Une pause méditation qui apaise les conflits en classe

Des professeurs de l’Athénée Émile Bockstael, à Bruxelles, se sont lancés dans la pratique de la pleine conscience en classe. Le préfet, qui n’était pas spécialement convaincu au départ, constate des améliorations dans le comportement et la concentration des élèves.

Reportage 

Sabine Verhest

"Mettez vos pieds au sol et fermez vos yeux”, lance une petite voix d’élève, avant de faire vibrer le bol chantant d’un marteau de bois. Le son se déploie dans la classe, résonne, s’estompe lentement. “Nous allons faire une séance spéciale pour vous aider à gérer votre stress avant les examens”, annonce Isabelle Giraldo, instructrice de pleine conscience.

La session commence ce mardi à l’Athénée Émile Bockstael et, à voir la forêt de mains levées à la question “qui se sent stressé?”, on imagine que ces vingt minutes, prises sur un cours de latin pour les uns et de français pour les autres, se révéleront utiles pour ces enfants de première secondaire. “J’ai peur de rater, je le ressens dans le ventre et dans le cœur”, souffle une jeune fille. “J’ai du mal à dormir”, déclare une autre. “J’ai des faiblesses et ça m’affole”, confie une troisième. “J’étudie bien mais, devant ma feuille, j’oublie tout et, quand je la rends, cela me revient…”, soulève un garçon. Ils sont là, à vivre avec un stress qui parfois les envahit.

Isabelle Giraldo est instructrice de pleine conscience à l'Athénée Emile Bockstael. Ce jour-là, à l'approche des examens, la séance hebdomadaire permettra de soulager le stress des élèves de première secondaire.

Isabelle Giraldo est instructrice de pleine conscience à l'Athénée Emile Bockstael. Ce jour-là, à l'approche des examens, la séance hebdomadaire permettra de soulager le stress des élèves de première secondaire.

Observer son stress

Isabelle Giraldo fait tinter les clochettes. Le moment est venu de se connecter à sa respiration. “Vous pouvez poser la main là où vous la sentez le mieux : soit sur le ventre, soit sur la poitrine ou juste devant le nez. Sentez le souffle.” Quelques secondes s’écoulent en silence. Un bâillement s’échappe.

La première étape, c’est d’observer comment vous vous sentez avant un examen”, propose Isabelle Giraldo. “C’est normal de se sentir stressé en cette période.” Les secondes s’écoulent, en silence. “La deuxième chose, c’est de vous dire que vous n’êtes pas tout seul à stresser. Cela nous arrive à tous, à vos copains aussi”, poursuit-elle. “Pour finir, si votre meilleur ami était stressé, que lui diriez-vous ? ‘Tu as bien étudié’, ‘Tu es capable de le faire’, ‘Ça va aller’. Ces conseils, est-ce que vous pourriez vous les donner à vous-même, comme si vous étiez votre meilleur ami ?” La classe inspire profondément, expire. “Cela fait du bien de prendre un petit moment juste pour soi. Quand vous entendrez les clochettes, vous pourrez rouvrir les yeux.”

La pleine conscience n’est pas une baguette magique

Pratiquer la méditation de pleine conscience permet d’être vraiment présent dans l’instant, attentif, sans se laisser emporter par l’agitation du moment, sans céder à ses impulsions.

L’idée est de ressentir ce qui se passe en soi et autour de soi, avec curiosité et sans jugement. “Il s’agit vraiment d’une éducation à une manière d’être en relation avec soi-même et avec le monde qui nous entoure”, explique-t-on à l’ association Émergences.

Ce n’est pas de la relaxation, ni une religion, une psychothérapie, un outil de discipline ou de gestion de crise, et encore moins une baguette magique.

Il y en a une que la gestion du stress taraude, quand même. “Madame, est-ce qu’il n’est pas possible de l’éliminer, plutôt ? Même quand on a très bien étudié, il est en nous.” Non, il n’existe pas de bouton pour l’éteindre, mais des trucs pour l’apaiser. “Vous vous souvenez comment fonctionne le cerveau ? Il y a le cortex préfrontal, qui réfléchit, l’hippocampe, qui enregistre ce que vous étudiez comme un disque dur, et l’amygdale, qui prend les commandes en cas de danger”, explique l’instructrice. “Quand on stresse fort, on ne sait faire que trois choses : courir, se battre ou faire le mort. L’amygdale a déconnecté le reste du cerveau, vous ne pourrez pas réfléchir, vous n’aurez pas accès à votre disque dur. Les exercices de respiration qu’on va faire maintenant pourront vous aider à désactiver l’amygdale le jour de l’examen.”

L’idée est de respirer lentement et de prendre conscience de son stress d’abord. “Inspirez, puis expirez toutes les tensions, toute l’angoisse. Faites ça quelques fois. Puis, essayez d’inspirer toute la facilité. Imaginez que tout se passe bien, que vous répondez à toutes les questions.” Mais attention, “ce que je vous explique, ce n’est pas de la magie, il faut bien avoir étudié et faire de son mieux !”

Des professeurs volontaires

L’Athénée Émile Bockstael s’est lancé dans l’aventure de la pleine conscience il y a deux ans, avec l’appui financier de la Ville de Bruxelles. “Le décret Inscription a fait que la population de l’école s’est modifiée dans le premier degré. Nos élèves viennent maintenant de toutes sortes d’écoles primaires différentes. Nos enseignants se retrouvent avec des élèves qui ont déjà acquis des méthodes de travail et des attitudes à avoir face au travail, et d’autres qui ne sont pas du tout dans cette situation”, explique le préfet des études, Pierre Caspers.

“Les enseignants, quand ils sont confrontés à une difficulté, ils cherchent des solutions.”
Pierre Caspers, préfet.

Professeur de math, Isabelle Mees lui a alors proposé ce projet de développement de la pleine conscience à l’athénée. Cela se fait déjà dans plusieurs écoles – en primaire surtout – et commence dans l’enseignement supérieur, pour gérer le stress et améliorer la concentration, voire canaliser la violence. Car les pressions, qu’elles viennent de l’école même ou d’un environnement social ou familial difficile, peuvent affecter les élèves (avec de la déconcentration, de l’anxiété, de l’agressivité, un manque de confiance, des problèmes relationnels) tout comme les enseignants (qui se démotivent, s’épuisent émotionnellement et physiquement, jusqu’au burn-out).

“Je me suis dit ‘pourquoi pas’, il faut bien faire quelque chose. Je ne vais pas dire que j’étais convaincu parce que je connaissais la pleine conscience avant, ce n’est pas vrai.”
Pierre Caspers, préfet.

Les six enseignants volontaires ont suivi une formation, avec l’association Émergences, pour faire eux-mêmes l’expérience de la pleine conscience et pouvoir l’intégrer dans la pédagogie. Trois instructrices, dont Isabelle Giraldo, ont donné des cycles de pleine conscience dans les classes du premier degré pendant deux ans, l’idée étant que les enseignants puissent désormais poursuivre seuls l’aventure et que germent les graines au fil des années.

"Quand je suis là, ils sont bienveillants entre eux"

Trois questions à Grégory Tilleul, professeur de français

Pourquoi avez-vous souhaité participer à ce projet de pleine conscience ?

J’ai été ravi qu’il arrive dans l’école. Je ne pratiquais pas la pleine conscience en tant que telle, mais sous d’autres formes qui ont souvent un point commun : le fait de se respecter soi et de respecter ses émotions. J’y travaillais déjà, depuis quatre ou cinq ans, pour être bien avec mes élèves. Beaucoup se ramassent des ondes négatives avant et après mon cours. Je ne veux pas décharger sur eux une émotion négative que j’aurais, alors qu’ils n’en sont pas responsables.

La pleine conscience a-t-elle amélioré les relations interpersonnelles de vos élèves ?

Je ne peux pas le dire, parce qu’il y a parfois un monde de différence entre mon cours et les autres cours. Je vois cela en conseil de classe. Ils ne se comportent pas de la même manière avec moi et avec d’autres collègues. Quand je suis là, ils sont bienveillants entre eux. Je n’assiste plus à des scènes de violence comme il pouvait y en avoir avant. Elles se passent dans le couloir avec des élèves que je ne connais pas, qui ne pratiquent généralement pas la pleine conscience. Mon utopie, c’est que cette pratique aide à réduire la violence. J’y crois, et je le dis aux collègues qui n’y croient pas.

Une école qui, comme Emile Bockstael, a moins bonne réputation qu'avant a-t-elle plus besoin d'un tel projet qu'ailleurs ?

Elle n’a pas plus mauvaise réputation au niveau de la discipline et du comportement des élèves que la majorité des écoles de la Ville de Bruxelles à l’heure actuelle. Elle n’a pas plus besoin de la pleine conscience qu’ailleurs. Je pense que cela devrait être propagé dans toutes les écoles. Il y a des enfants stressés ou hyperactifs partout. Dans les écoles qui cadrent, qui écartèlent, qui briment, le stress peut être intérieur et ronger encore plus, même si les élèves ne le démontrent pas physiquement. La violence y est autre. Paradoxalement, un projet de pleine conscience est peut-être même encore plus nécessaire dans ces écoles-là.

Mieux-être et concentration

Dans les classes de Sandrine Wilson, professeur de latin, et Grégory Tilleul, professeur de français, les élèves témoignent d’un mieux-être favorable à l’apprentissage. “La première fois, j’ai rigolé, avec mes copains”, avoue Reda. “Mais, petit à petit, je l’ai fait sérieusement et cela me permet de mieux me concentrer.” Félicien, ça l’“aide à évacuer (son) stress”. Amira, elle, se trouve “moins impulsive” et Mohamed “plus mature”. “Je n’arrivais pas à gérer mes émotions”, raconte Mouad. “Maintenant, quand un prof m’enlève des points, je reste calme, je me mets dans une bulle”. Nisrine aussi, la pleine conscience l’a posée.

“J’agissais sans réfléchir et cela pouvait avoir des conséquences graves. Maintenant, je réfléchis. Si je n’étudie pas, je ne vais pas réussir mon interro. Il ne faut pas s’attendre à ce que la vie vous donne tout, il faut y mettre du sien.”
Nisrine, élève.

Parfois, la pleine conscience a aussi aidé un jeune à mieux appréhender une compétition sportive ou modifié la dynamique familiale.

Pour Sandrine Wilson, elle a en tout cas “considérablement amélioré l’ambiance de classe . Il n’y a pratiquement pas de conflit. Les élèves prennent conscience de l’existence des uns et des autres et apprennent à accepter que la vérité a plusieurs visages”, explique-t-elle. “Il y a moins d’élèves du premier degré en échec en comportement aujourd’hui qu’avant ”, note Pierre Caspers. “Les professeurs sont beaucoup moins amenés à devoir prendre des sanctions pour indiscipline ou bavardage.”

"Pour moi, c’est dans la concentration de l’élève face aux enseignements en classe et dans l’intérêt général qu’on porte à la leçon que les bénéfices arrivent.”
Pierre Caspers, préfet.

Et s’ils arrivent, embraie Isabelle Giraldo, c’est grâce aux professeurs impliqués. “Ils doivent être motivés, pratiquer quand je ne suis pas là et avoir envie d’aider leurs élèves à réussir. À Émile Bockstael, cela se ressent dans les classes et c’est ce qui fait que cela fonctionne”, insiste-t-elle. “Je travaille aussi ailleurs, dans une école réputée où les professeurs ne se montrent pas bienveillants avec leurs élèves. Là, cela ne marche pas.”

Quand ce n'est pas Isabelle Giraldo qui se charge de la séance, Grégory Tilleul, professeur de français, prend le relais. La pratique n'est efficace que si les professeurs s'y impliquent avec bienveillance, pense l'institutrice de pleine conscience.

Quand ce n'est pas Isabelle Giraldo qui se charge de la séance, Grégory Tilleul, professeur de français, prend le relais. La pratique n'est efficace que si les professeurs s'y impliquent avec bienveillance, pense l'institutrice de pleine conscience.

“La relation est sauvée”

Tout n’est pas facile pour autant, même avec une bonne dose de bienveillance. Sandrine Wilson pratique aussi avec des élèves plus âgés, qui n’ont pas participé au projet. Elle consacre quelques minutes de son cours à “apaiser l’esprit avant de procéder à l’apprentissage”. Sauf que l’apprentissage se révèle parfois plus que laborieux, comme dans cette classe de quatrième, où “ceux qui ont le plus besoin de pleine conscience en font le moins”. Les élèves ne sont pas très réceptifs en troisième et quatrième années, a fortiori s’ils n’ont jamais pratiqué. “C’est un âge où l’on ne sait pas faire grand-chose, et la pleine conscience non plus, ce n’est pas une solution miracle”, remarque Isabelle Giraldo.

Amina et Daniel apprécient le calme que cette pratique leur procure mais Adam, lui, “n’y arrive pas” –“cela ne me fait aucun effet” – et, de toute façon, il n’a “pas envie”. Sandrine Wilson ne baisse pas les bras pour autant,au contraire. Elle a “pu sauver la relation”, dit-elle, et c’est déjà pas mal.

Photos : Olivier Papegnies

Vidéos : Johanna Pierre