Lifewishes, miroir
de vie, miroir de l'âme
Prolonger sa présence au-delà de la mort. L'espace de transmission Lifewishes permet à qui le souhaite de livrer un témoignage posthume de ses expériences, ses convictions et ce qu'il voudrait laisser derrière lui et partager à ses proches, une fois parti.
Reportage
Catherine (*) est une jeune maman. Touchée par la maladie, elle souhaite déposer quelque part, pour ses enfants, une série de pensées et de messages qui leur seront transmis au moment de sa mort. Une fois cela fait, elle vit plus légèrement, parce que « les choses sont exprimées ».
Le père de François (*) est atteint de la maladie d'Alzheimer. Avant que les pertes de mémoire soient trop importantes, ses enfants l'enregistrent raconter ses expériences de vie, les raisons de ses choix. Ces tranches d'histoires sont consignées dans un « coffre à émotions », un espace virtuel (et sécurisé) permettant à une personne de déposer messages écrits, vocaux, vidéos mais aussi des documents à l'attention des personnes qui lui survivront.
Un coffre à émotions virtuel
Lifewishes est en quelque sorte une version moderne de ces lettres déposées au fil de la vie dans un tiroir comme autant de messages laissés aux proches - en usant de la technologie de notre époque.
Lancée en septembre dernier, cette plateforme en ligne permet de déposer deux types de messages. Des messages écrits, d'une part, spontanés ou répondant à des questions formulées par la fondatrice de Lifewishes, Géraldine de Radiguès : comment imagine-t-on ses obsèques? Quel a été mon chemin de vie, mes expériences et mes apprentissages? Quels ont été mes rêves et mes aspirations? Quelle a été ma philosophie de vie ? Quelles ont été mes croyances? Quel message est-ce que je souhaite faire passer ?... Elles constituent une sorte de fil rouge ou fonctionnent comme un « brise-glace » permettant de délier les langues et de libérer la parole. D'autre part, elle offre la possibilité de télécharger des documents audiovisuels : films, sons, images...
Ces messages sont destinés à des « personnes de cœur » - les proches du défunt accéderont à tous les messages écrits -, mais aussi à des « personnes ciblées » qui auront accès aux téléchargements, de manière individuelle et personnalisée ou commune.
« La personne qui ouvre le compte décide de plusieurs "personnes de confiance" qui valideront le décès. Il peut s'agir d'un médecin, un thérapeute, un notaire. À ce moment-là, le coffre-fort s'ouvre », détaille la créatrice de cet outil.
Une piqûre de rappel
L'accès à ce service coûte 74 euros, un montant qui servira à en garantir la qualité. Pour la conservation des données stockées sur le long terme, il en coûtera 6 euros par an. « Cette somme, au-delà des frais du stockage, sert de piqûre de rappel afin que le compte ne dorme pas », précise Géraldine de Radiguès. Le service est actuellement disponible en trois langues: français, néerlandais et anglais. « Après quelques mois de fonctionnement, j’aimerais que l’outil soit référencé sur les sites des soins palliatifs et qu’il soit considéré comme un outil de prise en charge émotionnelle des seniors ».
Des réticences existent cependant dans ce domaine. « C’est inhérent à la nouveauté », juge la coach de vie.
Ce sont plus particulièrement les personnes en fin de vie qui pourraient être touchées par l'initiative. Celles qui sont soumises à l'épreuve pressante du temps parce que gagnées par la maladie ou la vieillesse. Mais pas seulement.
« Personne ne connaît la date de sa finitude. S'il y a une chose dont nous sommes certains, et c'est bien la seule, c'est que l'ont mourra tous un jour. »
Que le décès puisse être anticipé ou qu'il soit soudain, Lifewishes permet de « déposer ce qui importe quelque part ». De telle sorte que, « quoi qu'il arrive, ce sera dit », poursuit notre interlocutrice. Cet espace permet, pense-t-elle, de « faciliter l'apprivoisement de la finitude pour mieux célébrer la vie. On classe ses dossiers. C'est censé être libérateur et permettre de se délier de la peur qu'elle représente pour beaucoup », dit-elle.
La mort, ce tabou
« La mort effraie. On n'aime pas l'envisager ou en parler ». Souvent, on préfère botter en touche, l'envoyer bouler loin pour éviter de titiller le destin. « La personne en fin de vie a pourtant besoin d'un espace pour exprimer ne fût-ce que ce qu'elle envisage pour ses obsèques », explique Géraldine de Radiguès, qui nourrit sa réflexion dans le cadre de son rôle de bénévole aux soins palliatifs.
En plus d'être relativement taboue, « la mort est présentée comme un échec, poursuit-elle. On se bat pour la vie. On meurt quand on a perdu ce combat ». Face à cette peur, elle suggère le mouvement. Celui de l'expression et de la transmission.
Mais la pudeur de celui qui s’apprête à partir ou de ceux qui restent constitue une barrière coriace au dialogue.
« Le parent est souvent vu comme quelqu'un de fort. Le voir fragile, constater ses failles, voir qu'il change est difficile pour l'enfant. »
De même, transmettre, mettre des mots sur des émotions ou des expériences, trouver le temps et le moment de le faire, n'est pas toujours aisé. Lifewishes espère pouvoir créer un terreau propice à la relation, à la parole.
« J'ai travaillé dans la gestion de patrimoine financier. Mais je ne m'étais jamais posé la question de ce que l'on fait de notre patrimoine émotionnel. »
Géraldine de Radiguès, au bout du chemin
À 44 ans, Géraldine de Radiguès a déjà eu plusieurs vies. Professeur de sciences économiques, droit et comptabilité dans le secondaire, elle décide de bifurquer vers une école spécialisée pour les personnes présentant un trouble autistique. Après une période d'intérims en tous genres, elle se lance dans le « coaching de vie ». « J'ai longtemps cherché la posture qui me convenait dans la relation à l'autre », explique-t-elle. Cela fait 10 ans qu'elle travaille dans le domaine du développement personnel.
En septembre 2018, elle a lancé « Lifewishes ». Ce nouveau défi, qu'elle relève en plus de son activité professionnelle, découle de son expérience de bénévole en soins palliatifs. Elle y accompagne les personnes en fin de vie. Trois expériences la mettront sur le chemin du projet qu'elle développera plus tard. Une jeune maman partant trop tôt; un homme voyageant beaucoup et que la pudeur empêche de parler lorsqu'arrive la maladie ; un autre vivant à l'étranger et n'ayant que peu d'occasion de se confier. « J'ai réalisé qu'il y avait un besoin de déposer ses expériences, ses choix, son parcours, ce qu'on en a appris. »
Son chemin, cette auteure de romans thématiques le consigne aussi dans ce coffre à émotions. A destination de ses quatre enfants, sa famille, ses proches. « Je fais la clarté sur mes zones d'ombre », dit-elle. Elle y parle probablement de son aspiration à garder, toujours, des relations de qualité, marquées du sceau de la simplicité, de l'authenticité, du respect ; de l'importance qu'elle accorde à l'humour ; de sa volonté de se laisser guider par son instinct lorsqu'elle choisi les projets dans lesquels elle se lance ; de son goût pour le voyage. Pas nécessairement celui qui l'emmène à des kilomètre de chez elle, mais celui qui la fait sortir de sa zone de confort et la conduit à chausser d'autres lunettes.
Transmettre et se nourrir
« C'est un moment d'arrêt qui permet de réfléchir sur ce qu'a été sa ligne directrice de vie, d'en donner un sens, d'en comprendre la trajectoire, d'être acteur du chemin emprunté, de comprendre qui l'on est devenu, au bout de ce chemin ». Et de le partager. Ce partage, cette mère de quatre enfants l'envisage comme une « chaîne de solidarité, un cercle vertueux ».
« On a tous des existences dignes d'être racontées et pleine d'enseignements. »
« Ma vie, mes choix et mes non-choix peuvent servir à ceux qui me suivent », pense-t-elle. « En ce sens, chaque existence offre une bibliothèque de possibilités » dans laquelle les proches peuvent se nourrir.
Enfin, Lifewishes fonctionne comme un adoucissant en période de deuil. « Entendre la voix, lire un message laissé par la personne décédée peut aider à faire le deuil de manière progressive », pense Géraldine de Radiguès. « Elle garde en quelque sorte la mainmise sur son après-mort », ponctue-t-elle.
(*) Prénoms d'emprunt
Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : Jean-Luc Flémal