En festival,
des lendemains qui chantent

L' " After festival RECUP" collecte, trie, nettoie et achemine le matériel récupéré lors des festivals d'été vers différents circuits de solidarité, en Belgique et en France.
Renaud et ses bénévoles étaient présents à "Dream Ville", le campement des festivaliers de Tomorrowland.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Après trois jours et quatre nuits passées dans la ferveur du gigantesque festival anversois, 38 000 festivaliers quittent le vaste espace de camping du parc De Schorre, sacs archi-pleins sur le dos ou empilés comme un fragile château de cartes sur de branlants chariots. Alors que les corps fatigués passent sous l’arc-en-ciel de "Dream Ville" en rythme - électronique - sous un soleil de plomb, Renaud et son équipe empruntent le chemin inverse.
Ils font partie de l’initiative " After festival RECUP", qui se fond, ce jour-là, dans la centaine de membres bénévoles du projet  "Camp 2 camp". Un programme initié par les organisateurs de Tomorrowland et pris en charge par la société de travail adapté Ecoso.

Parmi 200.000 festivaliers, 38.000 avaient élu domicile à Dream Ville.

Parmi 200.000 festivaliers, 38.000 avaient élu domicile à Dream Ville.

Le balai des bénévoles

"Ca me fait mal au coeur de voir ça", commente Olivier, bénévole adepte du zéro déchet. En ce lendemain de fête, la ville n’est plus exactement celle du rêve. Bien que le festival ait prévu énormément de points de collecte et de tri des déchets -avec des poubelles dans le plus pur style Disney - et que des équipes s'échinent constamment à garder le site propre, une quantité impressionnante de matériel jonche encore le sol. "Beaucoup de campeurs abandonnent tentes, matelas, bâches, chaises, sacs de couchage... commente Renaud Jean-Louis au milieu des quelques festivaliers retardataires. C’est encore davantage le cas lorsqu’il pleut. Ils sont découragés par le rangement", poursuit l’initiateur de l’After festival RECUP.

« Certains estiment par ailleurs que la valeur de leur matériel n’en vaut pas la peine et préfèrent tout simplement le laisser ».
Renaud Jean-Louis

Dans le cas de Tomorrowland, nombreux sont les festivaliers venus des quatre coins du monde qui ne souhaitent pas s'encombrer.

Affublés d'une chasuble rose fluo, une centaine de bénévoles ratissent la plaine, démontent et plient les tentes qui tiennent encore debout, roulent les sacs de couchage, matelas et tapis de sol. Les grands sacs en toile de jute se remplissent rapidement et filent les uns après les autres dans les camionnettes des "Kringwinkels", des magasins de seconde main à finalité sociale (lire ci-dessous). "La réflexion sur le réemploi a été pensée de manière large", commente Renaud Jean-Louis. S’il estime que ce n’est pas le cas dans tous les festivals auquel participe l’After festival RECUP, le souci environnemental s’inscrit néanmoins de plus en plus dans les mentalités des organisateurs.

Ici, nous ne récupérons qu’une partie du matériel qui sera donné aux bénéficiaires de nos propres partenaires”, précise Renaud.
Lui et ses bénévoles écument les festivals afin d’y récupérer ce dont les festivaliers ne veulent plus. Et qui pourraient servir à d’autres. “Sans être un adepte de ces événements, il m’a semblé pertinent de récupérer ce qui y est abandonné”, explique le quadragénaire.

Le Chiffre : 3 - A l'occasion de sa 11e édition qui a lieu ces 3 et 4 août, l'Absolutely Free Festival de Genk demande aux participants d'apporter trois piles usagées comme ticket d'entrée ou de s'acquitter d'une somme de trois euros. Réalisée en partenariat avec Bebat Natuurpunt, l'opération servira à planter des arbres.

"Ah! Il y a une tente, là-bas, viens !", interpelle Olivier. Pascal, son frère aîné, le suit. Depuis une paire d’heure, les compères ne se sont pratiquement pas arrêtés. "C’est une modeste contribution. J’ai la chance de vivre confortablement. Alors, si je peux améliorer en une journée le quotidien de quelqu’un qui en a moins…", glisse le plus âgé.

En tout, ce sont 20 tonnes de matériel qui auront été récoltées ce jour-là.

Rien que de la bonne volonté

L’After festival Recup est né "sur le tard" il y a un an à peine. Présent à Werchter, Esperanzah, Dour, Tomorrowland, il truste aujourd'hui les festivals les plus convoités de l’été.
"On y ramasse en masse", se réjouit Renaud Jean-Louis, son fondateur. Pour mener sa mission à bien, il peut compter sur des dizaines de bénévoles. Souvent irréguliers. Mais il se contente de ceux qui intègrent l’équipe pour l’une ou l’autre date. Stéphanie n’en est pas à son coup d’essai. Elle estime que cet engagement citoyen, parmi d'autres, est essentiel. "Petit à petit, on peut changer les choses. A commencer par soi-même", souffle-t-elle en évacuant l’air d’un matelas gonflable.

"Derrière l’After festival RECUP, il n’y a rien. Juste de la bonne volonté", admet sans prétention Renaud Jean-Louis. Alors, à chaque fois, c’est "le règne de la débrouille". Les bénévoles lavent eux-mêmes les sacs de couchage, nettoient les bâches, rafistolent ce qui a lieu de l’être, stockent des piles de matériel dans leur garage.

Pour que ça le soit un peu moins, Renaud Jean-Louis se repose sur les associations partenaires pour la redistribution du matériel. En besoin constant de forces vives, il en appelle aux bénévoles désireux de s’impliquer dans l’organisation de manière structurelle, en y assumant la coordination. Et d’ainsi soulager les épaules des quelques autres. Lui, notamment. "La balance entre l’énergie que ça prend et celle que l’on reçoit reste nettement positive. Apporter ma pierre en soutenant des projets qui ont du sens me procure une joie incommensurable", estime-t-il cependant.

Pascal a intégré l'équipe pour la première fois. Il y voit une manière de rendre "un peu" de la chance qu'il a reçue.

Pascal a intégré l'équipe pour la première fois. Il y voit une manière de rendre "un peu" de la chance qu'il a reçue.

Les circuits de la solidarité

Après avoir récolté des mètres cubes de matériel, il convient de le trier, de le nettoyer et de le stocker. Il pourra ensuite être "réinjecté dans les circuits de la solidarité". L’After festival RECUP a noué des partenariats avec des associations actives auprès des exilés et des sans-abri. "La plus grande partie, particulièrement les sacs de couchage, est distribuée à la gare du Nord de Bruxelles où l’on retrouve de nombreux migrants, via la Plateforme citoyenne, détaille l'initiateur du projet. Mais aussi aux sans-abri à Liège, qui ont le droit de monter une tente."

Le matériel est en outre donné aux organisations de jeunesse. "La demande est immense", poursuit celui qui a fait le constat d’un "désastre écologique et humain" dans la jungle de Calais, en y apportant régulièrement son aide. Du matériel est d’ailleurs aussi acheminé dans cette ville par l’After festival RECUP.

"Plus on récolte, mieux c’est !", commente Renaud en pliant une énième tente. Mais de nuancer ensuite : "Nous sommes heureux de collecter tant de matériel. Mais le message reste tout de même celui de la consommation responsable. Nous ne voulons pas servir de faire-valoir à une consommation débridée, un prétexte pour acheter du neuf alors que l’ancien est encore bon à l’usage."
Il répétera ce message tout l’été, pour ne pas vivre des lendemains qui déchantent.

Vidéo : Valentine Van Vyve

Photos : Didier Bauweraerts

Tomorrowland pense le monde de demain

"Tomorrow Love", le volet environnement de Tomorrowland, a pris le pli de la durabilité. L’amour du futur passe probablement par là ! "Nous avons envisagé un projet qui soit durable sur le plan écologique et social", explique Jolien Roelandt, responsable communication de l’association Ecoso, qui gère la récolte de matériel lors du festival. Pour la troisième année consécutive, deux journées sont prévues à cet effet, directement après chaque weekend de concerts. Plutôt que de tout déblayer à la pelleteuse, chaque tente est minutieusement inspectée, démontée et pliée.

Une année de travail

Le matériel collecté est acheminé vers les centres de tri, avant d’être distribué dans différents magasins Kringwinkels . Le projet "camp 2 camp" sert ainsi un double objectif. D’abord écologique: "En allongeant la durée de vie des objets, on s’inscrit dans l’économie circulaire et la filière du réemploi. Il y a toujours des débouchés pour ce que l’on pense être des déchets", avance Jolien Roelandt. C’est par exemple le cas des bâches trouées qui seront revalorisées en devenant des sacs réutilisables.

Pour Ecoso, il était important que l’objectif soit aussi social. "Ce matériel aura besoin d’être trié, traité, réparé, nettoyé et ensuite réintégrera les Kringwinkels, où ils sera mis en location. Cela crée de l’emploi pour les personnes qui sont éloignées du marché du travail", argumente la chargée de com' en observant la fourmillière s'activer autour d'elle. "Ce que l’on récolte ici va nous donner du travail pendant une année !" se réjouit-elle.

En permettant une location à moindre coût, les Kringwinkels, derrière lesquels se cache Ecoso, entendent "lutter contre l’exclusion. Nous voulons que le prix du matériel de camping ne soit plus un frein pour les plus vulnérables qui désirent s’en procurer pour leurs vacances ou les camps scouts des enfants…"

Vingt-cinq tonnes. Qui dit mieux ?

Si l’an dernier, ce sont 25 tonnes de matériel qui avaient été acheminées vers les magasins, elle s’attend à ce que la quantité soit plus importante encore cette année, au vu du nombre élevé de bénévoles mobilisés. "Nous espérons que notre présence favorisera aussi le changement de mentalité des festivaliers", conclut notre interlocutrice.