Vivre en autonomie
dans une maison-serre

© Marie Russillo

© Marie Russillo

La ville de Rekkem, en Flandre occidentale, accueille la première "maison-serre" de Belgique. Elle garantit une autonomie en énergie renouvelable et en eau.
Pour ses occupants, c'est tous les jours le printemps.

Reportage 

Valentine Van Vyve

On devrait l’apercevoir aisément. Une maison à l'intérieur d'une serre est censée dénoter dans le paysage, a fortiori dans les plaines de Flandre occidentale. Pourtant, il convient d'avoir l’œil félin. Car, contrairement aux autres habitations de la rue, la maison-serre se dresse quelques dizaines de mètres en retrait de la route.

Sous un doux soleil d'hiver, les rayons pénètrent à travers les vitres de la vaste serre. Quelque 360 m2 au sol, de 6 à 9 mètres de haut. Ils frappent la façade sud de la maison, ossature de bois érigée sous le volume vitré et dont la couleur blanche permet de réfléchir plutôt que d'absorber la chaleur.

"Il s’agit d’un bâtiment à double peau, où l’épiderme que constitue la serre crée un microclimat autour des espaces de vie et de bureau."
Koen Vandewalle, architecte et occupant du premier et seul modèle de ce type en Belgique.

À l'intérieur de cette enveloppe, Koen, sa femme Samia et leurs cinq enfants cultiveront bientôt des patates, des artichauts et des herbes aromatiques sur les 120m2 de jardin.

Deux couloirs courent depuis le jardin de part et d'autre de la maison. Si la température est fraîche côté nord, on se promène sans problème en pull le long de la baie vitrée côté sud.
Un escalier descend à trois mètres sous terre. Depuis la cave, on rejoint les six chambres situées en dessous du sol. Un escalier intérieur en acajou permet de remonter vers le vaste séjour, depuis lequel on accède aux bureaux, à l'étage. Des fenêtres percent les murs ouest et nord et ouvrent la vue vers les champs alentours. Les arbres y sont majestueux mais nus, en cette période de l'année.

La synthèse d'une carrière

Depuis trois semaines, Koen et Samia se sont installés dans cette maison-serre. "C’est le projet d’une vie. Une synthèse de tout ce à quoi j’ai pu penser durant ma carrière d’architecte", explique Koen Vandewalle. Car s'il n'a fallu qu'une année pour que son chez-lui sorte de terre, le moindre détail a été réfléchi pendant des années: de l'orientation du batiment aux matériaux à utiliser.

Des constructions similaires existent déjà en Suède et aux Pays-Bas, mais en Belgique, c'est une première... Que Koen et Samia espèrent bien voir se multiplier. Kaseco, le bureau d'architecte du premier, s'est en effet spécialisé dans ce type de constructions à basse consommation d'énergie. Le prototype de Rekkem a déjà attiré les curieux et suscite les intérêts.

Si de telles constructions ne sont pas envisageables partout et pour tous, Kaseco entend "continuer à affiner ces concepts afin que les bâtiments puissent évoluer de manière presque neutre en énergie vers une indépendance énergétique, voire en bâtiments énergie+, qui assurent la production d'énergie".

Un "effet de serre" bénéfique

La maison est pensée pour limiter au maximum l'empreinte écologique de ses occupants. Si elle est raccordée au réseau d'électricité le temps des travaux, elle vise à être entièrement autonome en approvisionnement d'énergie, celle-ci provenant de sources renouvelables. Grâce à la serre, la consommation est d'ailleurs minimale. Neuf mois par an, elle constitue un espace de vie comme un autre. Vêtu d'une simple chemise, Koen Vandewalle constate :

"C'est le printemps éternel. S'il fait aujourd'hui, 5°C dehors, à l'intérieur de la serre, il en fait 15 et, dans la maison, la température atteint 19°C."

"La chaleur du soleil est un chauffage qui ne s'arrête jamais vraiment", commente Koen Vandewalle. Levant les yeux au ciel, on constate que des cellules solaires ont été intégrées aux panneaux de verre. Elles dessinent de multiples formes rectangulaires dont la taille varie en fonction de l'inclinaison du soleil, sur le mur blanc de la maison. "Cela fait aussi partie de la qualité esthétique du lieu", estime son concepteur.

Les panneaux photovoltaïques sont reliés à des batteries. Elles permettent de stocker l'énergie qui n'est pas utilisée immédiatement. Des capteurs solaires chauffent quant à eux l'eau.

Cette autonomie induit "une toute autre manière de vivre", commente avec satisfaction son concepteur.

"On fait tourner la machine à laver la journée, car c’est à ce moment-là qu’on a le plus d’énergie grâce au soleil."
Koen Vandewalle

Le toit de la serre est par ailleurs équipé d'une petite station solaire qui autorégule l'aération. "Elle détecte le vent, la pluie, et se charge d'ouvrir elle-même les vitres situées sur la crête de la serre, soit du côté nord soit du côté sud", explique Koen Vandewalle. Trois larges portes coulissantes permettent par ailleurs de créer un courant d'air. Enfin, en cas d'absence des occupants du lieu, un réseau de tuyaux souterrains fournit de l'air froid.

Pour (encore) diminuer la consommation d'énergie, un éclairage écologique a été installé dans le lieu de passage qu'est le couloir menant aux chambres du sous-sol. L'intensité est adaptée au temps qu'y passent ses occupants.

L'approvisionnement en eau provient aussi d'une source renouvelable : la pluie. Récupérées notamment grâce aux gouttières, les eaux de pluie sont acheminées vers un bac de lave et coulent un mètre sous la terre dans trois puits qui les filtrent. Un système désinfectant termine de rendre cette eau potable (une zone de stockage existe par ailleurs dans le jardin). "Les eaux usées finissent dans une fosse septique, après quoi elles sont pompées dans un champ de percolation, avec des roseaux et d'autres plantes". Cette eau, bien que potable, est rejetée dans le ruisseau qui jouxte la maison.

D'un berceau à l'autre

Gyproc, plaques de bois, escaliers en acajou, béton cellulaire, isolant en cellulose ou en laine de bois,... "la maison a été construite avec des matériaux bioécologiques et biosourcés ou, à tout le moins, entièrement recyclables" au cas où le bâtiment devait un jour être démantelé. Ces matériaux pourraient ainsi être revalorisés, sans perte de qualité, dans des constructions ultérieures. "L’ensemble du projet s’inscrit donc dans le principe du 'berceau au berceau' de l’économie circulaire", précise Koen Vandewalle.

Le coût de telles infrastructures est de 30 à 35 % plus élevé qu'une maison classique, estime l'architecte. Néanmoins, "en dix ou douze ans, on s'y retrouve grâce aux économies que l'on fait en étant autonome en énergie. Le coût du gaz et de l'électricité ne cesse d'augmenter et cela pèse énormément sur les ménages". Même chose pour l'eau. Le bémol, cependant, ce sont ces "épisodes de sécheresse plus longs qu'auparavant", et qui, s'ils ne sont actuellement pas une crainte fondamentale, préoccupent Koen Vandewalle.

Quelle quantité d'énergie la maison-serre peut-elle produire ?

En termes d'économie et de production d'énergie, la maison-serre fait office de maison-témoin. Une étude sur la production d'énergie est menée durant cette première année d'occupation, en collaboration avec l'Université de Gand. "Tout a été fait pour maximiser la production d’énergie propre", explique Koen Vandewalle depuis le local technique situé au sous-sol. En plus de l'énergie solaire, le bâtiment valorisera le vent grâce à une petite éolienne installée dans le jardin. "Même la nuit, il souffle et continue à produire de l'énergie", commente avec enthousiasme l'électricien tout en farfouillant dans une quantité indescriptible de fils.
Soleil le jour. Vent la nuit. De quoi charger suffisamment les cinq imposantes batteries constituées d'eau salée. "Elles sont lourdes et prennent de la place... mais elles sont beaucoup moins polluantes que des batteries en lithium ou en plomb", souligne-t-il encore.

"Au bout d’un an, on verra ce que la maison a été capable de produire et on améliorera les méthodes de stockage de cette énergie afin d’augmenter la période d'autonomie", pour atteindre 6 à 12 mois, espère Koen Vandewalle.

En harmonie avec la nature

Afin de limiter la chaleur, des plants de vignes grimperont bientôt le long de la vitre du couloir côté sud. Quand c'est nécessaire, on donne donc un petit coup de pouce à la nature. Autrement, "tout est là, dans notre environnement", se réjouit Koen Vandewalle. Cette construction, c'est un plaidoyer qu'il fait en faveur d'une harmonie possible et retrouvée entre l'homme et la nature.

"La nature prend soins des hommes. On a tendance à l’oublier."
Koen Vandewalle

Ici, tout le rappel. Il n'est pas uniquement question d'exploiter la chaleur du soleil. "La pente naturelle du sol n'a pas été modifiée. On l'a utilisée pour garder une température constante de 19°C dans les chambres, qui se trouvent au sous-sol, emballées dans un "sac" imperméable", explique l'architecte.
La maison a non seulement été orientée de telle sorte que les panneaux solaires soient au Sud, mais elle a aussi été idéalement placée en prenant compte des arbres alentours dont les feuilles, l'été, créent de l'ombre sur la serre et, l'hiver, lui servent de coupe-vent. Des fenêtres ont été disposées à l'ouest afin d'admirer, depuis les bureaux du premier étage, le coucher du soleil.
La terre a été conservée et déplacée selon les besoins. Au fond du jardin, une piscine éco-biologique se remplit de l'eau présente dans le sol.

Une fois les travaux entièrement terminés, chèvres et moutons viendront habiter la partie sud du jardin. "On pourra les observer depuis la cuisine. C'est la raison pour laquelle on n'a pas prévu d'arbre devant cette fenêtre là", explique Koen Vandewalle.
"Un esprit sain dans un corps sain ne peut s'épanouir pleinement que dans une maison saine dans un environnement sain", ponctue-t-il.

Vidéos : Valentine Van Vyve
Photos : Marie Russillo