L'activité physique adaptée, "le" médicament du XXIe siècle

GymSana a mis en place des séances d'Activité Physique Adaptée (APA) aux personnes âgées et aux malades chroniques. Au carrefour entre le social, la santé et le sport, elles permettent de maintenir leur autonomie et de lutter contre l'isolement.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Josée franchit la porte de la salle communale de Limelette d'un pas peu sûr. Un rien traînant. « Ça va ? », lui demande Jean-Pierre, les yeux transformés en deux petites fentes par un large sourire. « Oh... J'ai laissé les soucis dehors », lui répond-elle. Car le vendredi matin, elle l'attend avec impatience : David vient donner un cours d' « activité physique adaptée » (APA). Adaptée à eux, cette dizaine de seniors à la mobilité plus ou moins réduite. « Il n'y a que du bon », commente doucement mais avec conviction Josée.

Depuis cinq ans, Josée participe tous les vendredis au cours de “prévention des chutes”. Son équilibre s’améliore au même rythme que les liens se tissent avec les membres du groupe.

Depuis cinq ans, Josée participe tous les vendredis au cours de “prévention des chutes”. Son équilibre s’améliore au même rythme que les liens se tissent avec les membres du groupe.

David l'a bien compris. Ce jour-là, Josée n'est pas au meilleur de sa forme. Lors de l'échauffement, l'intervenant APA fait se frotter le front à ses élèves. « Allez, on enlève les soucis ! ». « Ah, oui ! », réagit Josée. A 80 printemps, elle est la doyenne de la bande. C'est aussi elle qui est à l'initiative de ces activités données dans ce quartier de la commune d'Ottignies (Brabant Wallon) depuis « environ 5 ans ». « Qui s'en rappelle exactement ? », demande David, membre de GymSana depuis un peu moins d'un an. Ni Josée ni Jean-Pierre ne s'en souviennent avec précision. Cela importe peu. Ce qui compte, à leurs yeux, c'est ce que ces activités leur apportent aujourd'hui et demain sur le plan physique. Mais aussi les liens qu'elles leur ont permis de tisser.

GymSana répond à la question du bien vieillir et de l'autonomie

« À l'horizon 2050, plus d'un quart de la population belge aura plus de 65 ans. Si l'espérance de vie augmente, l'entrée en dépendance ne recule pas. À côté de cela, l'on assiste à une explosion des maladies chroniques : 35 % des personnes de plus de 60 ans en souffrent aujourd'hui. » Par ailleurs, dans une « société pourtant de plus en plus connectée, la solitude et la dépression touchent de plus en plus de personnes âgées. Aujourd'hui, 40 % des personnes en maison de repos en Région Wallonne prennent des anxiolytiques ou anti-dépresseurs.» Le constat est dressé par Jérémy Lorie. Le coordinateur de GymSana soulève que si l'on vit plus longtemps, on ne vit pas nécessairement mieux. La question du « bien vieillir et de l'autonomie est plus que jamais d'actualité », poursuit-il.

La qualité de vie améliorée par l'activité physique

Cela fait une dizaine d'années que l'ASBL GymSana tente d'y apporter une réponse. Selon ses fondateurs, la pratique d'une activité physique régulière adaptée aux personnes âgées ou fragilisées permet, selon la formule utilisée, de« donner de la vie aux années » : en augmenter la qualité et conserver l'autonomie le plus longtemps possible. En corollaire, c'est le maintien à domicile qui est favorisé.

Suivant le modèle et la philosophie appliqués par l'association française « Siel bleu», GymSana a développé ses activités destinées à ce public particulier, dans un paysage pratiquement vierge de toute structures du genre : gym assise et debout, activités de prévention des chutes, activités pour les personnes atteintes de maladies chroniques (Parkinson, Alzheimer, diabète,...), marche nordique. Les objectifs sont à la fois préventifs et thérapeutiques. Mais non médicamenteux. Quant aux moyens, « ils ne doivent pas être un frein ». L'ASBL s'attache donc, à force de subsides publics et privés, à les rendre accessibles à tous, quels que soient la pathologie, l’âge, le niveau socio-économique ou le lieu de vie.

Aujourd'hui, l'ASBL est active dans toute la Belgique francophone. 1900 personnes, rassemblées en 180 groupes, suivent chaque semaine les cours donnés par une vingtaine d'intervenants spécialisés.

Lutter contre la solitude et l'isolement

Comme d'habitude, David entame cette séance de « prévention des chutes » par un échauffement. Assis, debout, ça chauffe, dans les quadriceps. On frotte les articulations avant de les bouger plus dynamiquement. « Et pour terminer, l'exercice magique ! », annonce-t-il. Les dix seniors commencent alors à marcher sur place, les genoux levés bien haut. Après quelques secondes, le cercle qu'ils formaient s'est resserré. « C'est ça la magie, plaisante l'intervenant APA, on se rapproche sans s'en rendre compte ». Ses élèves rient de bon cœur dans une ambiance de franche camaraderie.

David ne croit pas si bien dire. « Je viens surtout pour le côté convivial », glisse Françoise, qui éclate régulièrement de rire lorsqu'elle doit attraper une minuscule balle avant qu'elle ne touche le sol. « Partager ces moments, cela crée des liens », ajoute Josée. Le petit groupe s'est au fil du temps soudé, disent ses membres. « Ces activités sont créatrices de lien social : ils collaborent dans des jeux ludiques, se soutiennent  », remarque David. Elles permettent ainsi de lutter contre la solitude et l'isolement.

« Nous nous retrouvons parfois en dehors du cours », ajoute d'ailleurs Geneviève avant de s'en aller discuter à l'extérieur, malgré la pluie fine. Pour Jérémy Lorie, coordinateur de GymSana, « ces moments sont une bouffée d'oxygène. Ils rythment la semaine. Ensemble, ils ont un projet porteur de sens ».

« Le manque de contact social est souvent la source de l'amplification des problèmes de santé physiques et psychologiques. »
SPF Sécurité sociale

L'aspect collectif, tant pour les seniors que pour les personnes souffrant de maladies chroniques, permet à chacun de « se sentir moins seul » en côtoyant des personnes qui rencontrent les mêmes soucis quotidiens. « L'APA offre un espace de parole qui permet un échange d'expériences », souligne Claudette, dont l'époux est atteint de la maladie de Parkinson. « On se rend compte que l'on peut s'entraider », complète celui-ci à l'issue d'une séance destiné à ce public-là. Ces activités ont aussi pour but de soulager l'aidant.

David Germeau veille à ce que ses exercices stimulent le corps et le cerveau.

David Germeau veille à ce que ses exercices stimulent le corps et le cerveau.

Des activités adaptées

« Rares sont les personnes âgées qui franchissent la porte d'une salle de sport », constate Jérémy Lorie. Pourtant elles ont tout autant, si pas plus, besoin d'exercer une activité physique régulière. Mais aussi adaptée à leurs capacités et qui prenne en compte leurs fragilités, qu'elles soient dues à la vieillesse ou à une pathologie. Or, « des lieux adaptés n'existent pas de manière étendue et structurelle », poursuit-il. C'est ainsi que GymSana, à la manière des infirmières à domicile, « apporte le sport chez les personnes fragilisées » : une salle communale, une maison de repos ou de soins, une association de malades, un groupe de personnes âgées,...

Si les cours sont collectifs, ils ne négligent pas l'attention portée sur chaque participant individuellement. « J'ai peur, mais j'y arrive », commente Josée alors que David lui demande de se rasseoir tout doucement, en maîtrisant sa descente vers la chaise. « On se rend compte de ses capacités, que l'on peut même aller au-delà de ce que l'on pensait pouvoir faire. Cela fait du bien au moral.  Ici, on panse ses plaies... », glisse-t-elle

Cela fait du bien au moral. Ici, on panse ses plaies... »
Josée, participante au cours de prévention des chutes

« L’un des objectifs est de progresser et de permettre à l'organisme de s'adapter. Cela procure du bien-être, important notamment dans les cas de pathologie », confirme le neurologue Jean-Marc Raymackers.

Josée connaît des problèmes d'équilibre. Mais cela va mieux. « J'appends à être gentille avec mon corps », dit-elle. Consciente de ses limites, elle peut les dépasser avec confiance grâce à David, qui « connaît ses faiblesses et adapte ses exigences », se réjouit Josée. Le climat est « bienveillant », précise l'intervenant.

« Il est important d'éviter les situations d'échec, qui peuvent être source de frustration et de frein. »
David Germeau, intervenant APA

Au contraire, « il convient de donner confiance » à des personnes souvent éloignées de l'activité sportive. Alors, il évite de corriger systématiquement. Pour les malades chroniques, l'effort est d'autant plus compliqué qu'aux difficultés inhérentes à la vieillesse, s'ajoute celle de la dégénérescence du corps.

Un impact sur la santé

Pour autant, ils ne sont pas « mis dans la ouate ». Exercices psychomoteurs, d'équilibre, de réflexes rythment ainsi l'heure de cours. « Ce sont des exercices psychomoteurs et fonctionnels, qui miment les gestes du quotidien », explique David. « L'intensité et la régularité de l'activité restent essentielles » si l'on veut atteindre les effets escomptés sur le plan physique, explique le Dr Jean-Marc Raymackers. Car l'objectif est bel et bien thérapeutique. Aux États-Unis, la méthode s'impose d'ailleurs sous le nom révélateur d' « exercice is medicine ».

"Soigner le problème du mouvement par le mouvement"

En 2016, l'étude MeetMove réalisée par l'ULB après avoir suivi 70 seniors pendant 18 mois tirait la conclusion suivante : « Une activité régulière et collective permet d'augmenter l'autonomie motrice des seniors, mais aussi de diminuer l'état dépressif, contribuant ainsi à limiter le déclin cognitif et moteur. » Jean-Marc Raymackers, neurologue et ancien professeur à la faculté des sciences de la motricité à l'UCL, s'est largement penché sur le sujet.

Quels sont les bienfaits d'une activité physique pour les seniors ?

L'impact des années sur la santé est immense : perte de fonctionnalité musculaire et respiratoire, risques de chute, de maladie cardio-vasculaire et neuro-dégénérative. Exercer une activité physique régulière, progressive, continue et d’intensité modérée a un impact positif sur la santé des personnes fragilisées : elle permet aux organes de mieux fonctionner. Cela va faire diminuer la pression artérielle, l’inflammation des vaisseaux, lutter contre l’hyperglicémie, réduire le risque d’AVC ; elle facilite les activités quotidiennes et la participation à des activités sociales. Les atouts psychologiques et de bien-être sont par ailleurs nombreux. Eux-mêmes constituent un facteur essentiel dans le traitement des maladies.

Qu'en est-il pour les malades chroniques ? Les APA ont-elles des capacités curatives ?

S’il y a déjà une maladie, est-ce utile ? Oui. Dans le cas de Parkinson, ce n’est pas curatif mais cela ralentit la maladie. Certains patients, en début de traitement, peuvent être contrôlés uniquement par une activité physique. Cela permet dans d’autres cas de diminuer les doses de médicaments. Les APA participent à la diminution des tremblements, à une plus grande rapidité dans les mouvements. Ainsi, on soigne le problème du mouvement par le mouvement. L’activité doit comporter de l'endurance (qui procure le meilleur effet anti-vieillissement car elle protège les neurones), de la musculation (qui renforce le muscle alors que celui-ci a tendance à fondre lorsqu’il n’est pas utilisé), de l'équilibre (important dans les troubles de la statique) et, enfin, des étirements (maintiennent l'amplitude articulaire).

L’activité physique régulière d’endurance fonctionne contre la maladie d’Alzheimer. Suivis entre 50 et 70 ans, en moyenne 4 à 5% des personnes sédentaires développeront une démence. Durant cet intervalle, on voit la fréquence de démence diminuée par deux chez les personnes qui ont gardé une activité physique régulière

Quels en sont les freins ?

Je citerais le prix et le manque d'institutions, l'accessibilité des lieux, le manque de mobilité des personnes âgées et le manque de connaissance des instructeurs en matière d'activité physique adaptée aux maladies, la frilosité de certains médecins qui pensent avant tout à “ne pas nuire”. Mais la pantoufle est un tueur ! Le risque de ne rien faire est plus grand que celui d’exercer une APA. Citons également la peur, légitime, du patient. Et, enfin, une certaine propension à la fainéantise.

« Quelle que soit l’activité physique, elle est bénéfique parce qu’il y a au minimum le côté social, la remise en confiance, la prévention des chutes. Mais ont sait aussi qu’une activité physique régulière provoque des modifications au niveau du corps : chimiquement, biologiquement, au niveau des cellules et des organes et physiologiquement au niveau du corps. Et dans certains cas, cela vaut aussi bien si pas mieux que des médicaments”, commente le neurologue. Si l'activité physique n'est pas un traitement en soi, elle est complémentaire au traitement médicamenteux et aux exercices de kinésithérapie. « Il est indispensable de rester en mouvement », souffle Claudette.

« Si les nombreux bénéfices de l’activité physique pouvaient être condensés dans une seule pilule, cela constituerait simplement le médicament le plus prescrit dans le monde. »
Conclusion de l'étude scientifique Sallis, 2009

« Il n'y a rien de pire qu'une chute pour une personne âgée », souligne Jérémy Lorie. Les activités de prévention permettent de limiter le risque de blessures, en ce compris de fractures graves, mais aussi d'éviter le « syndrome post-chute », à savoir une réticence à la mobilité, à sortir et à s'engager dans des activités. S’enclenche dans ce cas un cercle vicieux : « La personne vit un déconditionnement physique : puisqu'on bouge moins, la masse musculaire et la souplesse diminuent. Cela augmente le risque de chute ». Au contraire, « l'activité physique donne confiance et permet aux personnes fragilisées de sortir, d'aller au théâtre, au cinéma,... », appuie David.

Pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, les activités physiques adaptées sont un complément "indispensable" à la kiné. D'autant qu'elles ont cet atout essentiel : celui du groupe. Il est considéré comme un précieux réceptacle de paroles.

Pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, les activités physiques adaptées sont un complément "indispensable" à la kiné. D'autant qu'elles ont cet atout essentiel : celui du groupe. Il est considéré comme un précieux réceptacle de paroles.

Glisser le curseur du curatif vers le préventif

Chez GymSana, on parle des APA comme d'un« outil innovant », « Le » médicament d'un 21e siècle « marqué par la sédentarité et la solitude ». « Il offre un triple impact : des effets positifs sur la santé physique, sur l’état psychologique et sur la socialisation », juge Jérémy Lorie. 

Forte de son expertise, l'ASBL entend « convaincre les pouvoirs publics de l'intérêt de cette prise en charge non médicamenteuse afin de glisser le curseur de nos politiques du curatif vers le préventif ». Cet intérêt est aujourd'hui à géométrie variable. « Le préventif est le parent pauvre parce que ses effets ne sont pas aussi tangibles et visibles », analyse-t-il.

Moins besoin de docteurs/ De guérisseurs ou de soigneurs/ Si vous allez à Gymsana/ Dans l'ardeur mais la douceur/ Et surtout dans la bonne humeur/ Voilà comment se passe l'heure.
Poème de Geneviève, participante au cours de prévention des chutes

Outre les pouvoirs publics, ce sont aussi vers les mutuelles que se tourne GymSana. Plutôt que de rembourser les coûts souvent élevés des hospitalisations et traitements, pourquoi n'agiraient-elles pas davantage en amont ? Elles remboursent une (petite) partie des abonnements pris dans les clubs sportifs et auprès de GymSana, elles auraient intérêt à augmenter cet incitant pour prévenir plutôt que guérir, poursuit le coordinateur de Gymsana.

« Cela diminuerait la quantité de pathologies, d'hospitalisations, de médicaments avec un impact à la fois financier et sur le bien-être des personnes. »
Jérémy Lorie, coordinateur de GymSana

Jérémy Lorie y voit « un formidable levier qui permettrait à tout le monde d'y trouver son compte ».

Œuvrant à une plus grande conscientisation, mais aussi en développant des formations pour les étudiants en kiné ou en éducation physique, GymSana espère que son travail de sape lui permettra de faire entrer ces activités dans le paysage thérapeutique et d'installer, d'ici dix ans, des personnes spécialisées dans chaque commune. L'ASBL remplirait alors le rôle qu'elle rêve de jouer : servir d' « outil au service de la collectivité », ponctue notre interlocuteur.