Bruxelles, une capitale champignon

Bruxelles, une capitale champignon

Produire de la nourriture en ville... Longtemps moquée, l'idée semble de moins en moins saugrenue.
Depuis trois ans, deux coopératives bruxelloises font pousser des champignons sur des résidus de bière ou de café. En valorisant ces déchets, elles contribuent à boucler la boucle de l’économie circulaire.

Reportage
Valentine Van Vyve

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C’est jour de marché sur l’esplanade des abattoirs d’Anderlecht. « Ici, on trouve de tout », nous informe un chargé de communication du site. Fruits, légumes d'ici et d'ailleurs, vêtements... Mais les maraîchers et les consommateurs ne savent pas forcément que, là juste sous leurs pieds, une culture pas comme les autres s'épanouit discrètement...

Depuis un an, « Le champignon de Bruxelles » a en effet élu domicile dans les caves de Cureghem. Au sous-sol, le calme contraste avec le brouhaha constant des halles. Sous les voûtes de briques rouges, la coopérative éponyme fait pousser des champignons exotiques (shiitake,maiitake et nameko). Une vraie ferme souterraine de 750 m2 implantée dans un lieu idéal pour la production de champignons en ville, à en croire Hadrien Velge, un de ses cofondateurs. Pour cette culture, nul besoin de champs... Les déchets de brasserie font parfaitement l'affaire.

Une sorte de serre a été installée afin de garantir l'hygiène lors de la quatrième et dernière étape du processus. Les subtrats y resteront à peu près une semaine avant que les fruits des champignons ne soient récoltés.

Un procédé agronomique milimétré

Pour créer son terreau, la coopérative récupère en effet le résidu de brassage de l’orge dans la fabrication de la bière - la drêche. Une fois pasteurisé, celui-ci est mélangé à des copeaux de bois. Un assemblage qui sera ensuite arrosé et ensemencé, avant de démarrer une période d’incubation de deux mois.
« Ces substrats (la matière dans laquelle pousse le fruit du champignon, NdlR) sont stockés sur les étagères des quatre salles de fructification », indique Hadrien Velge tout en se déplaçant entre celles-ci. « Demain, ce fruit-ci pourra être récolté », précise-t-il en pointant un shiitaké du doigt. Les maiitaké, gluants et jaunes, ne sont pas encore prêts. Les Nameko, faisant étonnamment penser à des coraux de couleur grise, sont quant à eux « capricieux » et demandent davantage de patience.

Jean-Baptiste est bénévole pour l'ASBL Cultureghem avec qui "Le champignon de Bruxelles" partage ses bureaux. Il donne de temps à autre un coup de main.

La récolte interviendra une semaine plus tard. Au bout du compte, la coopérative produit 750 kg de champignons par mois sous les plafonds courbés des abattoirs.
« La nature est imprévisible », tempère toutefois le jeune entrepreneur. « Nous adaptons la production toutes les semaines en fonction de la demande », explique cet économiste de formation. Ce qui rend l’activité d’autant plus compliquée à gérer.

750 kg de champignons sont produits tous les mois.

La demande provient des magasins bio et locaux bruxellois (des coopératives telles que BeesCoop, les magasins Färm, le marché des Tanneurs ou encore des épiceries de luxe comme Rob). Mais les champignons s’exportent aussi en Wallonie, par l'intermédiaire de grossistes, ou sont vendus directement à des restaurateurs. Les surplus sont quant à eux séchés et empaquetés afin d’éviter le gaspillage.

Ça pousse comme des champignons

Modèle urbain. La valorisation des tonnes de déchets produits en ville que l'on transforme en ressource alimentaire de qualité est au centre de la démarche des producteurs de champignons bruxellois, que ce soit «Le champignon de Bruxelles » ou «PermaFungi ».
« Etre producteur en ville, c’est se réapproprier la production alimentaire », souligne Hadrien Velge (photo). La production de champignons se prête d'ailleurs particulièrement bien aux milieux urbains : « Nous n’avons pas besoin de terre mais d’étagères, le champignon pousse vite et en grande quantité. En outre, il n’a pas nécessairement besoin de lumière ». De nombreux espaces urbains peuvent dès lors être exploités.
Cette formule contribue donc à une alimentation saine et durable qui répond aux défis démographique, économique et écologique auxquels les villes font face.

Un procédé unique. Lancée il y a trois ans à peine, la coopérative «Le champignon de Bruxelles » a déjà voyagé de terre en terre, cultivant ses produits d’abord au Village partenaire puis au Marché des Tanneurs et enfin, dans les caves de Cureghem.
Si Hadrien Velge a connaissance d’un producteur de Shiitaké en Flandre et de deux en Wallonie, le modèle bruxellois est unique en son genre. Aujourd’hui, lui et ses trois collègues sont les seuls au monde à produire des champignons exotiques à base de résidus de bière. Ils continuent d'ailleurs d'affiner la formule pour augmenter la qualité de leur produit.

« Brusseleir » et circulaire

Si elles sont d’origine japonaise, les trois variétés de champignons proposées sont produites selon un procédé belgo-belge. Après avoir acquis un pasteurisateur, la petite entreprise a ramené l’entièreté de sa chaîne de production sur le sol national. Hormis les semences venant de Gand, tout est même bruxellois pur jus !

« Seuls 10% des ingrédients utilisés pour brasser la bière termine dans le verre. À Bruxelles, des tonnes de matières organiques sont aujourd’hui inexploitées. Valorisons-les ! »

Hadrien Velge, cofondateur du «Champignon de Bruxelles»

Ces déchets sont des ressources inestimables auxquelles on accorde encore bien peu de considération. « Aujourd’hui, se débarrasser de ces résidus représente un réel souci pour les brasseries, poursuit Hadrien Velge. Nous collectons la drêche toutes les semaines auprès de la brasserie Cantillon, qui se trouve à quelques centaines de mètres d’ici. »
Produisant une grande quantité de drêche, cette petite institution bruxelloise ne fournit cependant qu'une petite partie de ses résidus à la coopérative, le reste étant écoulé auprès d'un fermier du Pajottenland, qu'il faut payer. Elle sert habituellement à nourrir le bétail.
Le partenariat avec « Le champignon de Bruxelles » constitue donc une solution gagnant-gagnant. Mais la brasserie Cantillon s'y implique surtout par souci de « soutenir un projet bruxellois autour d'un produit sain et de qualité ».
Car la coopérative transforme cette matière organique (à plein régime, cela devrait avoisiner les 2,5 tonnes par mois, tout de même !) en un aliment aux « qualités gustatives, nutritives et médicinales remarquables », vante Hadrien Velge.

Chaque semaine, la matière première - la drêche - est collectée auprès d'une brasserie bruxelloise proche des abattoirs d'Anderlecht.

Mais le chemin ne s’arrête pas là : une fois les champignons récoltés, les substrats qui ont servi à cette culture constituent encore d’excellents amendements qui sont répandus sur les sols de la ferme Nos Pilifs et des potagers Vert d'iris. « Il faudrait que nos fermes produisent de l’orge pour que les brasseurs puissent boucler la boucle, commente Hadrien Velge. Les déchets sont des ressources extraordinaires. »

«Il est temps de sortir du modèle linéaire: extraire, fabriquer, consommer, jeter.»

Hadrien Velge
«Le champignon de Bruxelles » estime qu'il est temps d'inscrire la consommation dans un modèle circulaire où le déchet est une ressource.

«Le champignon de Bruxelles » estime qu'il est temps d'inscrire la consommation dans un modèle circulaire où le déchet est une ressource.

A l'inverse, « l’économie circulaire veut produire, consommer et régénérer pour pouvoir reproduire dans un cycle sans fin. »
Voila un exemple concret d’économie circulaire, en circuit court, système dans lequel rien ne se perd et tout se transforme. « Nos champignons, c’est un hochepot d’agriculture urbaine, d’économie circulaire et de saveurs exotiques », résument leurs producteurs.

PermaFungi, c'est fort de café !

Un autre jeune acteur se démarque sur le marché du champignon urbain. Fondée en février 2014, la coopérative PermaFungi a elle aussi décidé de valoriser les déchets urbains en les recyclant. Point de bière ici, mais bien du café. Son champignon à elle, la pleurotte, pousse sur une partie des quelque 15 000 tonnes de marc que jetent les Bruxellois tous les ans.

Collecté à vélo auprès des restaurants des enseignes Pain quotidien et Exki, ce marc suit un procédé de production en trois étapes proche de celui qu'applique «Le champignon de Bruxelles ». Les 700 kg de pleurottes produites mensuellement sont livrées pour moitié aux magasins bio de la capitale, mais aussi, retour à l'envoyeur, auprès des restaurants Pain quotidien.

Finalité sociale. Basée sur le site de Tour et Taxis à Bruxelles, la coopérative s'est construite sur un double constat qui lui sert de ligne de conduite D’abord, «le constat environnemental : il y a une quantité abondante de déchets jetés». La solution est donc de les valoriser et d’en faire une ressource.
Ensuite, le constat selon lequel «de nombeux jeunes peu éduqués ne trouvent pas de place sur le marché de l’emploi ». Sur onze travailleurs, PermaFungi emploie ainsi actuellement quatre stagiaires en « Stage First » (via Actiris) ainsi que trois autres personnes peu qualifiées. «Leur rôle ne se limite pas à celui d’ouvrier, explique William Donck. Ils sont formés professionnellement à la culture du champignon et prennnent une part active dans la gestion de l’entreprise », se réjouit le responsable de la production.

Rejoindre la « révolution du champignon »

Aujourd’hui, la coopérative à finalité sociale occupe quatre personnes à temps plein, régulièrement épaulées par plusieurs stagiaires d’Actiris. Une manière pour ses fondateurs de participer à la réinsertion par le travail.
Avec les 30 coopérateurs qui ont choisi de soutenir leur rêve, ceux-ci entendent bien poursuivre et accélérer cette dynamique. « Les profils sont différents, mais tous se retrouvent dans le fait de mettre de l’argent dans un projet qui a du sens », poursuit Hadrien Velge. Au total, «Le champignon de Bruxelles » est parvenu à lever 230 000 euros de fonds et quelque 100 000 euros supplémentaires devraient arriver d’ici peu.

30 coopérateurs

Particuliers et fonds d'investissement sont membres de la coopérative.

« Le modèle de gouvernance et la manière d’impliquer encore davantage les coopérateurs sont un des gros chantiers auxquels nous devons nous attaquer une fois la haute saison terminée », souligne Hadrien Velge.
Le champignon est en effet un produit saisonnier. Si de l’automne au printemps, la production bat son plein, l’été est plus calme. D’où la nécessité de diversifier l'offre. Des formations en mycologie et autres visites des caves sont désormais au programme afin de renforcer la stabilité du projet.
« La courbe est favorable, nous devrions être rentables dans le courant de l’année 2018 », se réjouissent ses fondateurs.

Photos : Olivier Papegnies / Collectif Huma
Vidéo : Semra Desovali

Plus d'informations sur : www.lechampignondebruxelles.be

Poursuivez la visite du "Champignon de Bruxelles" en faisant dérouler les photos ci-dessous.