Une "mini-maison" pour les sans-abri

©Olivier Papegnies/Collectif Huma

©Olivier Papegnies/Collectif Huma

Une "tiny house" – qu’on peut traduire par "mini-maison" – a pris ses quartiers à Woluwe-Saint-Pierre. Elle accueille une personne sans domicile fixe. Un projet inédit en Belgique, qui pourrait faire des petits.

Reportage 

Manon Legrand

On la voit à peine, cachée derrière un portail, posée sur un terrain vacant entre deux habitations d’une rue résidentielle. C’est une maison pas comme les autres qui s’est installée en avril dernier dans la commune de Woluwe-Saint-Pierre (Bruxelles) : une "tiny house", un format d'habitation qui se situe entre le bungalow et la caravane. Cet habitat a été octroyé par la commune au CPAS comme logement de transit en vue de loger des personnes sans abri.

Jaber Najmeddine, un jeune homme de 27 ans en attente d’une décision de l’Office des Etrangers, l'occupe depuis deux mois.

Intimité et sécurité

L’air est lourd en cette fin de mois de juillet. Bien que Jaber ait ouvert la porte et la fenêtre arrière – la seule - de sa maison, la température a grimpé en flèche. "J’ai tout de suite pensé à lui pour ce projet, car il cumule problèmes de santé et isolement", explique l’assistant social du CPAS de Woluwe-Saint-Pierre, Zelda Nguwo, qui suit son dossier depuis plusieurs mois. L’occupation étant considérée comme temporaire, il est domicilié au CPAS.

Ici, Jaber a un lit, un bureau, une salle de bain, sur une surface de presque 17 m 2

"Je peux dormir en sécurité", explique le jeune homme, qui passait ses nuits au parc de Woluwe avant de déposer ses valises ici.

"En général, les logements de transit sont communautaires. Les tiny houses permettent d’assurer aux personnes une intimité. Aussi, ça règle les problèmes de mésentente", poursuit l’assistant social. "J’aime le calme", confirme Jaber. Quant à la vie en solo, elle a ses avantages et ses inconvénients : "Je suis seul, personne me casse la tête. Mais parfois, je suis seul et je n'ai rien à manger", confie-t-il, espérant peu à peu nouer des liens avec le voisinage.

L’idée existe déjà à l’étranger. À Portland et Seattle, ce sont même des villages entiers de tiny houses à destination des publics précaires qui ont éclos ces dix dernières années, dans la foulée de la crise des subprimes. À Berlin, des architectes en imaginent aussi pour loger des réfugiés ou des victimes de la hausse des prix de l'immobilier.

En Belgique, il s’agit de la première initiative du genre. Mais elle pourrait très vite être complétée par d’autres puisque la ministre bruxelloise du Logement Céline Frémault a débloqué un million d’euros pour la construction de "logements modulaires, légers et innovants".

Une quarantaine de tiny houses devraient donc faire leur apparition à Bruxelles dans les prochains mois en vue de répondre à des besoins immédiats d’accès au logement.

L’appel à projets n’est "ouvert qu’à des associations d’insertion par le logement, aux agences immobilières sociales, aux maisons d’accueil ainsi qu’à toute autre structure détentrice d’un agrément auprès d’une autorité régionale ou communautaire en matière d’accompagnement social d’individus lors d’un accès au logement", précisait la ministre dans nos pages en mars dernier.

Entre la rue et la maison

Philippe Cousin en connaît un rayon en matière de petites maisons. A la tête de la société Okapi à Frasnes-lez-Buissenal, il en construit depuis les années 80. "A l’époque, on me prenait pour un doux rêveur". Pour lui, "ça tombe sous le sens qu’on doit vivre dans des petites maisons, surtout en Belgique où la taille moyenne des logements dépasse de loin celle des pays voisins (on est autour de 125 m 2 contre 96 en Europe, avec, précisons-le, une disparité très forte entre les ménages, NDLR)".

"La plupart des adeptes des tiny houses sont des personnes désireuses de vivre plus simplement, de réduire leur empreinte écologique, de se reconnecter à la nature", explique-t-il. En répondant à l’appel à projet du CPAS de Woluwe-Saint-Pierre, c’est la première fois que Philippe Cousin réalise une maison à destination d’un public en nécessité. Il a d’ailleurs pensé petit budget : 30 000 euros. En général, le coût de ses tiny houses avoisine plutôt les 70 000 euros, avec des différences de prix selon leur degré d’autonomie.

Pour cette maison, reliée à l’eau et à l’électricité, il a eu recours à du contreplaqué collé massif, et non au bois comme d’habitude. Ce matériau est solide, très lourd (la tiny fait cinq tonnes et demie) et surtout démocratique.

Philippe Cousin est satisfait de son modèle pour Woluwe. "C’est une façon d’offrir un certain confort, un entre-deux entre la rue et la maison", observe-t-il. Dans le passé, il avait proposé des minis tiny houses – des "boites de 7m 2" résume-t-il, pour loger des SDF, "une solution d’urgence pour avoir une clé et avoir chaud". Mais le législateur n’avait pas répondu positivement à l’idée.

Un flou juridique

Si beaucoup d’acteurs du logement voient l’intérêt des tiny houses pour répondre à la crise, il existe un obstacle important à leur installation : un flou juridique entoure aujourd’hui l’habitat léger, qui englobe ces mini-maisons. "Les propriétaires de tiny house sont dépités, c’est une catastrophe", évoque Philippe Cousin, de la société Okapi qui a construit celle de Woluwe.

Ces maisons – comme toutes les habitations - doivent répondre à des normes de sécurité et de salubrité. Par exemple, le règlement en matière d’urbanisme exige une superficie minimum de 24 m 2 avec une cuisine de 8 m 2. La hauteur de plafond est aussi réglementée. La tiny house de Woluwe ne répond pas à ces réglementations urbanistiques, mais la commune est parvenue à obtenir un permis d’urbanisme dérogatoire de la Région. Ceci pour une durée de deux ans.

"On insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une solution d’urgence, et de passage, pour des personnes dans le besoin avant de leur trouver un logement social."
Zelda Nguwo, assistant social du CPAS de Woluwe-Saint-Pierre

Une décision inédite dont s’est réjoui Nicolas Bernard, juriste et spécialiste du droit au logement. Épinglée comme une "bonne pratique" dans la publication Les Echos du Logement (juillet 2018), il précise qu’il "reste à s’assurer, pour éviter de susciter des faux espoirs, que ce permis repose sur une base légale solide".

Et de souligner dans ce même article une autre initiative en faveur de solutions innovantes et alternatives en matière de logement : la commune a accepté de mettre une parcelle en friche à disposition, pour deux ans, de l’association Samenlevingsopbouw. Leur projet Swot-Mobiel développe des habitats solidaires et modulaires à destination des sans abri sur des terrains vacants de la Région de Bruxelles-Capitale.

Habiter léger, une législation lourde

Il existe un flou juridique autour de l’habitat léger ou alternatif qui comprend tiny houses, yourtes et roulottes. Aucun de ces habitats n’est considéré comme un logement. Pourtant, il en existe un grand nombre. 12 000 à 15 000 personnes vivent dans ce type d'habitat, selon le Collectif HaLé, qui en défend une reconnaissance juridique et sociale.

Pour obtenir un permis d’urbanisme, ces habitations alternatives doivent en fait répondre à des normes de sécurité et de salubrité. Des superficies minimales ou encore des hauteurs de plafond sont requises… Difficiles à atteindre la plupart du temps.

Installer sa tiny house dans une zone forestière ou agricole n’est pas autorisé. On peut néanmoins installer temporairement sur sa parcelle personnelle, sa tiny house, moyennant un accord de la commune, dont la tolérance est variable.

Davantage de souplesse

"L’arrivée de cette tiny house est une bonne nouvelle, c’est innovant et c’est la première fois que ça arrive", souligne aussi Apolline Vranken, chargée du projet Home For Less, initié par l’association l’Ilot, qui construit des modules de logement dans des bâtiments inoccupés de la capitale pour les personnes sans abri. "On fait du lobbying politique pour changer les permis d’urbanisme autour de l’occupation temporaire", poursuit-elle.

"Ce qu’on veut, c’est de la souplesse pour le public sans abri, comme c’est le cas par exemple pour les logements étudiants, ce qui permet de leur garantir des logements à des prix défiant toute concurrence."
Apolline Vranken, chargée du projet Home For Less

Et de rappeler l’objectif : "Offrir un maximum de logements dans des bonnes conditions". Ce qui passera par du léger et du durable. Un vœu partagé par Zelda Nguwo, qui rêverait de voir se multiplier les tiny houses pour répondre au mieux à la problématique d’accès au logement pour les plus démunis.

Vidéo : Semra Desovali - Montage : Johanna Pierre

Photos : Olivier Papegnies/Collectif Huma

Faire son nid dans un cube

Inhérents à la transformation des villes, friches et terrains inoccupés sont nombreux dans la capitale. Les associations membres de la campagne “400 Toits” y voient autant d’opportunités pour la création de logements alternatifs et innovants. Et dès lors un moyen parmi d’autres de contribuer significativement à la fin du sans-arbisme à Bruxelles. L’objectif étant de trouver 400 logements d’ici 2020. “Les temps classiques de production immobilière sont longs face aux besoins immédiats des personnes en grande vulnérabilité”, soulève Julie Rondier, coordinatrice Habitat & Humanisme.

Inclusion sociale et rénovation urbaine

Depuis quelques jours, le “Walt-Cube” et le “Moving Nest” ont donc été posés sur le terrain schaerbeekois "Bridgecity", en attente de développement immobilier. Les deux studios individuels de 26m2 aux normes d’habitation sont préfabriqués et déplaçables. Ils ne mettent que d’un à trois jours pour être installés et offrent donc une solution de relogement rapide. “Nous voulions qu’il ait le visage d’un véritable logement et procure une sensation de ‘chez-soi’à son occupant, commente France-Laure Labeeuw. Ils sont un complément à la production de logements durables, financièrement abordables et de qualité”, précise l’architecte de la campagne.

Installés pour trois mois, ces “modules témoins” (18 700 euros pour le premier et 37 000 euros pour le second, hors frais de transport et de raccordement) ne seront pas occupés dans l’immédiat. Les associations membres de “400 Toits” cherchent un terrain qui soit disponible au minimum deux ans et qui puisse accueillir quatre à cinq unités. La volonté est par ailleurs de solliciter des partenariats avec des acteurs locaux afin de stimuler la cohésion sociale et la réinsertion. “Cette approche contribue à la vitalité créative des acteurs culturels, sociaux et économiques”, motive Antoine de Borman, président de citydev.brussels, propriétaire du terrain et acteur foncier.

L’appel est lancé auprès des investisseurs, propriétaires de terrains non bâtis et des pouvoirs publics. A qui il est par ailleurs demandé de se pencher sur une simplification des permis d’urbanisme pour de telles occupation.

Aller à la rencontre des sans-abri

"400Toits" lance la deuxième édition de la campagne “Face-à-face pour un logement”, une enquête qualitative auprès des personnes vivant dans les rues de Bruxelles. Du 25 au 28 septembre, 400 bénévoles et travailleurs de terrain mèneront des entretiens approfondis avec les personnes sans-abri. Ces maraudes permettent d’identifier les besoins particuliers à chacun. Une manière aussi de poursuivre la sensibilisation et d’amplifier l’engagement de la communauté.
Pour plus d’informations : https ://400toits-daken.com

V.V.Vy.