En collectant et en réparant des instruments de musique venus des quatre coins de l'Europe pour les envoyer dans un pays en développement ou dans des zones de conflit,
Music Fund veut contribuer à son échelle à la reconstruction morale et sociale de ces populations.
Reportage
Valentine Van Vyve
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Au centre de Marche-en-Famenne, le bâtiment est devenu une petite institution. Depuis 2013, les lettres orange et noire de Music Fund se détachent sur la devanture grise du numéro 4, dans l’étroite rue Chantraine. Une fois franchie la porte de verre, un silence religieux accueille le visiteur. Sören, un étudiant stagiaire, inspecte de près un ukulélé brun foncé, alors qu'une dizaine de guitares en tout genre pendent au-dessus de sa tête.
Celles-là viennent des quatre coins d’Europe. Après être passées entre les mains expertes du luthier Christian et de ses assistants, elles seront à nouveau bonnes pour le service.
Il pointe du doigt un colis tout juste arrivé et posé dans un coin. « Il en vient régulièrement », se réjouit-il.
« Alors qu’au départ, les donateurs faisaient partie de nos entourages, aujourd’hui, nous ne les connaissons plus. Certains mentionnent même Music Fund sur leur liste de mariage ! », souligne avec reconnaissance et enthousiasme Lukas Pairon, le fondateur de l'association.
En une dizaine d’années, Music Fund s’est associée à des écoles de musique de Palestine, d'Israël, d'Haïti, de République Démocratique du Congo (RDC), du Mozambique, du Maroc ou encore du Mexique. L'ASBL a collecté 6000 instruments dans six pays européens. Jusqu'à présent, la moitié d'entre eux ont pu être réparés et offerts.
Entourées de nombreux collaborateurs bénévoles, notamment des réparateurs d’instruments à vent et de pianos, deux personnes y travaillent à temps plein. Pour les épauler, Music Fund accueille en stage des étudiants anversois et du Brabant wallon. « Ils atterrissent dans ce paradis de la réparation offert par la ville, commente Christian Bertram. Ici, ils voient tous les cas de figure possible. »
En entendant ces mots, Sören relève le nez de son ukulélé et esquisse un sourire d’approbation discret. Avant de se replonger aussitôt sur son ouvrage.
La clé des fleurs
Ces instruments s’en iront remplir les nombreuses étagères du lieu de stockage : un vaste bâtiment de deux étages situé à Jemelle, prêté par l’entreprise Lhoist. « C’est une aubaine. Jamais nous n’aurions pu assumer financièrement un tel lieu », commente Lukas Pairon, tout en déambulant entre les cohortes d’instruments.
Dans le couloir du rez-de-chaussée, des dizaines de boîtes sont alignées. « Celle-ci, c’est un piano à queue », précise le fondateur de Music Fund. Le gigantesque instrument, avec deux cents autres, prendra sous peu le chemin de Ramallah. Il y parviendra après avoir franchi une série d’étapes compliquées d’un point de vue logistique. « Nous apprenons avec l’expérience », sourit le natif d’Anvers. Sur les routes européennes, il a trouvé la parade : les instruments livrés de la Suède à l’Espagne sont centralisés ici via un transporteur de... fleurs.
En dehors du continent, pas de règle. « C’est à chaque fois différent », souligne-t-il. Embarqués au port d’Anvers dans des containers, ces précieux colis sont ensuite acheminés par la mer, avec des délais d’attente fluctuants aux postes de douane. Gaza, Cap-haïtien ou Bukavu... Les destinations posent en effet de nombreux problèmes d’accessibilité.
Des amis longue portée
Music Fund peut compter sur des soutiens de poids pour le transport et l’hébergement. Grâce à sa renommée et forte de sa présence sur la scène de la coopération au développement, elle attire des philanthropes industriels. Désormais, l’association reçoit du matériel : les indispensables housses et boîtes, mais aussi de l’outillage, des manuels et des partitions. Parfois, ce sont carrément des instruments, invendables car présentant de légers défauts esthétiques, qui lui parviennent. « Nous pouvons compter sur de nombreux amis », sourit Lukas Pairon.
De liens, il est aussi question entre donateurs et récepteurs.
Un code attaché à chaque pièce permet aux propriétaires originels des instruments d’en suivre la trace. « Même si c’est à travers leur imagination, cela leur permet d’être, eux aussi, un peu là-bas », conte Lukas Pairon.
La culture fait le pont
Culture et développement. L’art, la culture par le biais de la musique, peuvent-ils être des instruments de prévention des conflits ? « Lorsque j’entends que la musique adoucit les moeurs, je suis un peu irrité », admet Lukas Pairon.
« La pratique et l’éducation musicales à elles seules ne suffisent pas à prévenir les conflits ni à promouvoir le développement économique », poursuit le musicien. «L’expérience nous montre toutefois qu’un enseignement musical bien structuré participe à l’édification et à la reconstruction d’une société. » La musique étant, à ses yeux, « peu conciliable » avec la violence.
En s’inscrivant dans la durée, la formation et la mise en place d’ateliers de réparation dans des pays en développement et en conflit participent à cette transformation.
A ce titre, Music Fund intervient comme agent de développement, en partageant des savoir-faire et en participant au renforcement des capacités des publics cibles.
Culture et travail social. La musique ouvre-t-elle des perspectives sociales ? Dans le cadre de sa thèse, Lukas Pairon s’est posé cette question au regard de son expérience en République Démocratique du Congo avec les enfants-sorciers et les anciens détenus. L’impact de la musique sur le travail social semble difficile à mesurer et dépend de plusieurs facteurs. Afin d’approfondir encore les recherches en la matière, il a fondé « Simm», une plate-forme internationale de recherche sur le sujet.
Donner, former, éviter l’« absurdie »
Pour faire de ces dons un outil de développement efficace, « il s'est rapidement avéré nécessaire d’aller plus loin », explique encore Lukas Pairon.
Des programmes de formation ont ainsi vu le jour. « Cela permet à nos partenaires d’assurer eux-mêmes l’entretien d’instruments, tout en développant un savoir-faire local », précise encore Lukas Pairon.
Perspectives sociales
Si le fer de lance de Music Fund reste la distribution d’instruments, l’association répond aussi à des demandes qui sonnent juste à son oreille. Ainsi soutient-elle une vingtaine de projets socio-artistiques en Belgique. « Nous assistons un public précarisé, qui fait face à des difficultés socio-économiques, notamment dans des centres de réfugiés », explique Christian Bertram, qui organise par ailleurs des ateliers à l'intention des détenus de la prison de Marche.
Mais l'association a aujourd'hui choisi de décliner les nouvelles demandes. « Dans un souci de faire les choses à taille humaine, nous ne voulons pas grandir davantage. » Et de privilégier le temps (« mais pas la dépendance ») dans le souci de soigner la qualité des partenariats déjà en cours.
Photos : Jean-Luc Flemal
Vidéo : Valentine Van Vyve & Semra Desovali