Pour ne plus gaspiller le talent des personnes autistes

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Les personnes présentant un profil du spectre autistique ne franchissent que rarement les frontières du monde du travail.
Elles sont pourtant dotées de compétences remarquables grâce, justement, à cette particularité de leur personnalité.
Passwerk met en valeur ces talents en jouant l'intermédiaire avec les entreprises.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Sens aigu du détail, esprit de logique et d'analyse, capacité de concentration élevée, capacité à enchaîner les tâches répétitives, respect des consignes, minutie, mémoire visuelle, perfectionnisme, excellente mémoire, assiduité, travail structuré, forte concentration, loyauté...
La liste, non exhaustive, des qualités et compétences des personnes présentant un profil du spectre autistique (PSA) est longue. « Ils pensent autrement et c'est une force. Ils voient des choses que nous ne voyons pas parce que nous avons tendance à voir l'image globale alors qu'eux n'ont pas le sens des priorités et se focalisent donc sur chaque élément », commente Yolande Pacco, coach au sein de l'entreprise à finalité sociale Passwerk.

Plusieurs grandes entreprises, issues de différents secteurs, ont recours aux talents spéciaux des collaborateurs de Passwerk. Il y a quelques années, la Stib a ainsi fait appel à leurs services pour tester les nouveaux portillons d'accès du métro bruxellois.

Dirk Rombaut en est convaincu : les personnes présentant une forme d'autisme sont des atouts pour les entreprises et sont une plus-value dans le cadre des services de test de logiciels informatiques.

Actuellement, 11 "jobcoaches" suivent quotidiennement 92 personnes avec un profil du spectre autistique travaillant dans le secteur informatique.

Actuellement, 11 "jobcoaches" suivent quotidiennement 92 personnes avec un profil du spectre autistique travaillant dans le secteur informatique.

« Aujourd'hui, on gaspille des talents extraordinaires à cause d'une vision unique et inadaptée aux personnes présentant un profil du spectre autistique. »
Dirk Rombaut, cofondateur de Passwerk

« Prenez l'exemple d'un entretien d'embauche : la personne PSA est incapable de se vendre. Le CV ? Elle n'a pas conscience des bons usages ». Alors, Passwerk a décidé de s'adapter à elles, plutôt que l'inverse. « Nous sommes une coopérative à finalité sociale dont le but est d'intégrer économiquement le plus de personnes PSA », explique Dirk Rombaut.

"Ce n'est pas de la bienfaisance"

Procurer à des personnes atteintes d'autisme un emploi rémunér adapté au sein du département informatique d'une entreprise normale, voici la mission que s'est fixée Passwerk. L'entreprise à finalité sociale a pris exemple sur son homologue hollandais AudiTalent, dont elle a repris la philosophie, alliant performance économique et impact sociétal. « Les deux niveaux ont une importance équivalente », souligne le cofondateur, Dirk Rombaut. « Ce n'est pas de la bienfaisance. Il faut bien entendu avoir du cœur, mais un bon business model doit sous-tendre le tout.

Le coaching s'avère particulièrement important car les talents spéciaux peuvent alors s'exprimer pleinement », explique de son côté Paul Vermeer, directeur d'AutiTalent.

Le scan des bagages dans les aéroports

C'est ainsi que, depuis dix ans, Passwerk « constitue le maillon manquant entre les personnes autistes et le monde du travail », alors qu'aujourd'hui, une très grande majorité des personnes handicapées sont exclues de l'univers professionnel.

« En tant que parent, on ne peut que constater le manque d'initiatives et de structures publiques, raconte Isabelle Van de Wouwer. On se sent très seul, dès le diagnostic et pendant toute la prise en charge ».
Cette traductrice de formation, mère d'un garçon autiste, assumera bientôt le rôle de coach pour l'antenne francophone de Passwerk. « Je suis arrivée là grâce à mon fils. Il m'a montré les bons côtés de l'autisme », dit-elle.

« Nous voulons insuffler l'innovation », explique encore Dirk Rombaut. Raison pour laquelle il a mis les outils et le modèle développés par Passwerk à disposition gratuite de toutes les personnes désireuses de lancer une initiative similaire. Passwerk pourrait faire des petits au Canada, en Allemagne, en Russie, aux Philippines,... « C'est une problématique mondiale qu'il convient de traiter à ce niveau-là ».

Au-delà de s'étendre géographiquement, Passwerk a choisi d'élargir ses activités notamment au scan des bagages dans les aéroports.

Pas de diplôme mais une exigence de performance

« Il faut pouvoir faire du profit pour être viable », lâche sans naïveté Dirk Rombaut. Raison pour laquelle Passwerk se doit de présenter à ses entreprises clientes des collaborateurs performants. « Passwerk prend pour point de départ les qualités des personnes PSA. Nous sélectionnons celles qui disposent d'aptitudes normales (niveau égal à celui d'un master) à élevée, qui ont une bonne connaissance de l'anglais et un intérêt pour l'informatique ». « Deux semaines de test permettent d'instaurer une relation de confiance, de comprendre leur autisme, de voir s'ils sont capables d'être intégrés dans un environnement de travail », poursuit Yolande Pacco.

Les 20 % des personnes qui passent le processus de sélection suivent alors une formation de plusieurs semaines leur permettant d'acquérir les compétences nécessaires au testing de logiciels informatiques. Reste alors à identifier les besoins techniques de l'entreprise pour sélectionner le bon profil.

« La demande est en telle augmentation depuis trois ans que nous ne cessons d'engager. »
Dirk Rombaut

Entreprise publique, de développement de logiciels, spécialisée en télécommunication, banque, compagnie d’assurance, mutualité ou syndicat... Aujourd'hui, 52 entreprises emploient 92 personnes présentant un profil du spectre autistique. Au total, en dix ans, 150 entreprises en ont fait l'expérience.

Adapter l'environnement de travail

Avant que l'employé ne commence effectivement sa mission, le jobcoach prépare le terrain: « Il est important de sensibiliser les collaborateurs à ce qu'est l'autisme. »

«On démystifie la maladie, on casse les stéréotypes qui lui sont liés en donnant une vision réaliste de l'autisme. C'est primordial pour aborder la personne, comprendre ses besoins et son mode de fonctionnement. »
Yolande Pacco, jobcoach

Cela vaut d'abord pour la gestion de la communication et des relations interpersonnelles. « On dispose d'une série de clés pour une bonne collaboration. Éviter les ambiguïtés, communiquer clairement et concrètement, rendre les horaires concrets, déterminer les priorités, prévoir les imprévus et annoncer les changements à temps, assurer un suivi court et quotidien...»

Par ailleurs, elle et les dix autres coaches de Passwerk se renseignent sur la culture d'entreprise et l'environnement de travail afin de limiter tout ce qui pourrait perturber la concentration de la personne autiste. « Elles sont très performantes mais mono-tâches », justifie Yolande Pacco.

Passwerk propose d'accompagner l'entreprise dans des éventuelles modifications de l'environnement de travail. « Parfois, il s'agit de détails. Mais ils font une grande différence », explique Yolande Pacco. Mettre une plante entre deux bureaux pour donner une sensation d'isolement, placer la personne autiste dans un coin plutôt qu'à côté d'un lieu de passage, l'éloigner de la machine à café et de tout stimuli sonores. Ces petites astuces permettent d'optimiser le travail.

« Ils ont besoin de structure, de clarté et de prévisibilité dans le temps et dans l'espace. »
Résume Dirk Rombaut.

Qui est qui ? Qui fait quoi ? Qui est le référent ? « Certains n'osent pas poser de questions, ne savent pas s'ils dérangent ou pas. Ils ne parviennent pas toujours à comprendre le langage non-verbal. Ce qui nous semble tomber sous le sens n'est pas pour eux une évidence, fait remarquer Yolande Pacco. Il faut parvenir à penser comme eux », souligne la coach.

« Chaque collaborateur devrait être capable de travailler dans un environnement où les tâches sont clairement définies et que celles-ci correspondent à ses propres talents», explique Nicolas, testeur d’applications logicielles.

«Passwerk veille à ce qu’une entente constructive soit maintenue au sein des équipes que l’on intègre, à ce que toute communication soit claire afin d’éviter tout malentendu. »
Nicolas, testeur d’applications logicielles.

Yolande Pacco rassure, apaise et bien souvent, cela suffit. « On doit parfois faire preuve d'ingéniosité, raconte-t-elle. Un de nos passwerker ne voulait plus aller travailler parce qu'il avait du mal à retrouver son vélo à la gare. Nous avons mis un tissu rouge sur la selle. Le problème était réglé ». Le rôle du coach, qui assure un suivi régulier, est de « prévoir l'imprévisible, sourit Yolande Pacco. De dire ce que l'on fait et de faire ce que l'on dit ».

« Ces adaptations déteignent positivement sur l'équipe. Tout le monde bénéficie d'une communication claire et précise. »
Isabelle Van de Wouwer, jobocoach pour la future antenne francophone qui ouvrira en début d'année prochaine.

Une situation de « Win-win-win »

L'impact de l'intégration des personnes autistes par l'emploi ne peut qu'être positif, martèle Dirk Rombaut. « La personne autiste est valorisée dans ses compétences et gagne en confiance. Elle noue des relations et développe un réseau social, chose qui semblait inenvisageable avant d'intégrer le marché de l'emploi », explique Yolande Pacco. Pour Isabelle Van de Wouwer, « le fait de pouvoir parler de leur autisme, qu'ils soient reconnus comme tels, qu'ils puissent être eux-mêmes et que leurs collègues comprennent, favorise aussi leur bien-être ».

« La force de Passwerk est de faire d'un problème un atout. Du coup, ils donnent aux jeunes des perspectives d'avenir. »
Kaat Peeters, directrice de la Sociale InnovatieFrabirek et maman d'un fils autiste

En même temps que son salaire, la personne PSA gagne en indépendance.« Certains ont une charge de famille, c'est dès lors primordial d'avoir un emploi rémunéré », ajoute Yolande Pacco. « Cette mise à l'emploi est bénéfique pour la société puisque ces personnes sortent du régime d'indemnités», ajoute le co-fondateur de Passwerk. Quant aux entreprises, elles « bénéficient de personnes motivées et hyper-spécialisées », poursuit-il. « C'est une situation de win-win-win : pour la personne autiste et sa famille, les entreprises et la société », ponctue Dirk Rombaut.

Vidéo : Valentine Van Vyve