Des poules en location ramènent la nature en ville

En mettant ses poules rousses en location, "Cocottes-minute" favorise la production locale d'oeufs et le contact, souvent perdu, des citadins avec la nature. C'est aussi un outil éducatif efficace et ludique.

    Reportage 

    Valentine Van Vyve

    A l’étage le plus bas d’un jardin en terrasse, Cocodi et Cocoda caquettent joyeusement. Les deux poules rousses se perdent dans les fourrées avant de revenir au pas de course ou dans les bras de Loes, Noureia et Raphaël. Les trois enfants prennent un malin plaisir à se perdre dans les ronces pour ramener au bercail ces pensionnaires peu ordinaires. Depuis un mois, le jardin accueille un poulailler et ses deux habitantes.

    « C’est cool ! Elles se laissent caresser et prendre dans les bras », répètent les bambins, ravis d’avoir de nouveaux animaux de compagnies. Le chat, lui, ne bronche pas et s’accommode tout aussi bien de ces nouveaux compères. « Cocoda lui fait un peu peur quand même », tempère Noureia. Les poules ont leur petit caractère. « Elles font ce qu’elles veulent », s’amuse Gaëlle Pellon, la maman de la joyeuse bande. Elles dédaignent les poivrons jaunes, et marquent leur préférence pour le potager, qui peut en témoigner : il est aujourd’hui grillagé pour éviter d’être pillé!

    La famille Pellon a ainsi embarqué dans l’aventure «  Cocottes-minute », une structure mettant en location des poules ainsi qu’un poulailler pliable et du matériel d’alimentation et de litière. Les poules sont ainsi louées par paire. « Animal social, elles ne pourraient vivre seules, sous peine de déprimer », commente Alice Retorre, la fondatrice du projet. A charge pour les hôtes de les nourrir, de les sortir et de nettoyer la litière.

    Les poules rousses ont passé une année en couveuse

    Dès le lancement de « Cocottes-minute », Alice intègre «  Créa-Job ». Ayant pour mission de favoriser l’insertion socioprofessionnelle, la structure ne convient pas tout à fait au projet d’Alice Retorre, analyse-t-elle alors que cette expérience d’une année « de couveuse » touche tout juste à sa fin. « Cela allait trop vite, à un rythme qui ne convenait ni à moi ni au projet, explique-t-elle. J’avais l’impression de mettre la charrue avant les boeufs, de ne pas pouvoir prendre le temps à chaque étape du développement, pressée pour que le cheminement corresponde au business plan » établi initialement.

    Dix idées à la minute

    Artiste, graphiste, confectionneuse de décors de cinéma, Alice est au départ à la recherche d’une nouvelle activé professionnelle et en quête de nouveaux réseaux. Particulièrement sensible à l’alimentation saine, locale, à la consommation responsable, aux processus de production et à la proximité avec la nature, celle qui avait déjà installé un poulailler dans la cour des Beaux-Arts durant ses études voyait cela comme un potentiel business. Mais son approche a au fil du temps changée. « Je ne voulais pas m’inscrire dans de l’exploitation et dans une activité hyper rentable », dit-elle. La « pression du chiffre » se faisait sentir. « Il faut réaliser des bénéfices pour que l’entreprise soit viable. Or, ce n’est pas réellement ce que je cherche. Je ne souhaite pas faire de Cocottes-minute une activité à 100% lucrative… », fait remarquer celle pour qui ce projet est une activité complémentaire, avant tout menée pour le plaisir de rencontrer, « de faire », de concrétiser le tas d’idées qu’elle a à la minute, de faire vivre un projet porteur de sens et aux vertus pédagogiques.

    Pour qu’il continue d’exister, sa fondatrice court à droite à gauche, rassurant les hôtes inquiets et s’assurant de la bonne santé de ses ouailles lorsque le doute se pose.

    Le beurre sans l’argent du beurre mais...

    Si, à l’image du rythme donné par ses poules, elle compte prendre son temps, Alice voit déjà plus loin. Elle entend pérenniser les formations qu’elle donne dans le milieu scolaire sur le bien-être animal et les besoins spécifiques des poules. En outre, avec l’éleveur local partenaire de Cocottes-minutes, elle travaille sur la mise en place d’une coopérative. Celle-ci aura pour but de commercialiser des poulaillers produits eux aussi localement et « mieux adaptés aux besoins des particuliers ». Actuellement, elle ne dispose en effet pas des moyens humains pour fabriquer en suffisance et donc vendre ses poulaillers.

    « On a le beurre et le sourire de la crémière, c’est déjà pas mal ! », ponctue avec humour Alice Retorre.​

    Au rythme des poules

    Les poules mangent les déchets ménagers, remuent le compost autant qu’elles l’enrichissent, nettoient les jardins et pondent quotidiennement un œuf chacune.

    « On peut observer la quantité d’herbe mangée pour produire un œuf ! C’est une manière d’augmenter la capacité de production d’un foyer. »
    Alice Retorre, fondatrice de "Cocottes-minute"

    Dès un an, des poules élevées localement sont louées, pour un mois renouvelable, parfois jusqu’à l’adoption. La location est souvent utilisée comme une phase de test, avant de pérenniser le projet. « Je dois régulièrement en racheter », commente d’ailleurs Alice Retorre. Actuellement, huit poules ont élu domicile dans trois ménages et une école. S’il n’est pas bien compliqué de s’en occuper, les poules nécessitent un espace vert d’au moins une dizaine de mètres carrés. « Il faut les sortir de leur poulailler », insiste la spécialiste, formée sur le tard. « Leur élevage correspond bien aux petits espaces urbains. On pourrait imaginer de les installer sur des espaces urbains inutilisés », imagine-t-elle.

    Cheval de Troie

    Sensible à ce que les poules peuvent apporter aux enfants dans le cadre scolaire, le premier poulailler a été installé dans une école qui accueille des enfants hyperactifs. « S'occuper des poules les a valorisés », commente Alice Retorre. C’est un moyen de les responsabiliser en leur donnant des tâches d’entretien et de soin, une « mise à l’épreuve ». Gaëlle Pellon y voit une sorte de défi familial : « Raphaël est responsable des œufs. Les filles s’occupent de sortir et de rentrer les poules. Elles sont ponctuelles : elles se couchent tous les soirs à 19h30 », s’amuse-t-elle. « On doit les surveiller pour qu’elles n’aillent pas chez le voisin », ajoute encore Noureia.

    « Plus qu’un objet d’amusement, les poules peuvent être de fantastiques instruments pédagogiques. »
    Alice Retorre

    C’est en effet aussi un moyen de faire prendre conscience aux enfants des modèles de production et de consommation. « Ils voient d’où viennent et comment sont faits les œufs,… Ils réalisent, en l’expérimentant, la manière dont sont élevés les animaux et l’importance du bien-être animal : ils observent quand la poule est stressée, déprimée, pas en forme et l’impact que cela a sur sa production d’œufs », pense Alice Retorre.

    « Les poules sont un cheval de Troie : une foi qu’elles rentrent dans les foyers, c’est toute une série de notions qui y entrent avec elles. »
    Alice Retorre

    Et de citer en vrac : « L’alimentation saine, le compost, la consommation alimentaire et particulièrement de viande, le bien-être animal. » « Tous les matins, on a des œufs frais à manger », se réjouit d'ailleurs Noureia. 

    Les bienfaits pour les enfants semblent prouvés. L'impact positif sur les adultes aussi. « Les poules ont amené le calme. C’est relax de les regarder et de prendre leur rythme », commente Gaëlle Pellon. « La proximité avec le vivant, constater qu’il produit à manger et qu’il le fait à son rythme, cela ramène du sens, à l’heure des "bullshit jobs" sans intérêt », ajoute Alice Retorre. 

    « Certains adultes, par ailleurs parents, s’inquiètent de devoir s’occuper de poules. Ils se sentent démunis, raconte-t-elle. Pourtant, c’est autrement moins compliqué et contraignants que des enfants ! »  Ramener la nature en ville et combler ce « décalage » est clairement affiché comme un objectif du projet « Cocottes-minute ». « On a perdu ce lien et la connaissance du plus petit bétail. Ramener une part de nature en ville en démystifiant les choses et en faisant tomber les peurs, cela fait partie aussi de ce que l'on recherche ». 

    Chez les Pellon, Cocodi et Cocoda, l’une juchée sur les épaules de Loes, l’autre blottie dans les bras de Noureia, s’en iront avant les vacances d’été. Et qui sait alors, quels noms leur auront été donnés !

    Vidéos : Valentine Van Vyve

    Photos : Cocottes-minute