Hamac,
bulle d'air pour parent solo en galère

©Jean-Christophe Guillaume

©Jean-Christophe Guillaume

Les familles monoparentales font face à un risque élevé de paupérisation. Pris dans le tourbillon du quotidien, le parent se fatigue, s'isole. En faisant entrer une troisième personne dans la danse, Hamac vient lui donner une bouffée d'oxygène et offre à l'enfant un espace-temps pour lui. Une relation aussi bénéfique pour l’accompagnant.

Reportage 

Valentine Van Vyve

« Un bonhomme et un monstre ». Juliette brandit fièrement le livre qu’elle a dessiné et imaginé avec Pauline la semaine précédente. « On a fait les dessins et puis inventé l’histoire, raconte la fillette. On a aussi joué au ballon », ajoute-t-elle, tout en précisant que c’est elle qui a gagné. Pauline acquiesce avec bienveillance. Le duo se marre.
Les vendredis de 17h30 à 21 heures, Juliette, 4 ans et demi et Pauline, 35 ans, les passent ensemble. « Je vais la chercher à l’école. Ensuite on va chez moi ou chez elle, on joue et je la couche en attendant que Delphine rentre », explique la plus âgée. 

Delphine, c’est la maman de Juliette. « Parent solo », elle élève sa fille seule. « On le veut, cet enfant. Mais être parent, déjà à deux, c’est fatiguant. Alors seule… », entame-t-elle. Quand elle entend parler de l’asbl Hamac, elle n’hésite pas.
Malika non plus n’a pas attendu une seule seconde avant de sauter sur l’occasion d’offrir à sa fille de 9 ans cette bulle d’air « en-dehors des soucis dont elle ne devrait pas porter le poids ».

Parent seul dépassé par le quotidien

« Il existe une fragilité socio-économique, psychologique, liée au logement, au travail », constate Laure Greban, cofondatrice de l’asbl. Face à cette fragilité, elle et Julie Praet ont réfléchi à une manière de soulager le parent. « Le relayer », précisent-elles. Hamac, vise à « créer des liens qui soient de qualité et pérennes entre un enfant et un accompagnant bénévole du même quartier », résume Julie Praet. À partir de cette idée se crée un « cercle vertueux », pensent les deux femmes. « Pendant que cette relation se tisse, le parent seul a un temps de qualité et de plaisir pour lui. Cela lui permet, en ayant eu ce moment de repos, d'être ensuite plus disponible, physiquement et psychologiquement, pour son enfant », précise Laure Greban.

Un hamac et deux piliers

La figure du hamac est celle de la détente « rendue possible par la présence de deux structures solides », explique Julie Praet, cofondatrice de l’asbl Hamac. Pour soutenir le parent solo, celle-ci le met en contact avec une personne bénévole désireuse d’« accompagner un enfant dans tous les stades de son développement ».

L’initiative bruxelloise a fait son chemin dans la tête de Julie Praet et de Laure Greban, guidées par leur envie de créer des liens dans un tissu urbain et leur attachement à l'idée de la transmission et des liens intergénérationnels. Comment les concilier en un seul et même projet, tout en prenant en compte le fait que les parents solos font parties des publics les plus vulnérables et sont en demande de soutien ?
Les deux trentenaires se nourrissent de leur vécu. « En confiant régulièrement mes enfants à une amie équatorienne, je me suis rendu compte de tous les aspects positifs d'une telle relation. C'est un univers qui est le leur, un monde qui s'ouvre à eux et dont ils sont libres de faire ce qu'ils veulent », relate Laure Greban. « Les liens forts que je suis parvenue à tisser avec certains enfants nourrissent ma vie d'adulte et de femme », confie Julie Praet. Pourtant, soulève-t-elle, « il est compliqué, pour quelqu'un qui n'en a pas, de créer une relation intime et proche avec un enfant quand ils ne sont pas de la famille ».

Prendre le temps

S'il suffit à un candidat bénévole ou à un parent solo d'envoyer un mail pour marquer son intérêt, le processus de « matching » entre l'un et l'autre nécessite du temps. « On a un feeling mais on ne peut pas tout percevoir en une rencontre d'une heure avec les uns et les autres », tempèrent Julie et Laure. S'ensuit une première rencontre entre le parent et l'accompagnant. « On laisse ensuite du temps à chacun de se rassurer », précise Julie Praet. « Notre première rencontre a été chargée en émotion », se souviennent Pauline et Delphine. « Comme le dit Stéphanie, le courant est tout de suite passé », raconte Malika.

« On rencontre ensuite l'enfant. C'était le plus stressant, pour moi», admet Pauline avec le sourire. Le duo peut débuter et durera au moins une année scolaire. « Cette période permet que ce soit engageant mais pas contraignant », précise Julie Praet.

Une logique de proximité

Dans l’esprit de Hamac, la proximité n'est possible qu'en « assurant une certaine régularité à ces moments ». Les fondatrices demandent dès lors à l'accompagnant de consacrer deux à trois heures par semaine à l'enfant. « Il n'y a pas de réelle exigence et on laisse une grande autonomie dans la relation, mais on demande que ce soit du temps passé ensemble, à partager les centres d'intérêt de l'un et de l'autre. » Du temps de qualité qui se loge dans le quotidien.

« Cette transmission intergénérationnelle s'inscrit bien dans un contexte urbain, caractérisé par sa diversité», explique encore Julie Praet.

La proximité géographique entre le lieu de domicile de l'enfant et de l'accompagnant est également essentielle. Cette exigence est toutefois difficile à satisfaire car les accompagnants ne se manifestent pas (encore) en suffisance dans les localités des familles. Pour répondre favorablement à une large demande de soutien des familles monoparentales, Hamac a besoin de davantage d'accompagnants, particulièrement dans les communes d'Ixelles, Saint Gilles et Schaerbeek.​

Submergée par la logistique quotidienne, un « monde du travail inadapté à celui de l’enfance », Delphine s’épuise et s’isole. Malika, elle, doit gérer seule l’arrivée d’un deuxième enfant, porteur d’un handicap. « Les personnes qui sont dans cette situation témoignent de deux dimensions : un grand épuisement et de la solitude. Ces parents sont en perte d'énergie, la logistique prend souvent le pas sur le reste », confirme Laure Greban. À cela, s’ajoute la distance par rapport à la famille nucléaire. « J’ai grandi au Maroc, très entourée. Ici, la famille est peu présente », soulève Malika, la maman de Assia*.

« Ces parents se retrouvent dans un schéma où ils sont assez seuls pour gérer leur quotidien. On remarque une certaine culpabilité à être en perte de plaisir dans la relation avec leur enfant ».
Julie Preat, co-fondatrice de l'asbl Hama

Face à cette pression du quotidien, « Hamac offre une vraie bulle d’oxygène, confie Delphine. Je ne dois plus systématiquement courir pour aller chercher Juliette à l’école. Ca peut paraître insignifiant. Mais au quotidien, cela épuise ».

Des ricochets sur un plan d'eau calme

Hamac, en créant un binôme entre un enfant et un accompagnant, permet donc au parent d’avoir du temps pour lui. « Il faut pouvoir se ressourcer. Hamac propose un moyen génial de le faire parce qu’il y a autre chose qui se crée en plus : une relation entre Juliette et Pauline qui se construit et que l’on souhaite durable », commente Delphine, les doigts agripés à sa tasse de café. « Je n’ai pas mis de mot sur ce qu’est cette relation. Mais Juliette et Delphine sont entrées dans ma vie il y a cinq semaines. Et moi dans la leur », répond Pauline. 

Elle n’a pas encore d’enfant mais le « grand désir d’en avoir ». « Dans mon entourage proche, je ne vois pas d’opportunité de côtoyer des enfants au quotidien. Pourtant, j’adore passer du temps avec eux, me mettre à leur rythme. Ils me nourrissent. J’avais envie de créer ce lien, explique cette jeune comédienne. Dans d’autres sociétés, il existe un réseau de solidarité qui permet de soulager les parents. Ici, on fonctionne fort en vase clos. L’éducation passe très peu par d’autres référents que les professeurs et les parents. J’avais envie de prendre ma place, quelque part, là »

Avec Juliette, elle « prend le temps…C’est fluide et facile car je ne suis pas dans la même urgence. C’est un temps privilégié. Je peux me mettre complètement au service de Juliette ».

« C’est du temps de qualité que vous avez. Je me dis que ce temps-là, je ne l’ai pas de la même manière. Cela me touche »
glisse Delphine, émue.

« Il faut voir comment tu peux le retrouver aussi », lui murmure délicatement Pauline. Entre les deux femmes aussi, un lien fort se tisse. Hamac espère que « la relation parent-enfant puisse bénéficier par ricochet de celle entre cet enfant et le bénévole ». Malika confirme. Delphine aussi : « C’est du mum-sitting », plaisante-t-elle.

« Je suis touchée par leur démarche. Ce n'est pas si simple de demander de l'aide. C'est beau, de dépasser la culpabilité qui souvent accompagne le temps que l’on prend pour soi ».
Laure Greban, co-fondatrice de l'Asbl Hamac

S'il est bénéfique pour le parent, ce temps l'est aussi pour son ou ses enfants. « C'est un espace-temps qui lui est propre et qu'il va ensuite pouvoir partager avec son parent, revenir avec une autre énergie. Il va amener son histoire au sein de la famille et peut la nourrir de ce monde auquel il a goûté », pensent les cofondatrices. Juliette ne dira pas le contraire. « Elle est gentille, rigolote et elle s’occupe bien de moi », dit-elle de Pauline, à qui elle tente de voler le nez !

“Avec Juliette, on rigole beaucoup”, confie Pauline. Depuis cinq semaines, elles se voient tous les vendredis. Delphine, maman solo, peut alors profiter d’un temps pour elle. ©Jean-Christophe Guillaume

“Avec Juliette, on rigole beaucoup”, confie Pauline. Depuis cinq semaines, elles se voient tous les vendredis. Delphine, maman solo, peut alors profiter d’un temps pour elle. ©Jean-Christophe Guillaume

« Assia adore les moments qu’elle passe avec Stéphanie. Elle redevient le centre d’une attention qu’elle n’a plus autant depuis l’arrivée de sa soeur. Lorsqu’elle rentre, elle a mille histoires à raconter. Elle le fait avec tant d’enthousiasme. Cela amène une nouvelle dynamique à la maison, se réjouit Malika. Stéphanie est née en Belgique, travaille dans un musée. Elle a plein de choses à lui apprendre et à lui faire découvrir. C’est fantastique de pouvoir bénéficier de son regard sur le monde ». Vendredi, elles iront au théâtre.
En lui consacrant ces moments privilégiés, Stéphanie emmène Assia loin des difficultés du quotidien. « Depuis que Stéphanie est là, je me dis que le monde va bien. Avec une belle personne comme elle dans nos vies, notre monde, en tout cas, va mieux. »

*prénom d'emprunt

Vidéo : Valentine Van Vyve

Photos : Jean-Christophe Guillaume

Parent seul avec enfant(s), public à risques

Selon le dernier « Baromètre des parents » (2017) réalisé par la Ligue des familles, huit familles sur dix éprouveraient des difficultés à concilier vie familiale et vie professionnelle. Alors que 79 % des familles monoparentales travaillent à temps plein, cette difficulté touche ces dernières encore plus frontalement et profondément. Les familles monoparentales cumulent en effet des difficultés de tous les ordres.

Une famille sur quatre. Dans la composition actuelle des familles belges, il est indispensable de prendre en considération ces familles. Un peu moins d'une famille sur quatre (23%) appartient à cette catégorie alors que le chiffre grimpe à 30 % à Bruxelles. Un enfant sur quatre (soit plus de 500 000) est élevé par un seul parent, leur mère dans 66 % des cas.

Paupérisation. Si leur évolution reste relativement stable depuis 2015, la Ligue des familles constate une nette aggravation au niveau financier et dans l’organisation de la vie quotidienne. En effet, les familles monoparentales s'appauvrissent. Plus de un parent solo sur trois vit avec moins de 1500 € par mois (contre 10% des familles en couple et 16% des familles recomposées), les exposant à la précarité. La paupérisation des familles monoparentales est plus importante que pour les autres types de familles.