Labolobo,
le laboratoire intergénérationnel

©Jean-Luc Flémal

©Jean-Luc Flémal

L’asbl Labolobo est née pour faire face à un contexte de vieillissement démographique et d’appauvrissement du lien social en milieu urbain. Ateliers, conférences, rencontres, l’art et la créativité sont mis au service des rapprochements intergénérationnels.

Reportage 

Lauranne Garitte

Mercredi midi. Le petit jour… Dans les rues de Jette, les plus jeunes sortent de l’école pour se rendre à leur entraînement de foot, leur cours de danse, leur atelier de dessin. Dans les maisons de repos avoisinantes, mercredi est un jour comme les autres. Quelques visites familiales tout au plus... Mais depuis que l’asbl Labolobo s’est installée dans le quartier, cette réalité a changé.

©Benjamin Boar

©Benjamin Boar

Une chorale familiale

L’entrée dans les locaux de Labolobo, chaleureusement décorés, se fait en musique. Une chorale intergénérationnelle répète. La doyenne de nonante-deux ans n’est pas là aujourd’hui, mais sa benjamine (qui a quatre-vingt-deux ans de moins) est bien présente. Ce qui les lie : le chant. Yves, septuagénaire, participe à cet atelier depuis trois ans : « J’aime chanter, et l’idée de partager ce moment avec ma belle-fille et ma petite-fille me faisait énormément plaisir. » Il s’étonne encore chaque mercredi de l’émotion ressentie à l’écoute de la pureté des voix d’enfants. Catherine, 47 ans,est la belle-fille de Yves. Pour elle, « Labolobo est l’occasion pour les plus jeunes de voir aussi les aspects positifs des personnes âgées ».

Restaurer les liens entre générations

Labolobo, c’est un ensemble de projets de cohésion sociale qui visent à réunir les générations en milieux urbains. L'asbl se présente comme un laboratoire social et artistique, tandis que « lobo » signifie « loup » en espagnol, une figure qui traverse tous les âges et qui est attrayante pour petits et grands.

Il y a quelques années, Giulia Sugranyes, cofondatrice du projet, s’installe à Jette avec sa petite famille et fait plusieurs constats : « En ville, il y a une séparation marquée entre les âges. Tout est organisé pour une gestion homogène par génération, ce qui représente un appauvrissement humain notable. Or, les institutions des aînés sont souvent proches des écoles. Mais rien n’existe pour mettre en lien les seniors et les enfants », déplore l’Espagnole.

En 2014, Giulia lance avec Noémi Garel, également cofondatrice du projet, une première initiative de rencontre entre l’école de leurs enfants et la maison de repos voisine. Naît ainsi le premier pôle de Labolobo : les projets MA qui sont des programmes durables de rencontres intergénérationnelles entre institutions.

Aujourd’hui, 15 projets MA sont en cours comme une chorale, des ateliers de tricot, de yoga, une aide aux devoirs, etc. Depuis février 2018, l’autre pôle a vu le jour : un espace Labolobo a ouvert ses portes dans le sud de Jette. Il propose des activités artistiques hebdomadaires, des stages pendant les vacances et des sous-locations pour les familles du quartier.

Une dizaine de minutes plus tard, sur fond d’un « Au Clair de la Lune » en canon, la sonnette se met à retentir sans relâche. Ce sont les participants de « Yoga for kids » qui affluent. Elles ont cinq ou six ans et s’initient au yoga avec leur prof du jour qui donne cours tantôt en français, tantôt en néerlandais. « En construisant notre projet, on a rapidement confirmé ce clivage entre les âges, mais on a aussi découvert un clivage entre les communautés linguistiques. On a donc voulu que Labolobo soit bilingue », explique Noémi Garel.

L’art comme liant

Le tintement de la sonnette n’en finit pas. Plusieurs garçons d’une dizaine d’années francophones et néerlandophone s’installent autour d’une table pour une session d’échecs en compagnie de quelques adultes. Pendant ce temps, dans le local voisin, quelques enfants s’adonnent au dessin à l’encre de Chine. La danse contemporaine cédera ensuite sa place au hip-hop puis à la couture. L’art, au même titre que la rencontre intergénérationnelle, est le deuxième pilier majeur de ce projet : « Sans l’art, Labolobo n’existerait pas », avoue Giulia, danseuse contemporaine qui a toujours baigné dans cet univers créatif.

« L’activité artistique est un liant. Elle crée des liens enrichissants et positifs entre les âges. »
Giulia Sugranyes, cofondatrice de Labolobo

Chaque atelier redonne effectivement un rôle actif aux aînés par la transmission de leurs savoirs et la valorisation de leur expérience. Il contribue à briser leur isolement. De leur côté, les adolescents dynamiques, les enfants curieux ou les bébés explorateurs expérimentent, innovent et s’enrichissent.

©Olivier Papegnies/Collectif Huma

©Olivier Papegnies/Collectif Huma

Appréhender la vieillesse autrement

Au-delà des ateliers à proprement parler, c’est le hall d’entrée qui incarne la rencontre entre les générations. À chaque coup de sonnette, plusieurs enfants en avance guettent l’arrivée du prochain participant… de leur âge ou non. A la venue de Clara, senior très investie dans le projet, Marcela, 10 ans, saute de joie et se réfugie dans ses bras pour une accolade longue et chaleureuse. Venir à Labolobo apporte à Clara beaucoup de joie et dynamise son quotidien.

« Je n’ai pas d’enfants et donc pas de petits-enfants, mais ici, j’ai désormais des petits-enfants d’adoption. »
Clara, participante

« Au début, ils me demandaient ce qu’étaient ces rides sur mes mains et mon visage. Maintenant, ils savent et appréhendent la vieillesse autrement. »

Ce mercredi après-midi, il y a eu des rencontres, des échanges, des apprentissages. Et ce « petit jour » est devenu une « longue et belle journée » pour les enfants et les seniors de ce quartier de Jette.

Vidéo : Semra Dessovali

Photos : Olivier Papegnies/Collectif Huma

Un réseau solidaire et d’entraide ancré dans les quartiers

À Bruxelles, les initiatives intergénérationnelles comme Labolobo fleurissent de jour en jour. Parmi celles-ci il y a “Buurtpensioen-Pens(i)ons quartier”. Elle répond à un double constat sociétal : en ville, on ne connaît pas ses voisins et les générations sont trop cloisonnées. Par ailleurs, “malgré l’hyperconnexion, il existe un sentiment de forte solitude au sein de la population et de manière encore plus forte chez les aînés”, explique Charlotte Hanssens. “Ayant fait ce constat, notre objectif est de tisser des liens de solidarité et d’entraide au sein d’un réseau local et d’ainsi apporter une solution à l’isolement. C’est aussi une manière d’accompagner les aînés et de leur permettre de vivre plus longtemps chez eux”, résume la coordinatrice d’un projet qui entre dans sa cinquième année d’existence. “Nous ne nous inscrivons pas dans une logique de dépendance par rapport à un service professionnel, explique Charlotte Hanssens. Nous partons plutôt du principe que chacun a des talents et que ceux-ci peuvent avoir un impact important sur la vie d’autrui”.

Échanges de services et de temps

C’est ainsi qu’est né le “Tinder intergénérationnel entre voisins”. D’un côté, il y a les Bruxellois plus isolés qui ont besoin de quelqu’un pour faire leurs courses, pour sortir leur chien ou simplement pour boire un café en bonne compagnie. De l’autre, il y a les voisins qui font leurs courses quotidiennement, qui aiment se balader dans le quartier et qui sont avides de faire connaissance avec leurs propres voisins. “Ils échangent des services mais surtout du temps”, précise Charlotte Hanssens.“Buurtpensioen-Pens(i)ons quartier” se situe à l’intersection entre ces deux publics désireux d’“aller à la rencontre de l’autre”, commente-t-elle encore. Cependant, le lien n’est pas seulement intergénérationnel ou unilatéral. L’aide peut être réciproque. “Certaines personnes venues pour apporter leur aide se trouvent en situation de besoin. Celles qui étaient dans le besoin peuvent aussi, à un moment donné, apporter leur aide”, raconte-t-elle. C’est une manière de valoriser l’aîné.

Le projet, né à Neder-over-Hembeek, est actuellement présent dans dix quartiers à Bruxelles-ville, Laeken, Jette, Ixelles, Evere et Molenbeek. S’il est porté sur le terrain par des coordinateurs locaux bénévoles, le projet a besoin de ressources financières pour continuer à fonctionner. “Aujourd’hui, il est nécessaire de pouvoir pérenniser financièrement la démarche, que l’on puisse étendre le réseau et l’ancrer dans les quartiers. C’est notre principal défi”, poursuit la coordinatrice. “Buurtpension-Pens(i)ons quartier” pourra alors répondre favorablement aux demandes des maisons de quartiers, centres de jours et autres partenaires publics locaux en demande de voir implanter dans leur commune un projet favorisant le lien social et la vie de quartier.