Prendre le rythme des algorithmes dès six ans

Prendre le rythme des algorithmes dès six ans

L'informatique est partout. Dans l'agriculture, l'art, la mobilité, l'industrie, la communication, les loisirs, l'organisation de nos villes et de nos vies...
Qui, pourtant, comprend ce qui se cache derrière ces programmes que nous utilisons au quotidien ?
Le "codage", cet alphabet numérique, le permet.Certains, comme la start-up CodeNplay, en sont convaincus : les enfants doivent en comprendre les logiques dès le plus jeune âge.

Reportage
Valentine Van Vyve

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Dans le local informatique de l'établissement scolaire "Les Servites de Marie", une quinzaine d'enfants âgés de 6 à 12 ans sont répartis en duos, les yeux rivés tantôt sur l'ordinateur, tantôt sur une feuille de papier posée à côté d'eux et sur laquelle ils ont dessiné un labyrinthe.
Au fil des ordres qu'ils composent sur le clavier, un petit robot affublé d'un costume de père Noël obéit, se déplace et suit les lignes multicolores préalablement tracées sur le document. Sur son chemin, il ramasse des cadeaux qu'il amène d'un endroit à l'autre. Ca marche ! Les développeurs en herbe sautent de joie !

Programmé par les enfants, "Ozobot", le petit robot, parcourt les rues pour apporter des cadeaux dans les maisons.

Cette scène s'est déroulée à plusieurs reprises durant le premier semestre de l'année scolaire, nous explique Nadine Khouzam en nous montrant la vidéo. Ingénieure en informatique, celle-ci propose des animations extrascolaires pour guider les enfants de façon ludique dans la compréhension de la logique algorithmique et la création de programmes informatiques.

"Coder, c'est écrire un programme. Celui-ci est composé de plusieurs algorithmes structurés : ce sont des tâches mises dans un ordre précis dans le but d'accomplir une action."

Nadine Khouzam, fondatrice de CodeNplay.

"Je commence toujours par demander aux enfants d'expliquer comment, de la position assise, on se met debout. A eux d'en donner les étapes. S'il en manque une, ou qu'elles me sont commandées dans le mauvais ordre, je n'arriverai pas à me lever !", explique-t-elle tout en mimant la scène. Voilà une illustration concrète de ce qu'est le codage digital, de la manière dont il fonctionne, et des soucis que l'on peut rencontrer à son usage.

CodeNplay, l'apprentissage ludique de l'informatique

Fondé en mai 2017 par Nadine Khouzam, CodeNplay entend initier les enfants aux bases de l'informatique et du codage.

Activité para-scolaire. S'adressant à des enfants en âge de fréquenter l'école primaire, les animations, données dans le cadre d'activités para-scolaires, sont pensées pour être ludiques. "On joue... beaucoup!", s'amuse la fondatrice d'une méthode qui se veut la plus concrète possible. Et qui a été récompensée lors de la première édition du "Prix belge des droits de l’enfant".

Ancrage bruxellois. Aujourd'hui présente dans trois écoles bruxelloises (bientôt quatre), la structure grandit. Quatre personnes y travaillent désormais. "A terme, on pourrait imaginer former les enseignants. De cette manière, ils pourraient donner eux-mêmes ces animations dans le cadre du programme scolaire", rêve la jeune ingénieure en informatique.

Acteurs. "CodeNplay" n'est pas le seul acteur à proposer ce service (actuellement payant, puisque non subsidié par les pouvoirs publics). A côté d'elle, Code fever et CoderDojo se sont fait une place dans le paysage éducatif belge.

"L'objectif n'est pas de faire de tous ces enfants des futurs développeurs, tempère la jeune femme. Mais plutôt de leur donner une série d'outils pour qu'ils comprennent le fonctionnement de tout ce qui les entoure au quotidien." Robots ménagers, montre, GSM, sites Internet, applications, jeux en ligne... sont autant de productions (physiques ou virtuelles) qui sont programmées à l'aide de codes informatiques.

Intégrer la logique

Apprendre à coder, c'est comme apprendre à lire et à écrire : "Certains affirment que c'est une langue. Je préfère dire que c'est une base permettant d'acquérir une logique de pensée". Mais à six ans, que comprend-on des algorithmes et de la programmation digitale ? "Bien plus qu'on ne le croit !", répond cette diplômée de l'Ecole Polytechnique de Bruxelles. "Il est scientifiquement démontré que le cerveau s'adapte rapidement aux apprentissages jusqu'à l'âge de treize ans. Au plus tôt on les familiarise avec cette manière de penser, au mieux c'est", argumente Nadine Khouzam, qui observe avec étonnement la rapidité avec laquelle les enfants comprennent et intègrent ce qu'elle leur enseigne.

"Depuis sa chambre, n'importe qui peut changer le monde."

Nadine Khouzam.

Si le codage est une compétence que les enfants ajoutent dans leur besace, c'est l'apprentissage de la logique numérique (ou "digitale") qui est aussi (si pas surtout) un atout considérable. "Tous les enfants devraient apprendre à programmer un ordinateur, parce que ça leur apprend comment penser", déclarait Steve Jobs. Nadine Khouzam abonde en ce sens : "On a tendance à ne rapprocher cela qu'à la logique mathématique, mais ça va bien au-delà. On remarque que l'écriture numérique aide à structurer la pensée et donc développe la facilité d'expression écrite. Par ailleurs, le codage développe tant la créativité que la capacité à résoudre des problèmes". Le premier sert le second dans un "espace de création infini".

"C'est infiniment riche non seulement pour les mathématiques et le raisonnement, mais aussi pour l'ensemble des apprentissages", confirme Gaëtane de Lame, directrice des Servites de Marie. Devant l'enthousiasme des enfants (et de leurs parents), elle doit gérer un nombre croissant de demandes.

Muni de capteurs, le robot détecte les lignes dessinées sur les feuilles de papier. "Ozobot" suit scrupuleusement le tracé et obéit à chaque ordre précis donné par les couleurs : avancer, tourner...

Devenir acteur de ce développement technologique

Le constat dressé par Nadine Khouzam est sans appel. "La technologie avance à toute vitesse, mais on ne prépare pas les gens à en être les acteurs". Pourtant, "on se dirige inéluctablement vers une société digitale et de plus en plus informatisée", prédit-elle. "Pensons qu'un jeune ayant tout juste atteint la majorité est né en même temps que Google. Facebook n'a que treize ans et l'Iphone dix!"

Si elle juge que "l'Europe accuse un retard digital", il n'est pas trop tard pour se mettre en mouvement. Raison pour laquelle elle a lancé "CodeNplay" sans que tout ne soit directement parfait.

"Il était nécessaire de mettre en place un projet pour ne pas perdre encore dix ans, et une génération entière, à tergiverser sur la meilleure manière de faire."

Nadine Khouzam

Si CodeNplay s'inscrit aujourd'hui dans le cadre des activités extrascolaires, son "but ultime" est que cette matière intègre les programmes scolaires et devienne ainsi accessible à tous les adultes de demain. "C'est déjà le cas au Royaume-Uni. Nos animations à la British Junior Academy of Brussels vont d'ailleurs y être intégrées dans le cursus pédagogique", glisse-t-elle en guise d'appel du pied aux pouvoirs publics, à qui elle a déjà fait part de sa vision. "On ne demande pas mieux que d'essayer dans nos groupes les idées auxquelles pensent les décideurs politiques... mais la proposition est restée lettre morte."

Pour l'heure, CodeNplay s'attache donc à peaufiner son projet et à faire grandir le public auquel elle s'adresse.

Le code en passe de franchir les grilles de l'école

A l’heure actuelle, il n’existe pas d’obligation pour les établissements scolaires de placer dans la grille horaire des élèves un cours d’informatique, tant dans l'enseignement primaire que secondaire. Cela ne veut pas pour autant dire que rien n'est mis en place, mais cela relève de la volonté de chacun d'entre eux (les options plus spécifiques n'interviennent que lors du 2e ou 3e cycle de l'enseignement secondaire).
Le manque de réferentiels pour les activités organisées devrait être comblé dans un future plus ou moins proche puisqu'un groupe de travail est désormais chargé de déterminer les savoirs, savoir-faire et compétences numériques à acquérir.

"Le codage n’est qu’une partie du champ des savoirs", précise Ludovic Miseur, conseiller numérique et sciences de la ministre de l'Enseignement Marie-Martine Schyns. Il ne constitue qu' "une des facettes de la littératie numérique", qui englobe les compétences utiliser, comprendre et créer.

Il s’agit dès lors "d'aller au-delà de la posture de simple usager, et d’initier aux sciences informatiques ou à la pensée informatique, notamment algorithmique". Cela "à partir de la fin du primaire à tout le moins".

"Programme ou sois programmé !"

Selon le groupe de travail en charge du dossier, "le numérique doit être appréhendé à la fois en tant qu’outil, mais aussi en tant qu’objet de découverte critique". Mais pour être en mesure de décoder, de comprendre et de critiquer cette révolution et ce qu'elle produit, il convient d'acquérir "une maîtrise minimale de la logique des outils et ce dès le plus jeune âge."

En se rendant dans les écoles, Nadine Khouzam relève le décalage immense qui existe entre les infrastructures et le matériel - presque inexistants dans les établissements scolaires - et le monde dans lequel baignent les enfants. “Nos animations permettent d’avoir un impact et d’initier de nouvelles dynamiques”, se réjouit-elle.

"En 2020, il devrait y avoir 30 000 postes à pourvoir dans le domaine de l'IT en Belgique. Alors que le taux de chômage des jeunes s'élèvera à 23 %. Il y a matière à réflexion..."

Nadine Khouzam.

Le créateur de jeux vidéos "Valve", Gaben Newell, estime que les personnes capables de coder sont "les magiciens de demain". Celui de "Dropbox", Drew Houston, les compare à des super-héros !
Nadine Khouzam acquiesce en souriant...et y va de sa propre comparaison : "Pour moi, ce sont les médecins de demain. Ils observent ce qui dysfonctionne et résolvent le problème."

Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : CodeNplay

Nadine Khouzam prend la balle au bond

A 27 ans seulement, Nadine Khouzam a déjà pas mal de bouteille. Diplômée de l'Ecole Polytechnique de Bruxelles en 2013, elle est alors la seule femme de sa promotion, se désole-t-elle avec, tout de même, un brin de fierté. "Les offres d'emploi pleuvaient avant même la fin de mon master", se souvient-elle. Aujourd'hui encore, "j'ai la chance de pouvoir choisir", commente-t-elle avec modestie.

Après ses études, elle se lance dans le "big data" et le développement des télécoms en Afrique subsaharienne. Cette fonction l'amène à jongler avec un emploi du temps serré : elle passe l'été et l'hiver à voyager d'un pays d'Afrique à un autre. A l’automne et au printemps, elle revient en Belgique pour garder les buts de son équipe de hockey sur gazon. Elle a même participé, avec la Belgique, aux Jeux Olympiques de Londres (2012) et récolté un titre de championne de Belgique (2013) avec son club.

Nadine dit "ne pas supporter l'inégalité des chances". "CodeNplay" est une manière de contrer, à son échelle, cet état de fait. Grâce à "BrusselsTogether", elle a d'ailleurs lancé une campagne de crowdfunding dans le but de fournir l'activité gratuitement pour des enfants qui n'en ont pas les moyens.
La jeune femme regorge d'énergie et a la ferme volonté de faire bouger les choses. "Le sport de haut niveau m'a appris que le cheminement et la rigueur sont importants. Mais ce qui importe le plus, ce sont les résultats", dit-elle.

Des résultats, elle espère en engranger dans le cadre de l'organisation "Global Shapers" dont elle fait partie. Elle y apporte ses compétences en sciences informatiques et dans le domaine de l'éducation. Elle et ses collègues du monde entier, donnent vie à des initiatives ayant un impact social local ou global. Par ce biais, elle participe à dessiner un futur davantage en adéquation avec son combat en faveur de l'accès à l'éducation.