A Etterbeek, une école pleine
de bonnes énergies

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L'Institut Sainte-Anne a créé un mode de financement participatif original pour acquérir une installation photovoltaïque.
Un projet qui est à la fois un outil économique et pédagogique, mais aussi un vecteur de lien social.

Reportage 

Gilles Toussaint

La cloche a sonné et la cour s'est rapidement vidée de ses joyeux occupants. Un silence studieux règne dans les classes. Installé parmi les immeubles d'un quartier d'Etterbeek, l'Institut Sainte-Anne accueille chaque jour 441 élèves de maternelle et de primaire.

Ce 5 octobre marquera une journée particulière dans l'histoire de l'établissement. Celui-ci inaugurera en effet une installation photovoltaïque flambant neuve. Si l'événement peut sembler banal, cette installation présente pourtant une particularité : celle d'avoir été financée par des parents et des proches de l'école.

Le projet est parti des réunions d'information organisées par le Segec (le Secrétariat général de l'enseignement catholique) à l'intention des écoles du réseau libre. «On nous y a expliqué l'intérêt qu'il y avait à placer des panneaux solaires », raconte le directeur Alain Bonus. « Nous avions également été démarchés par différents organismes du type tiers-investisseur, qui cherchaient des lieux pour placer des installations photovoltaïques, mais je trouvais que l'on n'en retirait pas grand-chose au niveau des bénéfices »,ajoute-t-il.

L'Apisa, l'association des parents, est alors venue avec une autre proposition originale consistant à mettre sur pied « un système de financement participatif qui était très chouette », poursuit notre interlocuteur,un discret sourire aux lèvres.

Un prêt à taux zéro

L'idée était que les parents qui le souhaitent fassent un prêt à taux zéro à l'école. « Un emprunt qui sera ensuite remboursé grâce aux gains réalisés sur la vente des certificats verts », embraie François-Olivier Devaux, membre du comité de parents et cheville ouvrière du réseau Transition.be.

Séduisant, le mécanisme a néanmoins dû être affiné pour lever certaines frilosités et surmonter quelques obstacles administratifs. D'association de fait, l'Apisa s'est ainsi muée en ASBL. C'est elle qui servira d'interface entre l'école et les différents prêteurs pour la gestion des conventions et les remboursements.

17000 € - La somme nécessaire pour financer l'installation de 44 panneaux photovoltaïques sur le toit de l'école. Quelque 80 % de ce montant ont été réunis grâce aux prêts (10 000 €) et aux dons (3000 €) de parents d'élèves ou de proches. Le solde de 4000 € étant pris en charge par l'école.

L'appel lancé par l'école auprès des familles d'élèves a récolté un grand succès, se réjouit M. Bonus. Soixante-cinq participants ont en effet répondu « présent ». Des parents et grands-parents d'élèves ou d'anciens élèves, ainsi que quelques anciens élèves, ont soutenu le projet via un prêt ou un don, parfois même les deux.

Papa de trois enfants inscrits à Sainte-Anne, Vincent Hanin est l'un de ces contributeurs. Parce qu'il avait à cœur de soutenir l'école et l'association de parents dont il apprécie le travail, raconte-t-il. Mais aussi parce qu'« investir dans des projets verts comme celui-là ne peut-être que bénéfique quand on voit les temps troublés que traverse actuellement le secteur énergétique belge ». « J'avais un peu d'argent en banque. Vu ce que cela rapporte, autant que cela serve à quelque chose d'utile. »

Un fonds Nature

Les prêts­ - des parts de 100 euros -­ seront remboursés en cinq ans, explique encore François-Olivier Devaux. L'installation sera remboursée en quelques années et l'Institut Sainte-Anne continuera à en tirer les bénéfices durant toute sa durée de fonctionnement, estimée à au moins 20 à 25 ans.

Suivant le plan financier « prudent » élaboré avec l'appui de l'Apere (lire ci-dessous), le reste des bénéfices retournera dans les caisses de l'école. Mais il a été décidé qu'une partie de cet argent irait alimenter un fonds Nature, ajoute Alain Bonus. « Ce fonds permettra de couvrir les frais de réalisation d'autres projets comme l'installation d'un poulailler, d'un potager et d'un compost. Ou encore la réhabilitation d'une ancienne citerne. C'est en réflexion », poursuit le directeur, expliquant que la gestion de cet argent impliquera le PO, les parents, mais aussi les professeurs.

Alain Bonus, le directeur de l'Institut Sainte-Anne, souhaite partager la démarche avec ses collègues d'autres écoles.

Alain Bonus, le directeur de l'Institut Sainte-Anne, souhaite partager la démarche avec ses collègues d'autres écoles.

Apprendre la sobriété énergétique

Au-delà des questions de gros sous, l'objectif de l'opération est aussi pédagogique, insiste le directeur. « Dans cette optique, nous avons fait installer un écran sur lequel les enfants pourront visualiser la production et l'autoconsommation afin qu'ils mesurent ce que représente l’énergie dans les activités de l'école.»

"Plus que de montrer la solution technologique, l'idée est de leur faire prendre conscience que la meilleure énergie, c'est celle que l'on ne consomme pas." 

L'équipe de profs réfléchit de son côté à la manière d'intégrer ces questions dans le programme des cours. Les problèmes de baignoire qui fuit pourraient un jour être remplacé par les calculs de consommation électrique du sèche-cheveux…

Une partie de l'électricité produite ne pouvant pas être directement utilisée par l'établissement, une autre idée est également dans l'air. « On envisage de l'utiliser pour alimenter des bornes de recharge pour vélo à assistance électrique qui seraient à disposition du voisinage », avance Alain Bonus. Un moyen de créer un lien positif avec le quartier, où l'école est plutôt perçue comme une source de nuisances en raison du bruit et de la circulation qu’elle génère.

Photos : Jean-Luc Flemal

Vidéo : Gilles Toussaint

L'énergie, un ciment social

Pour mettre sur pied son projet, l'Institut Sainte-Anne a bénéficié de l'accompagnement de l'Apere (l'Association pour la Promotion des Energies Renouvelables), qui l'a notamment aidé dans le choix de l'installation photovoltaïque la plus adéquate par rapport aux besoins de l'école. Elle est également intervenue dans la rédaction des conventions qui lient l'établissement aux parents prêteurs. « Le fait d'avoir opté pour une formule de prêt à taux zéro a rendu les choses plus faciles. Comme il n'y a pas d'intérêt, il n'y a pas de précompte à payer, ce qui simplifie les choses sur le plan administratif », explique Michel Huart, conseiller scientifique et technique au sein de l'association. Cet accompagnement, « a permis de rassurer le pouvoir organisateur »,observe-t-il.

La dynamique consistant à valoriser les espaces de toitures pour produire de l'électricité commence à faire son chemin dans les écoles bruxelloises, poursuit notre interlocuteur. « En autoproduisant leur électricité, elles diminuent leur facture énergétique. Cela leur permet de dégager un peu de moyens financiers, ce qui est toujours bienvenu dans une école. »

Mais le projet etterbeekois va encore un pas plus loin. « D'habitude, les écoles se tournent vers les banques ou un tiers-investisseur pour financer leur installation. Une entreprise la prend alors en charge et cela permet à l'école de réduire sa facture, mais cela ne va pas plus loin. A Sainte-Anne, il y a une volonté de créer une dynamique locale qui va au-delà de l'énergie. La dimension participative du financement par les parents ­- qui ne vont pas gagner d'argent, mais qui n'en perdront pas non plus – est stimulante. Elle permet à l'école d'investir sans avoir à puiser dans son budget propre. Et comme cet investissement va rapporter plus que les remboursements à effectuer, les bénéfices permettent de créer un fonds dynamique qui va lui-même servir à développer d'autres projets. C'est une approche vertueuse qui inculque une certaine démarche entrepreneuriale aux enfants qui voient qu'un projet peut être financé par des prêts. Cela induit en outre une logique de gouvernance participative impliquant l'association des parents, le PO et les enseignants. »

« Voisins d'énergie »

L'Apere, complète Michel Huart, lance d'ailleurs un appel aux écoles ou aux personnes qui souhaitent développer ce genre de projets. Elle pourra les accompagner dans la mise en œuvre de ce type de financement participatif et de la dynamique entre les différents acteurs, comme elle le fait déjà pour les copropriétés dans le cadre du programme « Toitures partagées » de la Région bruxelloise.

L'association travaille par ailleurs au lancement d'un autre projet baptisé « Voisins d'énergie » qui a pour objectif d'explorer les possibilités de partager l'électricité produite par une ou plusieurs installations photovoltaïques entre plusieurs consommateurs - ce que ne permet pas encore la législation actuelle.

Plutôt que d'être réinjectée sur le réseau, l'idée est d'utiliser la partie non autoconsommée de cette production pour alimenter localement des infrastructures collectives utilisées par le voisinage : bornes de recharge pour e-bikes, buanderie commune… Une façon de montrer à quel point l'énergie relie les gens, mais aussi « comment cette mise en commun peut nous rendre plus résilients par rapport à la hausse des factures d'électricité ou des risques de black-out ».