À Bruxelles,
des logements
pour toutes les bourses

À Bruxelles,
des logements pour toutes les bourses

Devenir propriétaire de sa propre habitation dans la capitale ? Un rêve qui est devenu inaccessible pour les très nombreuses familles à bas revenus bruxelloises.
Grâce au Community Land Trust, elles ont désormais la possibilité d'acquérir un logement à un prix très inférieur à celui du marché.

Reportage
Gilles Toussaint

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Bien calé dans son fauteuil roulant, Bart slalome comme il peut entre les tuyaux posés sur le sol. En retard de plusieurs mois, le chantier bat son plein et il ne cache pas son impatience.
Comme les six autres familles qui habiteront prochainement cet immeuble, Bart ne dispose en effet que de modestes revenus et redoute de devoir rembourser l'intégralité de ses mensualités en plus du loyer de son logement actuel, une fois écoulée la période de sursis sur le crédit hypothécaire accordé par le Fonds du logement.

Devenir propriétaire était un objectif qu'il pensait devenu inaccessible depuis que la maladie l'a frappé. « Il y a quelques années, j'avais repéré un bien qui m'intéressait, mais quand je suis allé voir les banques, on m'a regardé et on m'a dit que je n'aurais jamais de crédit dans ma situation », glisse-t-il entre deux rafales de marteau-burin.

Pénurie - En Région bruxelloise,
44 000 personnes sont sur des listes d'attente
pour l'obtention d'un logement social.

Bart n'a donc pas hésité très longtemps quand il a découvert l'existence du Community Land Trust Bruxelles (CLTB). « On m'a expliqué le modèle et je me suis dit qu'ils pouvaient me permettre de réaliser mon rêve », sourit-il.
Grâce à cette formule, il a en effet pu s'offrir un appartement adapté à ses besoins et à ses moyens.

Grâce au Community Land Trust, Bart a pu réaliser un rêve qu'il pensait devenu inaccessible : devenir propriétaire d'un appartement adapté à son handicap pour un prix correspondant à ses moyens.

Le sol, un bien commun

« Le Community Land Trust est né du constat que de plus en plus de familles, en particulier les plus défavorisées, n'ont plus les moyens d'acheter une habitation dans la capitale », enchaîne Geert De Pauw, le coordinateur de cette initiative.

Le principe est simple : grâce à un budget annuel de 2 millions d'euros financé par la Région bruxelloise, le CLTB peut acquérir des terrains. Il conserve la propriété du sol, considéré comme un bien commun, mais vend les logements construits ou rénovés sur ces sites à des personnes à faibles revenus.
L'opération, également soutenue par le Fonds du logement et la ministre bruxelloise Céline Frémault, permet à l'acheteur de bénéficier d'une jolie réduction par rapport aux tarifs du marché puisqu'il ne doit pas s'acquitter du foncier. « Les prix sont de 25 à 50 % inférieurs, selon les cas de figure », souligne Mr De Pauw.

L'objectif, poursuit-il, est de briser le cercle de la spéculation. Si un propriétaire souhaite par la suite revendre son logement, la plus-value qu'il pourra réaliser est plafonnée à 25 % de la somme qu'il a investie pour son achat. Et le logement sera ensuite revendu à un autre membre du Community Land Trust. De cette manière, son prix restera toujours inférieur à celui du marché.

Des Etats-Unis à l'Europe

Structuré autour d'une ASBL et d'une fondation d'utilité publique, le Community Land Trust Bruxelles est né de la volonté partagée par plusieurs associations d'apporter des solutions nouvelles à la crise du logement qui frappe la Région-Capitale. « Depuis 2000, les prix de l'immobilier bruxellois ont flambé », déplore Geert De Pauw (photo). Le nombre de logements sociaux disponibles est nettement insuffisant -­ il en faudrait le double -­ et bon nombre d'entre eux sont en outre en très mauvais état. Les réponses existantes, comme le programme de construction lancé par la Région, demandent beaucoup de temps avant d'être concrétisées et ne suivent pas le rythme de la demande, poursuit-il.
Les associations voulaient également créer un modèle plus participatif, plus juste et plus durable. «Jusqu'ici, le principe qui a cours est de subsidier un achat. C'est très bien pour ceux qui peuvent en profiter, mais le jour où ils vendent leur logement, le prix de celui-ci est devenu inaccessible pour les autres. La solidarité ne joue donc qu'une fois », observe M. De Pauw.

De manière un peu inattendue, c'est aux Etats-Unis que les promoteurs du CLTB ont découvert le système correspondant à leurs aspirations. Les Community Land Trust y ont en effet vu le jour dans les années 70 sous l'impulsion des défenseurs des droits civiques des Afro-Américains.
Née il y a cinq ans, la structure bruxelloise a déjà lancé sept projets qui se trouvent à des stades d'avancement divers. Une «stoemp success story» qui vient d'ailleurs tout récemment d'être auréolée du Grand Prix décerné par la Fondation pour les Générations futures.

Preuve que la formule a le vent en poupe, souligne encore Geert De Pauw, nos voisins français ont également voté il y a peu une loi permettant la création de CLT dans l'Hexagone. La Ville de Lille a ainsi envoyé une délégation à Bruxelles pour s'inspirer de ce qui y est réalisé. Et, reconnaissance ultime, l'expérience bruxelloise va également servir de base à un projet européen pour promovoir le modèle dans l'UE où, hormis au Royaume-Uni, il est inconnu jusqu'ici.

Favoriser la mixité sociale

« Toutes les personnes qui répondent aux critères pour avoir droit à un logement social à Bruxelles peuvent recourir au CLTB », souligne encore Geert De Pauw. Pour ce faire, elles doivent en devenir membre et suivre les soirées d'informations dédiées aux candidats acquéreurs. «Ce n'est pas un achat classique, cela demande un investissement personnel», ajoute-t-il.
Devenus membres du CLTB, Bart et les six ménages qui ont obtenu un logement dans l'immeuble du 121 rue Verheyden à Anderlecht ont ainsi dû constituer un groupe d'épargne commun. « On s'est mis d'accord sur un montant mensuel que l'on verse sur un compte. C'est surtout pour s'inscrire dans la dynamique de la copropriété. Cela montre que nous sommes capables de mettre de l'argent de côté afin de disposer d'un fonds de roulement qui permettra d'assumer les frais liés à l'entretien du bâtiment quand nous l'occuperons », nous éclaire l'intéressé.

Née il y a cinq ans, la structure bruxelloise a finalisé un premier projet regroupant neuf appartements basse énergie dans lequel résident depuis deux ans une quarantaine de personnes à Molenbeek. « Le Nid » de la rue Verheyden est sa deuxième réalisation, tandis qu'un chantier de plus grande ampleur (32 appartements au standard passif) va prochainement démarrer dans un autre quartier de Molenbeek et que quatre autres projets sont à des stades d'avancement divers.

Lorsqu'un projet se dessine, un appel est lancé aux membres de l'association en fonction de l'ancienneté de leur inscription. Et comme il existe aussi des écarts non négligeables de moyens parmi les populations défavorisées, quatre catégories ont été définies avec des prix adaptés au niveau de revenus des candidats potentiels. « Nous souhaitons toucher l'ensemble de ces personnes et avoir une grande mixité sociale dans l'immeuble », insiste le coordinateur.

Participatif et solidaire

Devant la grande baie vitrée qui donne sur la cour arrière, Bart ne manque pas de louer cet esprit solidaire insufflé par le CTLB. Le groupe dont il fait partie est très multiculturel. Baptisé « Le nid », le bâtiment de la rue Verheyden accueillera « une famille avec quatre enfants, une autre avec trois, une maman célibataire avec deux enfants, un autre couple avec enfants dont le conjoint souffre lui aussi d'un petit handicap...», énumère-t-il.

« Cela va vraiment être la maison de tout le monde, c'est une belle aventure humaine.»

Bart, futur résident du « Nid ».

« Avant de créer le groupe d'épargne, on ne se connaissait pas du tout. Celui-ci a installé une sorte de complicité et nous a soudés. On se préoccupe les uns des autres pour savoir si tout se passe bien pour chacun, s'il ne faut pas adapter le montant à épargner. On se fait déjà des propositions d'entraide quand on sera installés...»
Autre illustration de ce sens collectif encouragé par le Community Land Trust : les futurs voisins ont choisi de disposer d'une laverie commune. L'idée d'achats groupés pour les courses a également été lancée.

Bart se réjouit d'autant plus de cette mixité qu'il habite depuis dix ans dans un immeuble social de Molenbeek où il n'y a que des personnes à mobilité réduite. « Je ne vais pas cracher dans la soupe, je sais que j'ai eu de la chance d'avoir ce logement, mais ici je n'aurai plus ce sentiment d'être dans une sorte de ghetto», explique-t-il.
De son côté, il a fait en sorte que son futur appartement « soit adapté à tous les handicaps possibles ». « L'idée, c'est que le jour où je devrai le quitter, une autre personne handicapée aura à son tour la chance de bénéficier du système du CLTB.» Le cycle vertueux de la solidarité sera ainsi pérennisé.

Photos : Johanna De Tessières
Vidéo : Johanna Pierre

Le CLTB, « ce n'est pas le Monopoly »

« Avec ce modèle, Bruxelles tient vraiment une perle!» Voisin de l'immeuble de la rue Verheyden, Philippe Voglaire ne tarit pas d'éloges pour le Community Land Trust. A tel point qu'il a choisi de devenir membre de l'organisation et qu'il siège aujourd'hui dans son conseil d'administration.
La force de celui-ci, insiste-t-il, réside dans sa gestion partagée.
«Le CA est composé de manière équitable par des habitants CLTB, des représentants de la société civile (riverains, associations partenaires…) et des représentants du monde politique. Cela amène tout le monde à travailler ensemble et ça fonctionne ! »
«
Au dé
part, ils m'ont contacté en tant que représentant du comité de quartier car le CLTB veut qu'une partie des bâtiments serve aussi aux habitants du coin. Ici, c'était une ancienne salle de fête paroissiale, on a donc émis le souhait de disposer d'une petite salle où se réunir.
»
Les voisins auront ainsi accès à une des pièces et une partie du jardin accueillera un potager communautaire.
Le CLTB, « ce n'est pas le Monopoly sur le mode 'J'achète la rue Verheyden' », s'enthousiasme encore Philippe Voglaire. « Non, on est vraiment dans une dynamique où on vient s'intégrer dans le quartier. »

Propriétaires, ça change tout. Même si l'accueil est globalement positif, cette arrivée ne fait pas pour autant à 100 % l'unanimité dans le voisinage, admet-il. Certains estiment qu'il y avait déjà beaucoup de logements sociaux dans la zone et redoutent que leur propre immeuble perde de la valeur.
Une crainte que notre interlocuteur juge injustifiée. « Il y a une différence de taille, c'est que ces nouveaux habitants seront des propriétaires et non des locataires. Cela change tout. On est convaincu que les lieux vont rester en bon état et qu'ils vont s'impliquer dans le quartier.»