Une bulle de bien-être en oncologie

Les bienfaits des soins esthétiques et de bien-être pendant et après un cancer ne sont plus à démontrer.
Le réseau Oncobulle vise à compléter l’offre présente en milieu hospitalier. Soit en cabinets privés soit au domicile des patients.

Reportage 

Laurence Dardenne et Valentine Van Vyve

Avec vue sur arbres et maisons bruxelloises ce jour-là sous la neige, la pièce invite déjà à la sérénité. Quelques meubles en bois et un fauteuil, comme à la maison, de grands tableaux très colorés aux murs qui le sont également. C’est “cosy”, comme on dit. Au milieu de la pièce, une table de massage, un tabouret et une étagère à roulettes sur laquelle sont alignés des produits cosmétiques. Si ce ne sont les bustes et le tourniquet de bandeaux qui pourraient rappeler les effets de la chimio, on se croirait dans une cabine d’institut de beauté, une fois avoir fermé la porte. Laquelle donne dans un couloir de l’hôpital de jour du département d’oncologie aux Cliniques de l’Europe Ste Elisabeth, à Bruxelles.

Nous sommes dans l’une des 38 “Oncobulles” existant à ce jour, des espaces de soins esthétiques et de bien-être dédiés aux personnes touchées par un cancer. A l’origine de ce concept, il y a Cécile Van Parijs, ancienne patiente, “bien que l’on reste toujours un peu patient en oncologie”, nous dit-elle.

Au départ d'une expérience

Oncobulle est né et nourri par l'expérience vécue par sa cheville ouvrière, Cécile van Parijs. Elle raconte : “Il y a trois ans, j’ai eu un cancer du sein. Dans le cadre des traitements, j’ai subi pas mal d’effets secondaires. Dans l’hôpital où j’ai été traitée, j’ai eu la chance d’avoir pu bénéficier de soins esthétiques et de bien-être. Je les ai reçus comme une solution dans l’accompagnement des effets secondaires du traitement. Au niveau de l’image de soi, cela m’a énormément aidée, à ne pas tomber dans l’isolement social, notamment, car la perte de cheveux, de sourcils et de cils peut être un frein à ce niveau-là.

"Il y avait tout cet aspect de bien-être profond, de détente. Il m’arrivait même parfois de pouvoir à ce point m’évader que j’en oubliais la maladie. Et ça, c’était extraordinaire, car inconcevable".
Cécile Van Parijs, fondatrice de Oncobulle

Une fois le traitement terminé, et vu tous les bienfaits que lui ont procuré ces soins, Cécile Van Parijs cherche une continuité à cet accompagnement, à ces massages qui l’avaient tellement apaisée, alors qu’elle souffrait d’insomnie et d’anxiété.

Je ne voulais pas retourner à l’hôpital. Et d’ailleurs, le nombre de places étant malheureusement limité, on a envie de laisser le tour à quelqu’un d’autre. Je me sentais donc prête à me rendre dans un centre de bien-être classique, faute d’endroit spécialisé. Et là, malheureusement, j’ai été confrontée à une expérience négative. En présence d’une autre cliente, j’ai dû annoncer à l’esthéticienne que, ayant subi une mastectomie, j’avais une cicatrice assez disgracieuse. Dans la cabine, la praticienne a fait une grimace. Après quelques minutes, elle m’a dit : ‘Je ne sais pas comment vous faites pour vivre avec ça, mais moi, je ne pourrais pas’...
Je ne lui en veux pas du tout parce qu’elle n’était pas formée et qu’elle doit être encore aujourd’hui traumatisée de cette expérience. Ce n’était simplement pas une personne habilitée à accompagner des clients avec mes spécificités
”.

Un réseau de praticiens spécialisés

C’est alors que Cécile Van Parijs se dit qu’il y a quelque chose à faire pour combler cette offre complémentaire manquante. Ainsi naquit Oncobulle, un réseau qui vise à regrouper des praticiens spécialisés en esthétique et bien-être adaptés à l’oncologie, qui prodiguent des soins que ce soit à domicile, en hôpital ou en cabinet privé.

“Je voulais regrouper des praticiens qui aient une identité visible de leur expertise, à la fois en oncologie et en matière de savoir être”.
Cécile Van Parijs

Je tenais à ce qu'il y ait de la bienveillance, un comportement à l’opposé du caractère mercantile que l’on peut trouver en instituts de beauté. A cet effet, nous avons élaboré un code de déontologie. En juin dernier, nous avons créé un label de qualité qui garantit, aux personnes qui vont être accompagnées, cette onco-expertise et ce savoir-être”, insiste la fondatrice du réseau.

Se réapproprier son corps

"J’ai été chouchoutée. Je me sens bien. Oui, je me sens juste bien”, glisse Silvana en descendant de la table sur laquelle elle s’était allongée le temps d’un soin visage. Depuis le début de sa chimio - c’était en juin 2017- elle profite des soins prodigués par Caroline Delvaux, onco-esthéticienne. “Ils ont été une bulle sucrée pendant deux ans”, commente-t-elle.

Deux années pendant lesquelles son corps a “constamment souffert”. “Les traitements sont invasifs et font perdre au patient une part de son identité. En perdant ses cheveux, ses sourcils, ses cils, il perd confiance en l’image qu’il renvoie, en son corps”, explique la socio-esthéticienne. Un corps “transformé, malmené, meurtri, parfois mutilé”, poursuit-elle. Les soins permettent au patient de, lentement, se le “réapproprier”.

“Par le toucher, on l’aide à reprendre possession de son corps. Il sent alors que ce corps existe.”
Caroline Delvaux, onco-esthéticienne

“On sait trop bien qu’il existe parce qu’il nous a fait horriblement mal, réagit Silvana. On doit constamment se battre. Mais les soins apportent un répit dans ce chemin de lutte”.

Un accompagnement au-delà des soins...

“La priorité, c’est le bien-être du patient”, résume Caroline Delvaux tout en faisant promener ses doigts experts sur le visage de Silvana. Ce bien-être guide le moindre de ses gestes, la moindre parole qu’elle prononce. Le protocole appliqué dans ce cadre est quelque peu différent d’un soin esthétique classique.

Au-delà des soins à proprement parlé, l’accent est mis sur la relation. Une certaine intelligence émotionnelle.

“Cela va plus loin que l’acte de soin. Quand les émotions surviennent, on y accorde de l’attention, on prend le temps nécessaire pour être là pour le patient”.
Caroline Delvaux, onco-esthéticienne

Ce fut le cas lorsqu’elle a rasé le crâne d’une patiente, se souvient-elle.

Et du traitement

Parce que les effets se font encore sentir après le traitement, la continuité des soins onco-esthétiques est “une nécessité”. Physiquement mais aussi moralement. “En post-traitement, cela apporte une certaine sécurité en plus de soulager le patient, qui subit encore certains effets secondaires”, précise Caroline Delvaux.

Alors qu’elle sort de deux années de chimio, Silvana remet les pieds à l’hôpital. Et ce ne sont pas les mauvais souvenirs, que ce lieu évoque. Au contraire, elle sent cette sécurité évoquée par l’onco-esthéticienne.

“Lorsqu’on m’a déconnectée, après ma dernière chimio, je me suis écroulée. Je me suis sentie lâchée. Revenir ici, c’est un besoin.
Silvana, patiente

Du jour au lendemain, il n’y a plus rien. En revenant dans cet environnement familier, je revois des visages connus, ceux des personnes que j’ai côtoyées pendant deux ans et qui connaissent mon parcours”.

Cécile Van Parijs, qui a connu cette situation, confirme que “le retour à la normalité peut être difficile”. L’accompagnement dont elle est la cheville ouvrière est dès lors là pour aider le patient, à présent guéri, à atterrir en douceur.

Combler le manque

Aujourd’hui, le réseau se compose d’une trentaine de praticiens : des esthéticien.nes spécialisé.es en oncologie ou onco-esthéticien.nes, des massothérapeutes spécialisé.es en onco-massages, des pédicures médicales également spécialisé.es en oncologie, ainsi que des praticien.nes pour tout ce qui concerne la coiffure et la dermographie correctrice (maquillage semi-permanent, gestion des cicatrices, tatouage 3D des aréoles mammaires…).

Le réseau s’est donné pour mission première de compléter l’offre de soins présente en milieu hospitalier. Aux personnes qui ne désirent pas se faire accompagner à l’hôpital (environ un quart des patients), il permet une prise en charge chez elles ou en cabinet privé. Il s’adresse aussi aux patients traités dans un établissement ne disposant pas de cette offre de soins bien-être. En Belgique, seuls 15 % des hôpitaux offrent ce type d’acompagnement.

Si en hôpital, l’offre de soins est gratuite car souvent financée par des mécènes, en cabinet privé ou lors de soins à domicile, le service devient payant mais ne peut dépasser 40 à 50 € pour une heure de soins. Des démarches ont été entreprises auprès des mutuelles pour obtenir un remboursement partiel.

Encore jeune, l’initiative a déjà reçu le soutien de plusieurs médecins - et non des moindres.

Dans le cadre de la journée mondiale contre le cancer, les Cliniques de l'Europe Sainte-Elisabeth organisent une journée de soins d'onco-esthétique à destination des patients en oncologie.

Vidéos et Photos : Valentine Van Vyve