Le tour du monde positif en 365 jours

Jonathan et Pascale ont renoncé à une vie confortable pour prendre la route.
Pendant un an, ils sont partis à la rencontre de projets et de personnes qui, à leur échelle, essaient d'avoir une action positive sur le monde.

Reportage 

Valentine Van Vyve et Gilles Toussaint

Retrouver du sens, tout plaquer, s’alléger… Nombreux sont ceux qui sont traversés par ces aspirations. En 2017, Jonathan Bradfer et sa compagne Pascale Sury ont franchi le pas pour se lancer dans un tour du monde des initiatives positives. Un choix radical qui est le fruit d’un cheminement personnel.

“L’idée première, c’était de bourlinguer et d’aller à la rencontre des gens qui, à nos yeux, font quelque chose d’inspirant.”

On s’est rencontrés lors de nos études à l’Ihecs et c’est Pascale qui m’a donné le goût des voyages lointains”, explique le présentateur (en pause carrière) de la RTBF. Le couple, qui depuis une dizaine d’années avait déjà pour habitude de faire un voyage par an dans des contrées situées hors des sentiers battus touristiques, a finalement décidé de tout vendre et de se lancer. “Avoir travaillé dans le milieu des ONG, j’avais déjà commencé à construire mon boulot de “reporter du monde positif”. C’était avant le film Demain, sourit Pascale. Je suppose que j’ai donné des idées à Jonathan, qui se questionnait par ailleurs sur le sens du journalisme et des mauvaises nouvelles qu’il annonçait quotidiennement.”

“La grande force de Pascale, c’est qu’elle n’avait pas de crainte”, embraie l’intéressé. Pour sa part, il lui a fallu un peu de temps pour mûrir cette décision. “Je me suis fait aider par une coach qui m’a aidé à déconstruire, en partie en tout cas, mes peurs : de perdre mes amis, de regretter d’avoir vendu la maison, de manquer d’argent, de saborder ma carrière… On peut construire son changement de vie. On ne doit pas sauter d’une falaise.”
Le fait de pouvoir revenir à son travail, le cas échéant, et que la RTBF ait marqué son intérêt pour les chroniques et les documentaires qu’ils réaliseraient à l’occasion de ce voyage a aussi contribué à le libérer, reconnaît-il avec honnêteté.

© Marie Russillo

© Marie Russillo

Agir positivement, chacun à son échelle

Parler d’acteurs de changements positifs, ne signifie pas forcément se lancer à la recherche du dernier “start-upper” ou “transitionneur” à la mode, expliquent-ils encore. “Le fil rouge, c’est que nous voulions être bousculés et, à travers ce que l’on ressent, le transmettre. Parfois, on pourrait dire que c’est très local, ce que nous montrons. Mais nous voulions que le Belge se dise : si lui fait ça, moi aussi, je pourrais faire quelque chose. Même si c’est un truc qui n’a peut-être rien à voir”, éclaire Pascal. “Chacun, à notre petite échelle, nous pouvons faire quelque chose de positif pour nos conjoints, nos enfants, nos voisins… Ce n’est pas la taille qui compte, mais la démarche”, ajoute Pascale. “Le monde positif, ce sont aussi les valeurs qu’ils défendent et les modes de vie que l’on juge plus sains, par rapport à nos sociétés consuméristes.”

« En Éthiopie, le chef d'une communauté de 4000 personnes dans une région très aride a pensé à développer une série de techniques agricoles pour garder l'eau qui ne tombe que quelques semaines par an. Aujourd'hui, c'est un oasis dans lequel les gens vivent et se nourrissent. »

Au Bangladesh, le couple a ainsi fait la connaissance de Runa Khan, une femme musulmane qui a créé l’ONG Friendship pour venir en aide aux miséreux qui vivent sur les “chars”, des îles éphémères qui se forment naturellement sur les fleuves du delta du Bengale. “Ce sont les gens les plus pauvres qui s’installent sur ces sites où il n’y a rien : aucun service public, aucune structure pour l’éducation, pour les soins… Friendship aide notamment à la création d'emploi, elle éduque les femmes et lutte contre le mariage forcé, elle délivre des soins de santé avec un bateau hôpital… Runa Khan est à la tête de 1800 personnes et a une aura incroyable.”

Leur rencontre avec le Belge Philippe Beckaert, expatrié en Colombie, les a également marqués. “Il a créé la vallée de “Mondo Nuevo”, raconte Jonathan. Il veut montrer que l’on peut créer un nouveau monde autosuffisant, respectueux de la nature et des hommes. Ils vivent en communauté et se rémunèrent de manière équitable. Les décisions se prennent en commun. Ils pratiquent la permaculture et travaillent avec les indiens qui habitent les lieux.”

Au nord de la Norvège, dans une ville du Svalbard marquée par le taux le plus élevé de CO2 par habitant parce que tout doit être importé, ils ont également croisé Benjamin Vidmar, un habitant qui teste toutes les techniques de la permaculture pour produire des légumes. “Il pense que si ça marche en région polaire, on pourra les appliquer partout ailleurs.

"On a appris le sens de l'essentiel"

Avant de partir, vous avez vendu maison et voiture. S'alléger faisait aussi partie de la dynamique ?

Jonathan Bradfer. Le jour où j’ai dit à Pascale que j’étais prêt, elle m’a répondu : “D’accord, on fait ça… Mais alors on vend tout !” Je me suis demandé où elle s’arrêterait ! En y réfléchissant, je me suis dit que c’était une manière de rejoindre des valeurs de minimalisme et de sobriété heureuse qui nous portaient depuis des années. On s’est dit que l’on vivrait cette aventure personnelle et professionnelle en y ajoutant cette dimension que l’on a toujours voulu tester, de s’alléger vraiment de tout. Est-ce vrai qu’on se sent plus libre et plus heureux ?

Pascale Sury. En partant, on a laissé cinquante caisses. Après un an, on a encore fait le tri pour n’en avoir plus que vingt. Quand on reviendra de notre prochain voyage, peut-être y en aura-t-il encore moins ? On se rend compte aujourd’hui que moins on en a, mieux on se sent. Je ne me suis pas vue retourner dans notre maison. J’aurais trouvé cela complètement déprimant. Quand on part un an, on ne revient pas avec le même regard. Je savais que ça allait changer notre vie.

Qu'est-ce qui a changé suite à cette expérience ?

P.S. Ce qui a changé en moi, c’est probablement la prise de conscience de ce qui est essentiel. Mais à Hawaï et en Australie, on était quand même content d’aller au supermarché. Forcément, on est comme cela car on a connu le luxe que le Papou, par exemple, n’a pas connu. Ce n’est donc pas facile de retourner à une certaine sobriété.

J.B. Ce qui a vraiment changé, c’est effectivement le sens de l’essentiel parce que, encore maintenant, en Belgique, ce qui nous importe c’est que ce soit juste, que l’on se sente bien dans ce que l’on fait. Depuis que l’on est rentrés, le 6 octobre, nous sommes nomades dans notre pays. Nous n’avons qu’une mini-garde-robe, une mini-chambre, une petite voiture à prêter. Et c’est suffisant. Nous avons la chance de pouvoir compter sur le soutien de notre famille et de nos amis. Nous n’avons aucun regret.

La sobriété heureuse que vous évoquiez, c'est la solution ?

J.B. En Papouasie, où le niveau de développement est diamétralement opposé au nôtre, nous étions sur une île de 1 km2. Le monsieur qui nous a accueillis tenait, sans le savoir, un discours sur la sobriété heureuse. Il disait : “Vous les “White skin”, vous habitez en ville, vous devez gagner beaucoup d’argent parce que vous devez beaucoup dépenser pour vous nourrir, notamment. Nous, on est libres et heureux : on cultive et on pêche."
Cette manière de vivre est, je pense, une grande réponse à la quête du bonheur qui obsède beaucoup l’Occident. On a d’ailleurs jamais autant parlé et écrit sur cette notion du bonheur.
On n’aime pas pour autant le discours qui consiste à dire “Ils sont pauvres mais ils sont heureux”, parce que les personnes que nous avons rencontrées font face à plein de difficultés. Mais en tout cas, ce sens de la satisfaction, qui est plus vite atteint chez eux, est sans doute une grande réponse à la quête du bonheur. Dans certaines communautés, avoir de la nourriture, un toit et la santé font déjà tout le bonheur. C’est effectivement ce sens de la satiété qui est altéré dans nos sociétés .

Retrouver le lien avec la nature

“On s’est inscrit dans une démarche qui est idéaliste, mais pas naïve”, répondent-ils par avance à ceux qui pourraient les taxer d’angélisme. “On sait que le monde va mal. On ne veut pas être donneur de leçons, mais simplement montrer qu’il existe d’autres modèles de société que le nôtre, que des gens vivent autrement.”

“La dimension du collectif est essentielle. Je pense que si chacun est à sa place, les étincelles feront un feu d’artifice.”
Pascale

Le plus marquant, au fil de ces rencontres, est le lien qui unit encore nombre de populations à la nature. “Ce lien est encore extraordinaire dans bon nombre de communautés. On l’a perdu dans nos sociétés de béton. Eux sont conscients que la nature donne absolument tout, la respecter est évident. Ils ont bien compris ce que le réchauffement climatique veut dire et sur qui il tombera en premier.”

“Tous ces gens ont réussi à mettre sur pied un projet constructif sur base de leurs talents et de leurs passions. Si on arrive tous à se dire : ‘Quelle est ma passion ? Quel est mon talent ? Et que puis-je construire qui va me nourrir, moi, ma famille et peut-être la communauté ? Alors le monde tournera mieux”, affirment-ils avec conviction.

Le monde doit et va changer

Cette aventure et ces rencontres ont en tout cas soudé le couple qui “ne s’est jamais tant aimé” et ne nourrit pas le moindre regret. “On s’est rendu compte de la chance que l’on avait de pouvoir voyager et d’être né dans un pays riche. Cela nous a permis de prendre conscience de ce qui est vraiment essentiel.”

De retour en Belgique et alors que la première de leur film “Un monde positif”, vient tout juste d’avoir lieu, ils sont les premiers surpris de l’énorme engouement manifesté pour leur démarche. “On répond visiblement à une attente que l’on n’avait pas anticipée. On voit que les gens sont en recherche d’autre chose”, observe Jonathan qui se montre aujourd’hui “assez optimiste sur l’avenir de nos sociétés car des choses se construisent partout.”

Mais les choses “ne bougeront pas toutes seules d’en haut”, complète-t-il. “C’est le mouvement des citoyens qui fera bouger les pouvoirs politiques et économiques. Il faut absolument que le milieu économique, le milieu institutionnel politique et les citoyens se mettent ensemble pour passer à l’échelon supérieur et construire quelque chose de structurel. C’est une évidence que les gens vont se faire entendre. Que ceux qui ont tendance à vivre dans une tour d’ivoire ne pourront plus fermer les yeux.”

Au printemps, Jonathan et Pascale s’apprêtent déjà à reprendre leur sac à dos pour repartir en quête de nouvelles rencontres inspirantes. En prenant davantage encore le temps… de vivre pleinement.

Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : Pascale Sury, Marie Russillo

Cette année de voyage donnera lieu à une série de huit documentaires couvrant autant de pays. Ils devraient être diffusés sur la RTBF. Un livre paraîtra également début mars.