Sur le marché gratuit,
on échange plus
que des objets

Sur le marché gratuit, on échange plus que des objets

Plaisir d’offrir, joie de recevoir. Le credo des fêtes perd ses accents consuméristes, voire prend d’autres échos lorsqu’on le considère à la lumière de l’économie du don. Depuis quelques années se développent – en milieu urbain surtout mais pas exclusivement – des marchés gratuits où les objets changent de propriétaire, désencombrant l’un pour faire le bonheur de l’autre.

Reportage
Marie Baudet

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Gratiferia : ce néologisme espagnol, utilisé aussi chez nous, vient d’Amérique latine, d’Argentine en particulier où, en pleine austérité, ont émergé ces “foires gratuites”, initiatives citoyennes misant sur la débrouille, l’échange, le don.

Au même titre que les réseaux d’échange de services et de savoirs (dont les SEL, notamment) ou encore les Repair Cafés, les marchés gratuits s’inscrivent pleinement dans une forme d’économie alternative. Économie au sens premier : non la finance ou la spéculation – apparemment complexes et hors de portée du commun des mortels – mais le sain fonctionnement de la vie domestique.

Si l’échange et le don se pratiquent dans le cercle privé (famille, amis, collègues, voisinage) depuis la nuit des temps, le principe gagne en visibilité – notamment via le web et des plateformes comme FreeCycle – et se structure grâce aux associations, ici un comité de quartier, là une communauté citoyenne.
Responsable du support direct aux initiatives du Réseau Transition.be, et bénévole à XL en Transition, Mayliss François est engagée avec ardeur dans la pratique des marchés gratuits – en particulier celui qui se tient, chaque troisième samedi du mois, de mars à octobre, à proximité du marché Flagey. Un parmi d’autres en Région bruxelloise.

Des raquettes de badminton à la théière

Les “règles” (avec des guillemets, car l’organisation et le déroulement du marché gratuit sont “vraiment très organiques”, insiste Mayliss François) sont simples : il n’est pas nécessaire de donner pour prendre, et inversement. Et la personne qui dépose des objets reprend ce qui n’a pas trouvé acquéreur à la fin. Ces objets pourront être à nouveau proposés au marché suivant, ou être injectés dans la filière du don (Give Box, Petits Riens,Emmaüs, Book Box…). “Pour le reste, c’est implicite : pas de nourriture ou de produits périssables – ça va de soi, et il ne s’agit pas de concurrencer le marché voisin –, ni de produits d’hygiène à moins qu’ils soient neufs, et tout doit être évidemment en bon état.”

La jeune femme confie s’être “rhabillée pour l’hiver” au marché gratuit, où elle a aussi trouvé de jolies coupes à dessert et des rouleaux de papier peint. Les objets le plus représentés ? Les vêtements et accessoires, suivis de près par les livres, les ustensiles usuels. En somme, tout ce qu’on conserve chez soi parce que ça pourrait encore servir, mais qui ne sert plus. De la paire de raquettes de badminton aux après-ski, de l’écharpe à la théière…

Quelques boîtes à chaussures surprises pour les sans-abri

Des dizaines de boîtes à chaussures sont arrivées à "La Fontaine", quelques jours avant les fêtes de Noël. Recouvertes de papier cadeau, décorées avec soin, elles étaient remplies de biens de première nécessité - produits d'hygiène, aliments non périssables, vêtements d’hiver... - mais aussi d’objets plus festifs. Elles ont été déposées au pied du sapin de cette maison d’accueil bruxelloise pour les sans-abri.

Emanation de l’Ordre de Malte, ce centre de jour permet aux personnes les plus exclues d'être accueillies et écoutées, d'avoir accès à des sanitaires ainsi qu'à des soins infirmiers de base. A l'approche des fêtes, "La Fontaine" tenait aussi à marquer le coup. Pour la cinquième année consécutive, c’est Séverine Bédoret qui a pris en main l’initiative de "Juste une boîte à chaussures".
"Ma grand-mère, bénévole à "La Fontaine", m’avait demandé de soutenir le projet. Avec les réseaux sociaux, je pouvais plus aisément mobiliser autour de moi et étendre l’impact de l’initiative", raconte-t-elle. Pari réussi ! Cette année, 101 boîtes ont été récoltées. "Dans une période de repli sur soir, d’actualité grise, je constate qu’on est nombreux à vouloir agir, mais on ne sait pas toujours vraiment de quelle manière." Cette initiative en est une.
"C’est extraordinaire !, se réjouit d’ailleurs la trentenaire. Cela se fait de manière anonyme et personne n’y cherche la reconnaissance. C’est un geste de générosité, fait avec beaucoup de bienveillance."
Les boîtes ont été distribuées au compte-gouttes, au fil des visites des bénéficiaires à 'La Fontaine". Le résultat est "magique". Séverine Bédoret se souvient de "leur étonnement à voir arriver tant de boîtes pour eux". Mais aussi d’avoir vu une jeune femme, le coffre de sa voiture rempli de boîtes, leur prêter cette attention particulière. Une manière de déconstruire les stéréotypes, de part et d’autre.

Solidarité sans stigmatisation

L’avantage du marché gratuit par rapport à d’autres initiatives comme les donneries – où la récolte de dons et leur redistribution sont organisées de façon distincte –, c’est l’échange direct. Il y a les bénévoles, surtout là pour encadrer et informer, et les participants. On communique. Les choses se passent en toute simplicité.”
Quant à l’information, elle circule, grâce aux bénévoles, via des affiches et flyers, par les réseaux sociaux, mais aussi par le bouche à oreille, d’une fois à l’autre, dans le quartier.

“Les marchés gratuits favorisent le mélange des gens. Ce ne sont pas forcément des ‘bonnes’ personnes qui font la charité
à celles en situation de précarité.

Mayliss François, coordinatrice au Réseau Transition.be

Réduction des déchets, réemploi et solidarité : les bases sont à la fois solides et souples. S’y ajoute une grande mixité sociale, ce dont se réjouit Mayliss François. “Le fait que le marché gratuit d’Ixelles prenne place dans l’espace public favorise le passage, sans qu’il y ait de stigmatisation de qui donne ou qui prend.”
Et si, bien sûr, les personnes précarisées sont visées en priorité (“régulièrement, on communique les dates au CPAS”), le rendez-vous mensuel n’exclut personne. Œuvre de charité ? “C’est bel et bien dans l’ADN des bénévoles, mais pas ressenti comme tel par les bénéficiaires”, se félicite Mayliss François. “On constate qu’une partie du public précarisé revient régulièrement, prend mais a aussi tendance à redonner. Même si jusqu’ici on n’a pas encore réussi à impliquer ces participants-là dans l’organisation, leur fidélité démontre l’énorme potentialité de sensibilisation de ce genre d’initiative.”

La fréquentation du marché gratuit de Flagey, après la croissance qui a suivi le lancement, s’est stabilisée. Mayliss François l’estime à 6 ou7 donneurs et une trentaine de personnes qui s’arrêtent, avec des variations selon la météo. “Le marché gratuit de Sainte-Catherine, le 4e samedi du mois, draine plus de monde.”
Quant au rapport avec les autorités, il est bienveillant, bien que les questions se soient intensifiées à l’aune des précautions relatives à la sécurité. Car certes, “il n’y a pas de vente, pas de déchets, mais un rassemblement”. Où, précisément, on échange plus que des objets : on fait circuler la pensée citoyenne et solidaire.

Photos : Didier Bauweraerts
Vidéo : Gilles Toussaint

A Kain la Tombe, un échange de cadeaux pour créer du lien entre les habitants

Dans la région de Tournai, une trentaine d'habitants du village de Kain la Tombe ont participé à la 3e édition de l'opération "Swap de Noël", mise sur pied par l'ASBL Anama. "C'est quelque chose qui repose sur un principe hyper-simple, explique la présidente de l'association, Martine Omé, il s'agissait pour les participants de préparer un petit cadeau de Noël pour une personne inconnue et d’en recevoir un en échange." Une initiative qui a reçu un coup de pouce de 500€ de la part de la Fondation Roi Baudouin.
Anama, poursuit-elle, a pour vocation de briser l'isolement dans lequel se retrouvent certaines personnes en leur proposant diverses activités. Un public souvent composé de personnes âgées ou de mères célibataires, qui doivent en outre affronter des conditions de vie précaires.

Cette année, une quinzaine de binômes ont été formés, en essayant notamment de favoriser les échanges intergénérationnels. Chaque participant a ainsi reçu son cadeau par l'intermédiaire de l'association. "Chacun a donné ce qu'il pouvait. Cela peut-être une carte dessinée à la main, un petit poème ou simplement de proposer à une personne âgée d'aller passer un moment avec elle pour faire du massepain. Le but est d'encourager la solidarité entre les habitants, mais nous ne communiquons que les prénoms. Les gens avaient la liberté de laisser leurs coordonnées dans le paquet et ils pouvaient proposer au destinataire de les appeler s'ils le souhaitent."