onze mois sur les routes, Johanne se sent finalement prête à poursuivre  en solitaire. “Je n’avais plus peur de faire du camping sauvage seule, je me sentais adulte dans mon voyage,  entière, confirmée et tout à fait en accord avec ce que je faisais.”

La Belge et l’Anglaise se quittent, l’aventure continue, et pas qu’un peu : la Bolivie “est certainement le plus extrême des pays d’Amérique latine à vélo”. Et puis c’est le Chili qui se profile, et les retrouvailles avec sa“deuxième famille”.

Depuis son retour en Belgique, Johanne, aujourd’hui formatrice chez Pro Velo, prolonge le voyage : elle en a réalisé un film“Raconter l’aventure, c’est remercier toutes les personnes qui m’ont aidée sur la route et donner une impulsion à toutes celles qui hésiteraient encore.”