Des "handi-sitters"
tendent la main
aux familles de personnes handicapés

©Reporter

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Trois jeunes Bruxellois(es) ont lancé Handyfriend, une plate-forme d'économie collaborative qui met en relation des parents d'enfants handicapés et des aidants.
Ceux-ci peuvent leur apporter un peu de répit en jouant occasionnellement les "handi-sitters".

Reportage 

Gilles Toussaint et Valentine Van Vyve

C'est une demande souvent entendue chez les parents dont un enfant est atteint d'un handicap : pouvoir souffler. Souffler ou à tout moins bénéficier d'un soutien lors de certaines activités.

Une réalité à laquelle a souvent été confrontée Marine de Beaudignies. « C'est une thématique à laquelle je suis sensible parce que j'ai un cousin qui est dans cette situation et dont je suis très proche. Après mes études en communication, j'ai travaillé dans plusieurs centres d'accueil pour personnes handicapées et j'ai remarqué la charge qui pesait sur ces familles. D'autant que les places manquent dans ces centres et qu'il y a des listes d'attente de plusieurs années parfois », nous expliquait-elle il y a un an, alors qu'avec ses amis proches, Solange de Theux et Quentin Petit, la jeune femme planchait sur un moyen d'apporter une réponse à ce besoin de répit.

HandyFriend

HandyFriend

Douze mois plus tard, nous les avons retrouvés. Eux et certains bénéficiaires de la solution qu'ils ont aujourd'hui concrétisée : une plate-forme en ligne baptisée Handyfriend.

« C'est un service qui permet de mettre en relation des familles dont un membre est atteint d'un handicap - mental ou physique chez une personne mineure ou majeure - avec des aidants ».
Marine de Beaudignies

« Nous ciblons principalement des étudiants ou des diplômés dans le domaine social, médical ou paramédical, mais ce n'est pas exclusif, précise-t-elle. Il ne faut pas obligatoirement une expérience dans le domaine du handicap, c'est la motivation qui compte. »

Un service « essentiel »

Sur papier, le projet lancé en juillet dernier avait reçu un accueil enthousiaste des associations et des familles à qui elles l'avaient soumis. Six mois plus tard, les expériences de terrain montrent que le trio a eu raison de s'accrocher.

Valérie Van Voorst a découvert ce service « par hasard » sur Facebook. « Cela tombait vraiment bien, parce que mes parents partaient en vacances deux mois plus tard et que l'on devait justement trouver une solution » pour pallier leur absence, explique la jeune femme de 32 ans. Certes, ses frères et sœurs peuvent l'aider. « Mais ils ne vont pas tout arrêter pour s'occuper de moi. Ils ont cours, travaillent,... ». Elle s'est donc inscrite sur la plateforme, espérant y trouver un service « quasiment inexistant » mais « essentiel » dans le paysage de l'aide à la personne handicapée.

« Cette initiative vient combler un manque. Sans cela, ce sont les parents et les familles qui doivent constamment s'adapter. »
Valérie

Une expérience concluante. Valérie considère Handyfriend comme un outil rassurant, tant pour la personne bénéficiaire que pour son entourage.

« Il est évident que Handyfriend répond à des besoins existants dans le secteur du handicap », renchérit Charlotte Witmeur. Inscrite en tant qu'aidante sur la plate-forme, cette ergothérapeute en a fait le constat dans sa pratique professionnelle.
Depuis le mois d'octobre, elle accompagne une fois par mois quatre jeunes adultes, trisomiques ou schizophrènes, lors d'activités qu'ils choisissent eux-mêmes. « Leurs parents voulaient éviter qu'ils tournent trop en rond le week-end et leur permettre de faire des choses en dehors du cercle familial.
Ce service – qui est davantage une présence qu'un encadrement
n'existe pas réellement. Or, les activités et loisirs sont primordiaux et permettent de donner du sens, de l'autonomie, une certaine liberté de choix et de mouvement à la personne », argumente-t-elle.
S'impliquer dans la démarche, en plus de son travail, fait d'ailleurs sens pour elle. « Cela offre une autre perspective, me permet d'apprendre encore. C'est porteur tant dans dans ma vie professionnelle que personnelle. »

Créer un esprit de communauté

Si le rôle de Handyfriend est en quelque sorte d'être une passerelle permettant cette mise en relation, certaines balises encadrent néanmoins le choix des aidants, complète Solange. « Nous avons une rencontre préalable avec eux afin de voir s'ils s'inscrivent bien dans la philosophie de cette communauté Handyfriend. Et ils doivent également signer une charte des aidants qui comprend notamment un engagement de confidentialité vis-à-vis des personnes dont ils sont amenés à s'occuper. »

En pratique, les familles intéressées doivent s'inscrire sur le site et remplir un document assez fouillé. Baptisé le « passeport », celui-ci permet de rassembler un maximum d'informations utiles (personne concernée, type de handicap, besoins spécifiques…) afin de pouvoir offrir le service le plus adapté aux attentes et de faciliter la suite des opérations.
« J'ai donné avec transparence et dans les détails toutes les informations sur ce dont j'ai besoin quotidiennement : aider l'infirmière à me mettre sur ma chaise, me conduire au travail, préparer à manger, installer mon respirateur », énumère Valérie, professeur de néerlandais dans le Brabant Wallon.
Aucun acte médical n'est requis. « Pour cela, une infirmière passe tous les matins », précise-t-elle.

Une fois cette étape franchie, la famille peut envoyer sa demande de prestation qui sera réceptionnée par les administratrices de Handyfriend. « Sur base de cette demande, nous rédigeons une fiche d'information que nous communiquons à la communauté des aidants via un groupe fermé sur Facebook. Une fois que les aidants intéressés et disponibles se sont manifestés nous leur communiquons le « passeport » rempli par le demandeur » . Bien que quelque peu fastidieuse à compléter, cette fiche s'avère indispensable pour l'aidant.

« On y retrouve toutes les informations dont on a besoin pour se dire apte ou non. On sait alors ce qui nous attend. »
Charlotte

« On soumet alors ces candidats au demandeur, qui fera son choix », complète Solange. Dans tous les cas, les deux parties conservent la possibilité de refuser la prestation si d'aventure le courant ne passe pas.

La rencontre de Valérie avec Caroline, plus âgée qu'elle, se passe en toute simplicité. « J'ai eu confiance d'emblée », se souvient la première. Quelques semaines plus tard, Caroline s'est installée chez elle pendant quelques jours.

« Elle était super-flexible et sa manière de faire, tout à fait appropriée. Elle a en quelque sorte pris le rôle d'une mère, sans m'infantiliser. »
Valérie

Au fil des heures, une relation se tisse entre les deux femmes. « Cela dépasse l'aide », confie Valérie. Chacune y met un peu d'elle-même. « On dépasse ce rapport aidant-demandeur. Les liens sont différents », commente pour sa part Charlotte.

Après chaque prestation, un feed-back est fait auprès des aidants et des demandeurs afin « d’évaluer comment les choses se sont passées et de voir comment adapter les services offerts », ajoute Solange.

Sous le signe de l'économie collaborative

Le tarif, initialement fixé aux alentours de celui demandé pour du baby-sitting, lui est relativement plus élevé : 12 euros/heure. « C'est un prix viable pour tout le monde. Nous fonctionnerons sous le régime légal de l'économie collaborative », soulignent les deux fondatrices. « De cette manière, l'aidant peut conserver son statut, qu'il soit étudiant ou chercheur d'emploi, à condition de ne pas gagner plus de 5100 euros bruts par an. Dix pour cent des montants gagnés en effectuant ces prestations iront aux impôts ; 10 à 15 % reviendront à Handyfriend et le reste à l'aidant. Il ne faut pas que cela devienne un job en tant que tel, mais qu'ils s'engagent dans la communauté avec une implication personnelle. Et cette formule a l'avantage de ne pas être trop contraignante.»

« Si c'est agréable d'être rémunéré pour le service offert, ce n'est clairement pas la motivation première. Je suis surtout heureuse de participer à ce qu'un accompagnement de qualité soit abordable pour le plus grand nombre », commente Charlotte.

Casser des barrières

Pour Valérie, sortir du « tout médical » a son importance. « Outre la famille, les aidants sont souvent issus du monde médical. Or, le service que l'on demande n'est pas toujours de cet ordre. C'est un signal important, de dire que l'aide peut venir d'une personne n'appartenant pas à ce domaine-là, que d'autres personnes sont capables. »

« Cela peut aussi aider à casser des barrières ou des peurs, souvent liées à l'inconnu, vis-à-vis du handicap. »
Valérie

Satisfaite de son expérience, elle la réitérera au printemps. D'une aide ponctuelle à une assistance structurelle, une liberté est également laissée quant au choix des services rendus : pour une soirée, un week-end entier, le temps d'un accompagnement en vacances, une heure chaque jour…
C'est justement la flexibilité et la possibilité d'un service sur mesure qui sont recherchées par l'ensemble des acteurs. « Nous ne mettons pas de freins. Les filtres se font d'eux-mêmes si une demande ne rencontre aucune disponibilité », expliquent encore Marine et Solange.

« Il y a un manque de demandes mais pas de besoins. »
Solange

Actuellement, l'offre d'aidants (une centaine d'inscrits) est supérieure à la demande. Une trentaine de « mise en relation » ont été effectuées en six mois. Du temps, c'est justement ce qui est nécessaire pour « instaurer la confiance » et convaincre les (familles de) personnes handicapées à « sauter le pas », pense Solange. « C'est un service qui sort de l'ordinaire. Il y a donc une réticence à abandonner les habitudes. »

Après Bruxelles et le Brabant Wallon, Handyfriend espère s'implanter ailleurs en Wallonie et, à l'horizon 2020, en Flandre.

Vidéo : Gilles Toussaint