Cocorico Coach, le collectif pour prendre son envol vers l'emploi

Jean-Luc Flemal

Jean-Luc Flemal

"Cocorico Coach" accompagne des chercheurs d'emploi et des travailleurs en quête de changement.
L'ASBL propose un espace de réflexion sur son projet professionnel.
Un lieu de "co-searching" où le groupe porte l'individu.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Des feuilles au format A3 sont disposées devant chaque participant. Ils posent leur regard sur les mots écrits sur des post-it colorés. Bleu, rose, jaune... Compétences, aspirations... "Par association, notez des idées d’activités auxquelles ces mots vous font penser". Lydwine fixe les règles du jeu. "Ce ne doit pas nécessairement être réaliste ou rémunérateur, notez ce qui vous passe par la tête", détaille l’animatrice de Cocorico Coach.

Comment associer l’envie de se sentir vivre avec la débrouillardise ? L’harmonie et l’envie d’aider l’autre ? Des réponses plus ou moins farfelues émergent de ce travail collectif. Si les idées qui lui ont été données ne convainquent pas vraiment Michael, elles parlent davantage à Sophie. Les sept participants à ces cinq matinées d’animation avancent ainsi au fil des exercices, tentant d’éclaircir leur projet professionnel… ou de vie.

"Le monde du travail est en pleine mutation", explique Lydwine Thibaut. Face à ces "nombreux défis et opportunités", Cocorico Coach entend "accompagner les chercheurs d'emploi et travailleurs en transition pour faire leur place dans le monde du travail, chacun à sa façon", explique la fondatrice de l’ASBL. Celle-ci propose d’être le receptacle de leurs doutes pour les faire avancer vers plus de certitudes, grâce à un cadre et une expérience spécifique. 

L’œuf, la poule et l’oiseau

"Ce module est fait pour ceux qui sont dans le brouillard par rapport à leur projet professionnel", expose Lydwine, assise dans un fauteuil moutarde disposé à l’angle du petit local mis à sa disposition par la commune de Molenbeek. Cet espace se veut un lieu "de recherche d’emploi pour repenser son projet professionnel en équipe", résume la jeune femme. 

Ici, on fait naître une idée comme on voit se craqueler la coquille d'un œuf. Lentement, avec patience. Comme la poule couve son oeuf, avec chaleur et bienveillance. "On a défini un cadre : pas de jugement, nous ne sommes pas psy, nous venons dans un état d’esprit positif", précise Céline*.

Pendant cinq matinées, les participants déblaient le terrain : ils ratissent large d'abord, afin de faire émerger des débouchés, puis resserrent le champ des possibles pour parvenir à une idée, un projet "le plus concret possible", espère Céline. Pour ce faire, on questionne son rapport au travail et à l'argent; on interroge ses valeurs; on lève le voile sur ses motivations et ses leviers d'action; on tente d'identifier les ingrédients dans l'environnement de travail nécessaires à son épanouissement et ceux qui ne peuvent plus faire partie de la recette.

Ces jeux, ludiques sur la forme mais plein d'introspection sur le fond, permettent aux participants de prendre conscience de leurs capacités et de renforcer leur confiance en eux. "Le fait de pouvoir apporter quelque chose à l'autre est aussi une manière de trouver de la valeur", complète Lydwine.

Quand une histoire personnelle nourrit
un projet d'entrepreneuriat

Portrait

Self-made woman. Lydwine Thibaut a fait ses classes dans l'art et la scénographie. Rien ne la prédestinait à intégrer ce monde de l’entrepreneuriat. Quoique. 

Peu de débouchés rémunérateurs dans son domaine, un sentiment de solitude et d'isolement dans sa recherche d'emploi, une impression d'inutilité et, finalement, une dépression ont amené cette trentenaire à se questionner. "Il y avait un tel paradoxe entre mes envies et les contraintes", se souvient-elle. Elle dévore alors les livres de développement personnel et multiplie les formations du genre.

"Les questions que les participants se posent, je me les suis posées. Je pense que cela m'aide à voir plus clair dans le chemin des autres", dit-elle. 
Lydwine Thibaut a elle-même connu un cheminement professionnel difficile.

L'idée d'accompagner ces gens en proie au doute ou en quête desens, elle la développe d'abord avec Job yourself puis grâce au programme Seeds de Coopcity. Cet œuf, qu'elle a couvé de longs mois, a éclos il y a un anet demi. "J’ai commencé avec 50 euros", s’amuse-t-elle.

Une campagne de financement participatif lui donnera ensuite un fond de roulement. Cocorico emploie aujourd’hui deux personnes et s’entoure ponctuellement de cinq coachs. "Je n’en suis pas une. J'y vais à l’instinct en me nourrissant de l’art et des nombreuses animations que j’ai données", admet Lydwine, chaussant sa casquette d’animatrice. Son rôle, c’est de susciter la réflexion, d’élargir le champs des possibles, de faire (re)naître la confiance, d’offrir un cadre, une expérience, un espace de partage. "Je pensais le monde du spectacle et de l’entrepreneuriat à des années lumière l’un de l’autre. Mais j’y trouve finalement des points communs. J’utilise la créativité artistique pour favoriser un changement et avoir un impact."

La force du lien faible

Chacun est autonome au sein du groupe. Cocorico met ainsi en avant l'intelligence collective. "La mutualisation des connaissances, des expériences et des réseaux enrichit chaque membre de l'équipe", justifie Lydwine, et permet de faire avancer chacun dans sa recherche d'emploi, mais aussi dans sa quête de sens.

"C'est l'une des raisons qui revient le plus souvent. Et c’est bien souvent là le point commun à tous." Au-delà, les groupes sont mixtes, les parcours différents, les secteurs variés et les âges divers : femmes et hommes de 25 à 60 ans, en recherche d’emploi ou de sens, jeunes maman ou fraîchement diplômés. "Moins il y a de similitudes entre les participants, plus les échanges sont riches, souligne-t-elle. Je crois fortement en la force du lien faible", qui, en confrontant des visions différentes du travail, permet d’avoir un autre regard son rapport à celui-ci. 

En cette troisième matinée d’ateliers, Sophie partage son énergie et sa créativité. Les idées qu’elle ne cesse d’avoir sont un atout qu’il faut apprendre à dompter si l’on veut qu’il soit porteur. "Faire des choix et se lancer, c’est le problème des multi-potentiels", commente Lydwine.

Au début de la semaine, la jeune femme avait émis le souhait de "ne plus se disperser". "Je sens déjà que je donne une direction à toutes mes envies. J’y vois beaucoup plus clair", exprime-t-elle face au groupe.

Leslie aussi, semble avoir déjà fait un bon bout de chemin : "Toutes les animations me mènent vers la même destination et confortent mon idée initiale, explique-t-elle. J’avais comme objectif de sortir du brouillard. Voila qu’il s’estompe." Elle compte dès lors sur le reste de la semaine pour établir un "plan d’action concret . "On est dans le what’s next ?", résume Sophie. 

"Nous sommes à différents stades de notre vie et de notre réflexion. L’énergie et le dynamisme de ces jeunes est porteur", réagit Marie* entre deux gorgées de thé. En burn-out depuis plusieurs mois, cette quinquagénaire sait qu’un "nouvel élan" est essentiel. "Je cherche des pistes réalistes pour un travail qui fait sens", explique cette juriste. Encore faut-il qu’elle "mette le doigt sur ses centres d’intérêt". Ce sera, dit-elle "une étape du chemin".

Qui cherche trouve ?

"On n'a pas énormément de prétention, sauf celle d'espérer sortir de certaines ornières et de faire avancer chacun dans son projet", confie Lydwine. Pas de promesse de job à la clé. "Le tout est de mettre le cap sur sa légende personnelle en faisant le premier pas. Cela commence par savoir qui l’on est et ce que l’on veut", commente la jeune trentenaire. 

"Allez, on y va ! Voila ce que m’inspirent ces premiers jours ! Ils nous remettent dans une dynamique d’action et de pensée positive", s’enthousiasme Cécile. En burn-out, elle cherche à régler "l’inadéquation entre ses aspirations et ses capacités". Pour les faire se rejoindre, elle voudrait pouvoir cibler " son potentiel et ses talents".

"Nous ne sommes pas une agence de remise à l’emploi. Nous accompagnons une réflexion. C’est un questionnement de luxe", admet Lydwine Thibaut

Pour rendre cette formule accessible à tous, les modules se rémunèrent sur les principes de la "participation libre", en fonction des moyens financiers de chacun et selon leur degré de satisfaction.
Lydwine Thibaut

Pour ceux qui ne sont pas certains de vouloir opérer un virage à 180 degrés, Cocorico propose de les aider à "réorganiser et réajuster leur mission, leurs relations, les codes du travail".

Et pour ceux qui sont déjà plus avancés dans leur projet, Cocorico Coach a mis en place un module de communication. Il est question de le "raconter en histoire", de "pitcher" son sujet. Plus prosaïquement, on y refait son CV et on apprend comment se servir professionnellement des réseaux sociaux,… 

La maison de travail en transition

"Il est pour moi inconcevable de considérer le travail comme une contrainte. Que l'aspect financier soit un facteur bloquant à un choix professionnel épanouissant", explique Lydwine Thibaut.

L'ASBL entend questionner un "monde du travail en pleine révolution: quête de sens, flexibilité, autonomie, robotisation, ubérisation, rétention des talents, nomadisme..."

"Bientôt, nous aurons du temps... mais pas d'argent. Quelle sera la place du travailleur ?", anticipe Lydwine. Il convient, pense-t-elle, de dissocier travail et revenu. "Le travail doit être une activité que l'on fait avec plaisir, selon les compétences et les talents propres à chacun. Le revenu est une ressource qui nous permet de vivre. Qu'à terme, on glisse vers un revenu universel ou une autre forme de revenu minimum me semble cohérent."

"Si on regarde très loin, nous souhaiterions faire de ce lieu la maison de travail en transition : un lieu de référence à Bruxelles sur les questions liées au travail. Les chercheurs d'emploi que nous accompagnons seraient les ambassadeurs d'une nouvelle façon de penser le travail", précise-t-elle. Et, par ce biais, de "transformer le monde du travail".

L'association organisera bientôt des rencontres/conférences autour des grandes thématiques qui touchent au monde du travail. "Ce n'est pas une manière d'imposer notre façon de voir les choses, mais plutôt d'avoir une réflexion commune" sur un enjeu qui nous regarde tous.

Du co-searching au co-working

Un participant qui trouve sa voie, voila le plus grand motif de satisfaction pour la fondatrice de Cocorico Coach. "On peut alors constater qu'on a un impact", se réjouit humblement Lydwine.

Mais après quelques jours d'ateliers, les participants sont relâchés dans le grand bain du marché de l'emploi. "Souvent animés par un bel élan... qui peut s'essouffler lorsqu'on est seul". Dès lors, le local de Cocorico a décidé de se transformer deux après-midi par semaine en espace de co-working, réservé exclusivement à ceux qui sont passés par ses modules.

"Cela permet de rester plongé dans une dynamique collective, de poursuivre la stimulation et l'émulation", explique la jeune entrepreneuse. Et d'ainsi donner plus de chance à l'oiseau de voler de ses propres ailes.

Vidéo : Valentine Van Vyve

Photos : Jean-Luc Flemal