Contre le harcèlement scolaire, la lutte doit être globale

©Michel Tonneau

©Michel Tonneau

Le harcèlement a pris une ampleur inédite avec les réseaux sociaux. L’Athénée d’Esneux, pour le déjouer, travaille sur différents plans.
Des solutions existent, à l'école comme à la maison.
Inspire a rencontré la conseillère en accrochage de l'école liégeoise. Un poste essentiel dans le dispositif de lutte contre le harcèlement.

Reportage 

Bosco d'Otreppe

Le bureau est cerné de toutes parts. La petite pièce lumineuse dans laquelle Laurence Gubbels reçoit les élèves qui viennent frapper à sa porte résonne des classes qui l’entourent. Et ce n’est pas anodin. La conseillère en accrochage scolaire de l’Athénée royal d’Esneux entend être au cœur de la vie de l’école. Dix-huit heures par semaine, elle accueille les élèves qui éprouvent des difficultés, et elle coordonne la formation des enseignants qui gèrent une heure hebdomadaire de vivre ensemble dans les classes de première secondaire.

Son poste, la préfète des études de l’athénée Brigitte Lincé a pu l’organiser en 2016 grâce à deux appels à projets auxquels l’établissement a répondu. “C’est en discernant son utilité que nous avons décidé, au-delà de cet appel à projet, de lui permettre de perdurer dans le temps.”

Au cœur de l’école

À l’athénée, la conseillère en accrochage scolaire est devenue une des personnalités centrales vers laquelle des élèves se tournent et qu’elle renvoie à son tour, quand la nécessité l’impose, vers des éducateurs, des titulaires ou des psychologues.

Un des cœurs de sa mission demeure la lutte contre le harcèlement et le cyber-harcèlement “dont l’enjeu, insiste-t-elle, est important.” Cette lutte, et c’est pour cela qu’elle souhaite être au cœur de l’école, ne peut pas faire l’objet d’un travail spécifique, précise-t-elle dans la foulée.

C’est en favorisant avant tout un bon climat scolaire, en encourageant de bonnes relations entre élèves, avec les enseignants ou avec les parents que l’on déjoue ce fléau.
Laurence Gubbels, conseillère en accrochage

Le combat est donc avant tout global.

Depuis l’Université de la Paix à Namur, Alexandre Castanheira ne dit pas autre chose. Avec son ASBL, il a formé et accompagné une cinquantaine d’écoles en trois ans. “La plupart des cas de cyber-harcèlement auquel nous faisons face touchent des élèves qui étaient déjà en relation en dehors des réseaux sociaux. C’est donc en travaillant sur des bonnes relations entre élèves que l’on diminue les risques de tensions, de conflits et de harcèlement.”

L’effet cockpit

Le harcèlement – tous trois le définissent de la sorte – est un conflit répété dans la durée entre une personne ou un groupe d’une part, et une victime d’autre part qui ne parvient pas à se défendre et est soumis à un rapport de force physique, verbal ou psychologique.

La soumission est telle que cette personne ne voit pas comment s’en sortir, se sent dans une véritable impasse, jusqu’à parfois se murer dans le silence, ayant peur des retombées que pourrait causer sa parole.

“Ce phénomène a toujours existé. Il y a toujours eu des têtes de Turcs”, explique Brigitte Lincé. Et cela particulièrement durant l’adolescence, cette période où la norme fait loi, et durant laquelle celui qui en déroge est rapidement épinglé. Cette période de construction identitaire voit également la question de l’image de soi prendre une place importante.

Mais si le harcèlement a donc toujours existé, il trouve avec les réseaux sociaux et internet une caisse de résonance inédite.

35 % - Évaluation du nombre de jeunes, particulièrement en début du secondaire, qui sont concernés par le harcèlement en tant que harceleur, victime ou témoin.

Si les réseaux sociaux participent à la gravité du phénomène, c’est parce qu’ils “engendrent un effet cockpit, explique Alexandre Castanheira. On a moins d’empathie envers l’autre car on n’est pas en contact direct avec lui.” De plus, internet donne au harcèlement une ampleur d’envergure. “Avant, on se disputait à l’école puis on pouvait revenir chez soi y souffler et y connaître un moment de répit. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Devant une audience beaucoup plus importante, un jeune peut être harcelé nuit et jour”, s’inquiète Brigitte Lincé.

Briser le silence

L’Athénée d’Esneux a installé des “boîtes aux lettres” où les élèves qui craignent de parler directement des difficultés qu’ils rencontrent ou observent et peuvent venir déposer un mot dans la discrétion. “La pire des choses, c’est le silence des témoins ou des victimes qui ont peur que s’ils parlent ce sera pire, sans que rien ne soit résolu”, explique Laurence Gubbels.

Avec l’Université de la Paix, Alexandre Castanheira a accompagné la mise en place d’une quinzaine de groupes d’écoutants. “L’initiative est partie d’élèves qui constataient que les jeunes de leur école se tournaient davantage vers eux que vers des adultes. On a donc écrit une "charte des écoutants". Ils aident et écoutent leurs condisciples avant d’éventuellement les rediriger vers des adultes.”

Pas de smartphone dans la chambre

“Les jeunes filles se font parfois abuser de manière numérique. On leur demande d’envoyer des photos intimes d’elles, et elles ne réalisent pas la dangerosité de ces démarches. Je conseille donc aux parents d’éviter que leurs enfants aient un ordinateur ou un smartphone dans leur chambre. Ils pourront répondre, parfois de manière impulsive, toute la nuit. Je dis également aux parents qui ne connaissent pas les réseaux de se former, de se renseigner”, insiste Laurence Gubbels.

“Les parents gagneraient à se former pour communiquer au mieux avec leurs ados, ajoute Alexandre Castanheira. À cet âge-là on se forge une identité davantage avec ses pairs. Elle se travaille donc en dehors du regard des adultes. Ce phénomène est accru avec les réseaux sociaux. Le décallage entre les parents et les enfants peut être important, ce qui rend le signalement de situations de harcèlement complexe. La qualité de la relation entre parents et enfants est donc très importante dans la prévention au harcèlement.

À cela s’ajoute l’importance démultipliée que l’adolescent accorde à son image sous l’influence des réseaux sociaux, mais aussi le fait que les jeunes n’ont pas conscience de ce qu’est une bonne utilisation de ces réseaux. “Ne pas accepter des inconnus comme amis, ne pas se dévoiler en photo, cela nous paraît évident. Ce n’est pas toujours le cas pour eux.

"À 13 ans, ils n’ont pas la notion de l’intimité. Ils ne se rendent pas compte non plus de l’impact de leurs mots, de l’humiliation et de la violence ressenties par ceux qui les subissent publiquement."
Laurence Gubbels

“Un des objectifs est donc aussi, dès la première secondaire, de leur apprendre à bien utiliser les applications, à connaître les paramètres de confidentialité par exemple. Ils ne sont pas suffisamment armés pour utiliser de tels outils.”

La place du smartphone

Pour aider ses 640 élèves à traverser l’adolescence sans trop de dommages, l’Athénée d’Esneux est donc sur tous les fronts. Celui du climat général de l’école et des classes qui a un impact direct sur le bien-être et la réussite ; celui sur la sensibilisation plus spécifique à l’utilisation des réseaux sociaux ; celui enfin sur la lutte contre le silence qui entoure trop souvent le harcèlement. Une question y demeure cependant en suspend. Que faire des smartphones à l’école dont la présence autorisée dans la cour ne favoriserait pas toujours la qualité des relations ?

“On réfléchit à interdire totalement les smartphones, mais une telle interdiction est difficile à organiser.”
Brigitte Lincé, préfète

Elle essaye du coup d’accompagner au mieux l’utilisation des téléphones.

Dans la cour en effet, alors que de nombreux élèves semblent ancrés en leur écran, revient ce vieux constat de Bernanos qui regrettait que la civilisation moderne s’apparentait à “une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure”. Or, cette vie intérieure à cultiver apporterait sans doute à son tour la capacité de résister au harcèlement, et de se construire en dehors de la seule image extérieure de soi.

Vidéo : Johanna Pierre

Photos : Michel Tonneau

Depuis 2016, la préfète des études de l'Athénée royal d’Esneux Brigitte Lincé a mis en place un poste de Conseillère en accrochage pour lutter contre le harcèlement scolaire. ©Michel Tonneau

Depuis 2016, la préfète des études de l'Athénée royal d’Esneux Brigitte Lincé a mis en place un poste de Conseillère en accrochage pour lutter contre le harcèlement scolaire. ©Michel Tonneau