Se sentir belle pour mieux affronter
la maladie

Se sentir belle pour mieux affronter
la maladie

Et si des attentions ciblées contribuaient à favoriser le processus de guérison ? La maison Re-source du Chirec et l'enseigne bruxelloise “Toujours belle” accompagnent physiquement, psychologiquement mais aussi esthétiquement les personnes touchées par le cancer dans leur combat contre la maladie.
Une initiative parmi d'autres, qui cherche encore le soutien des pouvoirs publics.

Reportage
Alice Dive

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Furtivement, elle prend congé de ses conseillères du jour. “Un corollaire de la chimiothérapie, c’est que l’on perd ses cheveux. On m’avait conseillé à plusieurs reprises d’aller essayer des turbans et perruques avant de les perdre. Voilà comment je suis arrivée chez Toujours belle”, entame Nathalie De Heem, patiente de l’hopital Chirec et membre de “Re-source”.
La demeure, uccloise, laisse entrevoir trois pièces en enfilade. On s’y introduit. La lingerie et les tenues balnéaires adaptées d’abord, les turbans et perruques ensuite, et enfin la pièce d’essayage. “C’est ici que nous leur proposons de couper leurs cheveux tout courts ou de les raser lorsque ceux-ci commencent à tomber. Après quoi, nous les dirigeons vers le jardin et son cadre paisible. Notre objectif est de rendre ce moment, douloureux et difficile, le plus doux possible…”.

Rattrapée par la maladie alors qu'elle menait une vie très active, Nathalie a dû faire la paix avec son corps et se reconnecter avec lui.

Julie De Groote et sa collègue Catherine Barbier ont ouvert “Toujours Belle” il y a un peu plus de huit ans. Depuis peu, elles tiennent également une antenne du même genre sur Woluwé.

“Nous proposons au sein de ces deux espaces une gamme de produits et de services nécessaires au bien-être de la femme dans son combat quotidien pendant et après la maladie.”

Prothèses mammaires et capillaires, maillots de bain sur mesure, foulards, maquillage et autres soins de la peau, les deux “wonder women” livrent leurs conseils “beauté” et en image à destination des personnes - en l’occurrence des femmes - atteintes d’un cancer.
Depuis le récent déménagement du Chirec à Delta, elles occupent dorénavant aussi un espace de vie dans la galerie principale de l’hôpital. “Cette connexion directe avec l’univers hospitalier facilitera encore un peu plus la vie de nos clientes qui pourront, par exemple, venir déposer leur perruque pour un entretien le temps de leur traitement à l’hôpital”, illustre Julie De Groote.
L’enseigne “Toujours Belle” collabore en effet étroitement avec les équipes médicales et paramédicales de la désormais ex-Clinique Edith Cavell.

A destination des patients du Chirec... mais pas seulement

Via sa maison d’accompagnement “Re-source”, créée en juin 2016, le Chirec propose à ses patients et à toute autre personne atteinte d’un cancer une série d’ateliers (conseils en maquillage, yoga, marche nordique, art thérapie, danse expressive, etc) visant à apporter un soutien physique, psychologique mais aussi esthétique aux personnes touchées par le cancer.
“La maison Re-source est donc bien ouverte à tous, pas seulement à nos patients”, insiste le Professeur Thierry Velu, oncologue à l’initiative du projet et directeur du Chirec Cancer Institute. “Je constate à regret que le Chirec garde une connotation financière négative ou en tout cas est perçu comme tel. J’insiste donc sur le fait que l’accessibilité constitue pour nous un enjeu essentiel.”

5 euros - Le coût dont il faut s'acquitter pour une séance dans un des ateliers proposés.

Sauf une poignée d'exceptions, il faut ainsi compter grosso modo une participation de cinq euros par atelier et par séance. Depuis sa création, la maison Re-source a accompagné ou accompagne encore une centaine de patients, majoritairement des femmes. “Les ressourçants et ressourçantes, comme je les appelle, m’ont transmis une force incroyable”, témoigne Nathalie”. Elles m’ont aussi permis d’éviter les moments de solitude. J’y ai rencontré des personnes formidables qui étaient à différents stades de la maladie. Je peux clairement dire que je suis devenue fan de Re-source”.

Si le Chirec met un local à sa disposition, cette ASBL fonctionne essentiellement sur fonds privés. “Dernièrement, nous avons également introduit une demande de financement auprès de la Cocof” (NdlR : la Commission communautaire française au sein de la Région bruxelloise), ajoute le professeur Velu.

Eviter l'essoufflement des bénévoles, pérenniser le projet

Tous les ateliers proposés sont supervisés par des personnes bénévoles. “Celles-ci doivent avoir une formation de base sérieuse, insiste l'oncologue. A leur arrivée, elles reçoivent également quelques conseils livrés par un psycho-oncologue afin de leur permettre d'être en mesure de réagir face aux différentes situations qui se présentent dans le cadre de la prise en charge des patients. “Mon seul souci, c'est l'essoufflement des bénévoles. Pour la pérennité du projet, je pense donc que l'on ne pourra continuer que si ces professionnels sont rémunérés. Dans cette optique, la Fondation Majin peut nous aider à obtenir davantage de soutien, notamment financier, auprès des pouvoirs publics” (lire ci-dessous).

Des initiatives en ordre dispersé

La maison Re-source constitue aujourd’hui le premier centre bruxellois d’accompagnement de personnes atteintes d’un cancer. D’autres initiatives sur le territoire belge ont le vent en poupe. C’est notamment le cas à Tournai et à Charleroi mais également à Ottignies avec l’institution “La Vie-là” de la Clinique Saint-Pierre. Toutes ont le point commun de chercher encore à l’heure actuelle le soutien des pouvoirs publics.

Facilitateur. Exerçant un rôle de facilitateur auprès des pouvoirs publics, la Fondation Majin soutient les structures belges qui le souhaitent oeuvrant à l'accompagnement des personnes atteintes de cancer dans le développement de leur plan de communication, mais également de leurs plans d'action et financier. Si elle est un lieu d'échanges d'expériences et de connaissances, elle entend également créer des connexions entre les différentes initiatives existantes dans notre pays avec l'objectif de les renforcer entre elles.
La Fondation Majin peut aussi exercer un rôle de lobbying vis-à-vis des pouvoirs publics mais “seulement lorsque les organisations sont prêtes et les réseaux bien ancrés”, souligne sa fondatrice et présidente Majin de Froidmont.

Je l'ai vécu comme une trahison majeure de mon corps”

Depuis qu'elle a appris sa maladie en octobre 2016, Nathalie est soignée par le Docteur Velu. Très vite, elle a choisi de franchir les portes de Re-source. “Aujourd’hui, je peux très bien m’imaginer ce qu’aurait été mon parcours sans Re-source”, confie-t-elle. Les groupes de paroles ? Je n’aurais pas supporté leur côté gnan-gnan. Lorsque vous êtes malade, il vous arrive de ne pas avoir envie de bouger ou de voir des gens. Re-source vous aide notamment à sortir de cette spirale”.

Et les hommes dans tout cela ?

Tous les interlocuteurs interrogés sur la question semblent partager le même avis : il est moins aisé pour la gent masculine de franchir la porte de maisons d'accompagnement lorsqu'elle est touchée par la maladie. “J'ignore pour quelles raisons, confie Nathalie De Heem. C'est un sujet que nous abordons souvent entre femmes." "En un an, poursuit-elle, j'ai dû voir passer quatre hommes à la maison Re-source, pas plus. Je pense qu'il est plus difficile dans l'esprit d'un homme d'accepter l'idée même de demander de l'aide. Ils croient au départ qu'ils sont forts et qu'ils vont parvenir à surmonter cela, seuls. L'annonce d'un cancer est quelque chose de tellement disruptif dans une vie qui fait que vous n'êtes absolument pas armé pour lutter contre cela, seul. Est-ce alors de la pudeur dans le chef des hommes ? Peut-être”.

De son côté, le Professeur Thierry Velu observe le même phénomène : “L'expérience montre que ce genre d'initiative attire 90% de femmes et seulement 10% d'hommes. Or, nous savons combien de multiples aspects, notamment diététiques, ont un impact positif sur le cancer de la prostate chez les hommes. Pour le reste, je pense qu'il y a peut-être davantage chez l'homme une question de fierté : il est le chef de famille, il doit être capable de gérer des situations. C'est ancré dans nos racines...”

Après neuf mois de chimiothérapie, Nathalie est aujourd'hui en récupération. Elle subit à présent un autre traitement médical, un peu plus léger. “Lorsque j'ai appris mon cancer, ce fut un tsunami. J'avais une vie, notamment professionnelle, très occupée. Je l'ai vécu comme une trahison majeure de mon corps. J'étais très fâchée. J'ai mis du temps à faire la paix avec lui et à accepter l'idée que je devais l'aider. Le yoga ou encore la marche nordique ont contribué à me faire prendre conscience à quel point j'étais déconnectée de mon corps”. On écoute.

Installée face au miroir, Nathalie se laisse à présent guider par ses conseillères en image. On rompt le silence. Le fait de se sentir bien dans sa peau, belle dans son corps contribue-t-il à favoriser le processus de guérison ? “J'en suis convaincue”, confie Julie De Groote.
Sur le plan strictement médical, observe le Docteur Velu, il y a différentes facettes. L'une d'entre elles, c'est l'adhérence au traitement. Dans le cas des femmes qui suivent une hormonothérapie par exemple, on sait que l'exercice physique permet de lutter contre les effets secondaires de celle-ci.”

"Il ne faut pas sous-estimer le choc que c'est de se retrouver face au miroir la boule à zéro. A ce moment-là, vous ne pouvez plus nier la maladie. On la prend en pleine figure."

Nathalie

Nathalie essaie l'un ou l'autre turban, puis reprend : “Depuis quelques semaines, mes cheveux repoussent. Je me souviens du moment où j'ai pris la décision de les raser. La bienveillance et la douceur des gens qui nous accompagnent tout au long de notre chemin deviennent alors fondamentaux à nos yeux...”.
Bien sûr... Encore faut-il accepter l'idée même de se faire accompagner.

Photos : Johanna de Tessières
Vidéo : Semra Desovali