La Micro Factory, un atelier
où on partage plus que des outils

©Jean-Luc Flémal

©Jean-Luc Flémal

À Anderlecht, la Micro Factory offre un espace d'inspiration et de co-création à des artisans professionnels ou des bricoleurs du dimanche.
L'opportunité de partager des équipements, des envies et des compétences. Et de relocaliser la production d'objets dans les villes.

Reportage 

Gilles Toussaint

Un petit coup de papier de verre par-ci, un dernier ajustement par-là. Sur fond de musique jazzy, Olivier met la dernière main à l'assemblage des boîtes à livres du Fonds Victor qui s'apprêtent à prendre place dans deux restaurants bruxellois.
Dans l'atelier métal, à quelques mètres de là, Sébastien termine de son côté la soudure d'éléments pour la fabrication de bibliothèques destinées à un café littéraire qui ouvrira bientôt ses portes dans le centre de la capitale.
Dans une autre salle, juste à côté de la table commune où l'on passe autant de temps à "faire de la conception sur ordinateur qu'à manger des bretzels", Rima façonne des accessoires de table en utilisant des techniques issues de la bijouterie...

Nous sommes à Anderlecht, à deux pas du canal, où la Micro Factory a établi ses quartiers dans un ancien bâtiment de Bruxelles-Propreté. Un vaste espace de 650 mètres carrés où se côtoient tant des artisans confirmés que des bricoleurs du dimanche ou des artistes.

"Nous sommes un atelier partagé dédié à la fabrication, où chacun travaille indépendamment sur ses propres projets. Cela permet de mettre en commun l'équipement et l'espace, mais surtout les connaissances et les compétences. Les relations humaines sont très importantes, on y tient très fort car c'est ça qui fait l'esprit de la Micro Factory."
Gilles Pinault, fondateur de la Micro Factory

"Ici, on est dans la zone soft. Cette cloison réalisée avec des vitres de récup' sépare ce qui est plus bruyant et poussiéreux de ce qui l'est moins. Là, c'est un coin dédié au travail du textile. Là, ce sont les équipements de sérigraphie et d'impression. Là, une table pour l'électronique. Là encore, une cabine pour faire de la peinture et les trucs qui puent...", explique Gilles Pinault, en nous faisant un petit tour du propriétaire, rythmé par une impressionnante énumération des outils que l'on peut y croiser : imprimante 3D, thermoformeuse, découpeuse laser, fraiseuse numérique pour métal, tour à bois…On en passe.

"On pourrait pointer le doigt dans n'importe quelle direction, je pourrais vous raconter une histoire à propos de la machine", sourit-il.

Un lieu pour passer de l'idée à la réalisation

Si une partie de ces équipements appartient à la Micro Factory, la plupart sont la propriété de ses utilisateurs qui les laissent à disposition de la communauté. "Le deal, c'est que les gens peuvent laisser leurs outils dans leur espace personnel ou dans le commun. S'ils sont dans le commun, c'est pour l'utilisation commune. Cela fonctionne beaucoup sur la confiance. Mais les gens s'y retrouvent car c'est un hébergement gratuit de leurs machines. Cela leur évite de devoir louer un lieu propre", poursuit Gilles.

Né dans l'esprit bouillonnant de notre guide, ce projet d'atelier partagé a mis quelques années à se construire. "Je suis architecte de formation, j'ai fait un peu de réalité virtuelle et je suis plutôt bricoleur un peu dans tout", résume-t-il. Entrepreneur aussi, puisqu'il fut l'un des cofondateurs de Softkinetic, cette petite société belge spécialisée dans l'imagerie 3D et les logiciels d'analyse de mouvement, revendue au géant Sony en 2016. "L'archétype de la start-up qui a grandi et qui fait le tour des investisseurs. J'ai vu que ce dont avait besoin la boîte maintenant, c'était plus de la gestion et des processus, que de développer des nouvelles idées. Je ne m'y retrouvais plus" , raconte Gilles.
Son truc à lui, c'est de faire des choses. Et, à l'évidence, il est rarement en manque d'imagination.

Trois ans plus tôt, il avait ainsi mis sur pied avec son épouse et quelques amis des rencontres régulières pour concrétiser "plein d'idées qu'on a toujours eues en tête sans prendre le temps de les réaliser". Des ateliers bricolage, donc, organisés dans les salons des uns et des autres. L'embryon de la Micro Factory voyait le jour.

Mais les participants se sont rapidement sentis à l'étroit. S'inspirant des "makerspaces" américains, ils se sont donc mis en recherche d'un local où ils pourraient plus largement laisser s'exprimer leur créativité tout en se partageant leurs outils. Ensemble, ils vont ainsi occuper "un squat d'artistes un peu pourri" à Saint-Gilles, puis un bâtiment en location temporaire dans le centre-ville.

En 2016, jour de la vente de Softkinetic, il décide de sauter le pas et de se consacrer totalement au projet Micro Factory. Il se met alors en quête d'un "vrai" bâtiment où celui-ci pourrait se développer et se structurer dans la durée. Rénové dans le cadre des projets soutenus par le fonds européen Feder, le bâtiment de Bruxelles-Propreté lui offre un point de chute idéal. "Nous avons obtenu un loyer réduit et un bail de dix ans. C'est important car on ne pouvait pas faire face au prix du marché. Cela nous a permis de faire des aménagements un peu ambitieux."

Passer en coopérative et gagner en impact

Si elle fonctionne un peu comme une association de fait, la Micro Factory a en pratique vu le jour sur base d'une SPRL liée aux anciennes activités de Gilles Pinault. "C'était plus simple pour démarrer. Techniquement, je suis le gérant, mais en pratique pas du tout", explique l'intéressé qui nourrit à présent le souhait de faire basculer le projet sous le statut de coopérative.
Un statut qui correspond davantage à l'esprit de partage qu'il veut encourager. "Cela permettra notamment de réaliser l'achat de machines en commun et d'impliquer tout le monde dans les décisions. Aujourd'hui, j'ai encore un effet limitant. Les gens n'osent pas faire certaines choses sans 'demander à Gilles'. Cela les aidera à se sentir chez eux."

Le projet, qu'il a financé en bonne part sur ses propres fonds avec quelques autres contributeurs, doit aussi évoluer pour atteindre l'équilibre économique, ce qui n'est pas le cas en l'état. "Notre ligne de flottaison se situe à 9000 euros par mois, ce qui signifie environ 200 utilisateurs. La coopérative permettra de prendre collectivement de nouvelles orientations. Veut-on se limiter à 30 membres hyper pros qui paient 300€ par mois ou 200 membres qui paient 45 € ? Ne faut-il pas fonctionner autrement que par mode d'abonnement et essayer de rémunérer la Micro Factory sur base des projets qui y sont réalisés, en mettant en avant la diversité des compétences qui y sont proposées ? On pourra prendre ces décisions ensemble", argumente-t-il.

Passer le seuil de la série

Actuellement, l'essentiel des réalisations qui sortent de ces ateliers sont des prototypes ou des pièces uniques. L'objectif est d'arriver à aller vers une production professionnelle d'objets en petites séries, ajoute encore Gilles Pinault. "Comment faire vingt tables par mois plutôt que trois ? Pour avoir un impact local au-delà des idées, il faut atteindre une dimension économique plus abordable. Si on veut relocaliser le travail et la production de produits dans les villes, transmettre les compétences, cela passe par une production accessible au plus grand nombre sans pour autant basculer dans le modèle Ikea." 

Un abonnement atelier plutôt que fitness

Deux ans plus tard, la Micro Factory compte 100 à 150 utilisateurs, qui ont souscrit à son système d'abonnement. "C'est un peu comme dans une salle de fitness. Nous proposons un système d'abonnement mensuel qui offre des plages d'accès flexibles pour 50 à 150 euros par mois", poursuit Gilles Pinault, qui insiste sur la dynamique de groupe poursuivie.

"Quelqu'un qui viendrait juste une heure pour utiliser les machines n'entre pas vraiment dans la philosophie voulue", qui consiste à faciliter les liens et la collaboration entre les participants. Ce sont, par exemple, les habitués qui assurent l'accueil des nouveaux visiteurs et accompagnent leurs premiers pas. Les "pros" conseillent également les "amateurs" et, de manière générale, la créativité et les compétences des uns et des autres se nourrissent mutuellement.

"C'est un gros plus sur le plan humain. Je viens ici pour ce côté partage et collaboration. On regarde le projet de l'autre en disant 'tu aurais pu faire comme ça ou comme ça'. C'est aussi une source d'inspiration : on voit le voisin en train de travailler sur une nouvelle technique ou une nouvelle matière, et ça donne envie d'essayer."
Olivier Parnet, artisan-ébéniste, utilisateur de la Micro Factory

C'est cet esprit qui a enthousiasmé Olivier qui, à côté de son travail dans le domaine des sondages d'opinion, a choisi de se lancer dans une activité d'artisan-ébéniste. "Plutôt que de m'installer dans mon petit sous-sol ou de louer un atelier seul, ça a été une évidence de venir ici dès ma première visite", raconte-t-il, en soulignant la convivialité et l'ambiance qui règnent à la Micro Factory.

"Chacun travaille sur ses projets, mais il y a un échange d'idées qui se fait lors des discussions et même dans la réalisation pratique. La pluridisciplinarité est un autre aspect intéressant qui m'a attiré : pouvoir passer d'un domaine à l'autre. Je suis notamment en train de me former au travail du métal, ce qui me permettra par exemple de proposer une table mariant deux matériaux. C'est vraiment une bouffée d'air de venir travailler ici."

Vidéo : Christel Lerebourg

Photos : Jean-Luc Flémal