Des applications au secours de la consommation responsable

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Les applications pour smartphone Too good to go et BuyOrNot permettent aux consommateurs de lutter contre le gaspillage alimentaire et de s'informer sur l'impact sociétal et sanitaire des produits qu'ils achètent.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Un petit gâteau, une baguette, quelques viennoiseries. Voila ce que l'utilisateur de Too good to go trouvera en cette fin de journée dans le « panier surprise » confectionné par Ginkgo. Comme chaque jour, cette boulangerie pâtisserie bruxelloise écoulera à moindre coût ses invendus grâce à cette application. Le concept, venu du Danemark, a débarqué en Belgique il y a quelques mois à peine, mais fait déjà des émules.

En 2016, quatre amis danois profitent d'un buffet. À la fin du repas, ils constatent que tout ce qui reste sur les tables et qui n'a pas été touché, sera jeté. « Ils se sont dit qu'il fallait construire une solution pour éviter ce gaspillage. Car ce qui se faisait là se faisait certainement ailleurs », raconte Frédéric Ryez, « waste warrior » et responsable des ventes à Bruxelles et en Région wallonne.

Sur fonds propres et quelques coups de pouce de donateurs, « Too good to go » voit le jour et fait de la lutte contre le gaspillage son premier combat. Celui-ci est justifié par des chiffres vertigineux : nous gaspillons 1/3 des aliments produits. À l'échelle européenne, 88 millions de tonnes de nourriture finissent à la poubelle tous les ans. Cela équivaut à 173 kg par personne chaque année. Chaque Belge jette en moyenne 345 kg de denrées alimentaires par an, ressort-il de l’Eurobaromètre réalisé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

1,4 milliard d'hectares de terres - soit 28% des superficies agricoles du monde - servent annuellement à produire de la nourriture perdue ou gaspillée.
Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

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Pour avoir un impact à plus grande échelle, Too good to go s'est étendu en Europe. La start-up est désormais présente dans neuf pays européens, dont la Belgique. Elle a d'abord pris ses marques à Gand avant d’essaimer ailleurs en Flandre, à Bruxelles (juin 2018), puis à Liège et Namur, avec l'ambition d'aller proposer ses services à Charleroi et à Mons.

Ce qui est produit est consommé

« La vision, c'est celle qui consiste à dire que la nourriture produite équivaut à la nourriture consommée, résume le chasseur de déchets. Il n'y a donc plus de perte ». De cette vision,Too good to go a fait sa mission première : « Diminuer le gaspillage alimentaire de manière substantielle ». Comment ? « En revalorisant les invendus des commerçants. »

Le principe est assez simple : chaque jour en fin de journée, les commerçants mettent à disposition des utilisateurs de l'application « Too good to go » des « paniers surprises » constitués d'aliments invendus le jour même. Un panier vendu pour un tiers du prix en magasin. « La question du prix est essentielle : il doit être bas pour que les consommateurs y voient un intérêt financier ; mais il doit aussi être juste, pour que le commerçant s'y retrouve ».

« Globalement, cela couvre le prix de la matière première et les coûts de production. On ne gagne pas d'argent, mais on a la satisfaction, à la fin de la journée, de ne rien jeter. »
Céline Kasiers, gérante d’une boulangerie pâtisserie bruxelloise.

Hôtels, commerces, restaurants, boulangeries, sandwicheries et autres bars à salade participent à l'initiative et son rassurés par « la garantie d'une structure et d'une logistique opérationnelle », pense Frédéric Ryez.

« Certains y voient une manière de récupérer un peu d'argent, ou une manière de gagner en visibilité. D'autres s'impliquent avant tout pour les valeurs défendues par Too good to go et auxquelles ils adhèrent : une économie plus respectueuse de l'environnement et solidaire » , analyse Frédéric Ryez. « J'étais un peu dubitative, au début, mais finalement, cela fonctionne très bien. Les paniers trouvent toujours preneurs », se réjouit Céline Kasiers.

En plus de limiter le gaspillage, on permet à des personnes qui ont moins de moyens financiers d'avoir accès à nos produits. Tout le monde est gagnant. »
Céline Kasiers, commerçante.

Un peu avant l'heure de la fermeture, le consommateur pourra venir chercher son panier.

Aujourd'hui, Too good to go compte 1 300 commerçants, dont 300 à Bruxelles. Des chiffres en constante progression qui « illustrent la prise de conscience quant à l’urgence d’agir », analyse Frédéric Ryez.

Limiter le délit de sale gueule

Un légume ou un fruit cabossé sera souvent retiré des rayons. Il est pourtant tout aussi souvent bon à la consommation. Devant ce délit de sale gueule, Graapz s'est fixé comme objectif de revaloriser ces aliments invendus sous forme, là aussi, de paniers surprise à bas prix à collecter directement auprès des commerces de proximité.

« D'une part, nous avons une clientèle au pouvoir d'achat fort et sensible au gaspillage et à son impact écologique. D'autre part, on s'adresse à un public plus précarisé et peut-être moins conscient des enjeux écologiques et leur facilitons l'accès à une alimentation seine et de qualité », précise Elsa Cuny, responsable du développement du projet en Belgique. Du côté des commerces, l'enjeu tient plus de l'attention donnée au développement durable -et de la visibilité des enseignes sur cette questions- que d'un réel avantage financier.

Présente dans les commerces de proximité belges depuis le mois d'octobre, Graapz compte déjà une trentaine de partenaires. En deux mois, 300 kg de fruits et légumes y ont été revalorisés.

Outil intéressant : via la plateforme, chacun peut mesurer la quantité d'eau économisée, le rejet de carbone évité et la surface de terres agricoles préservées grâce à ses achats.

Peser sur les décisions

Too good to go a à cœur de poursuivre « l’augmentation du nombre d’utilisateurs réunis dans une communauté autour d’un projet qui fait sens ». Mais au-delà de son « core business », la start up souhaite avoir un impact sur le changement des mentalités et espère, pour ce faire, développer un pôle éducation qui la verrait intervenir en milieu scolaire.

200 000 personnes ont téléchargé l'application
104 000 repas ont été sauvés en quelques mois
1 200 paniers sont distribués quotidiennement

Dans leur lutte anti-gaspi, ses fondateurs entendent aussi peser sur les décisions politiques. « Nous pouvons pousser sur certains leviers. Mais certaines règles, comme celle de faciliter l’économie de don, doivent être changées par le pouvoir politique. D’autres doivent l’être par les industries », soulève Frédéric Ryez. Plusieurs filiales de Too good to go ont dès lors mis en place un système de pétition permettant au consommateur d’agir autrement que par l’acte d’achat.

Vidéo : Valentine Van Vyve

L'impact sur la santé et la société en un scan

« Au bout de la chaîne, on consomme des produits dont on ne cautionne pas les méthodes de fabrication. La frustration qui en résulte nous a poussés à agir. L'urgence nous oblige à des actions pragmatiques qui apportent des résultats concrets ». Scandalisé par « les dérives des multinationales », le Français Levent Acar lance avec son frère Burent, BuyOrNot. Cette application répertorie 600 000 produits alimentaires. Pour chacun d'eux, en un coup de scan via l'application, le consommateur a accès à deux types d'informations lui permettant d'en connaître l'impact sociétal et sur la santé. « L'impact au niveau des nutriments, des additifs, de la transformation d'un produit, ne suffisent pas, selon nous, pour qu'un produit soit sain », explique Levent Acar.

L'éthique, un facteur de risque

Puisque « aujourd'hui, l'éthique n'a pas de poids dans le système économique », dit-il, il a décidé de lui redonner une place de choix qui s'assimile à un « facteur de risque ». Ainsi, « le volet sociétal prend en compte l'impact écologique, la manière de production ainsi que le lien de l'entreprise avec des scandales économiques ou sociétaux. On se rend compte qu'en consommant un produit, même sain, on nourrit une activité économique pas forcément positive pour la planète. C'est cette information qu'il faut pouvoir faire parvenir aux consommateurs», pense-t-il. Car, « dans une société de consommation, l'acteur clé, c'est lui ! »

Interpeller les entreprises

En plus de lui donner de l'information, BuyOrNot a mis en place un moyen d'agir concret sous la forme du « boycott bienveillant ». « Le fait de ne pas acheter est une solution et permet de peser sur les pratiques des entreprises ». C'est d'autant plus le cas, dit-il, grâce à une fonctionnalité permettant aux consommateurs de participer à des campagnes de boycott pour faire entendre leurs revendications et impulser une logique différente.

L'interface donne aux entreprises incriminées un droit de réponse. « C'est un contre-pouvoir citoyen dans le cadre d'un dialogue qui se veut constructif » entre les entreprises et les consommateurs.