Le Netflix des vêtements
pour enfants

Le Netflix des vêtements
pour enfants

Pourquoi acheter des fringues dont on n'aura qu'un usage très temporaire ? Avec à la clef une lourde addition financière et environnementale.
La question se pose particulièrement au moment de la maternité et des premières années de l'enfance.
Avec son système de location de vêtements en ligne,
Tale Me propose de passer d'une logique de possession à celle de l'utilisation.

Reportage
Gilles Toussaint

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Lovée dans un fauteuil situé dans l'entrée du magasin, Anna Balez se prête en toute décontraction aux demandes du photographe. Le visage souriant, mais visiblement fatigué. "Laissez-moi le temps de prendre un café pour rassembler mes idées, parce que je suis crevée", confirme-t-elle en rigolant. C'est que les journées sont bien remplies.
Il y a trois ans, cette jeune ingénieure chimiste de formation s'est illustrée en lançant Tale Me, le premier dressing en ligne dédié aux femmes enceintes et aux enfants âgés de zéro à six ans. Sa particularité ? Ici, on n'achète pas, on loue.

« Acheter les vêtements en seconde main, c'est bien, mais ça ne va pas encore assez loin. On ne les réutilise généralement qu'une fois, c'est une étape de transition. »

Anna Balez - Fondatrice de Tale Me

Un projet né d'une frustration. "L'économie circulaire, c'est déjà quelque chose dont on parlait beaucoup il y a dix ans, mais dans des milieux assez clos. Des boîtes commandaient des rapports, on leur faisait des recommandations, puis elles rangeaient tout cela dans leurs tiroirs. Cela restait peu concret", déplore celle qui travaillait alors dans une société de consultance spécialisée dans la transition économique et l'analyse d'impacts environnementaux.
"J'avais en moi cette envie de réaliser un projet d'économie circulaire. Au gré de mes rencontres, je me suis rendu compte que l'on parlait surtout du durable autour de la nourriture et des cosmétiques, mais très peu dans le secteur textile. Regardez dans la rue, les vêtements n'ont plus aucune valeur. On jette des vêtements ! Je me suis donc demandé à quel moment on n'avait pas forcément besoin d'en acheter. Durant l'enfance, bien sûr. Cela m'a paru logique. Pourquoi achète-t-on des fringues pour des enfants qui grandissent tout le temps?"

La culture de la possession, une question de génération

Les principes portés par Tale Me ont beau être dans l'air du temps, "il faut se battre pour convaincre les parents de passer à l'acte. C'est plus difficile que ce que l'on pensait", concède Anna Balez. "Quand on présente ce que nous proposons, tout le monde trouve que c'est une bonne idée, que c'est génial, mais il existe une culture de la possession qui est très très ancrée. Cela demande aux gens de changer leurs habitudes, c'est quelque chose de violent. Aujourd'hui, quand une maman n'a plus de pantalon six mois pour son bébé, elle court en acheter un chez H&M, alors que ce serait plus simple de nous en commander un."
Mais les choses sont en train de changer doucement, poursuit-elle. "C'est un changement hyper-générationnel. Ce sont les moins de trente ans qui comprennent le mieux ce que l'on fait. La génération "iPhone". Ils sont habitués à changer, à ne pas s'attacher aux choses. Ils louent leur appartement, leur bagnole, leur vélo et ils n'ont plus de CD pour leur musique puisqu'ils sont abonnés à des plate-formes de streaming... Il y a vraiment une génération qui arrive et qui n'est plus dans le besoin de posséder pour exister. Cela m'incite à l'optimisme."

Si les pouvoirs publics commencent à prendre conscience de la nécessité de développer des systèmes économiques moins destructeurs, certains obstacles doivent encore être levés, observe la fondatrice de Tale Me. Et de pointer du doigt les garanties personnelles qu'exige la Société régionale d'investissement de Bruxelles (SRIB) en contrepartie d'un soutien financier. "Pour des projets risqués comme le nôtre, je trouve ça nul", grogne-t-elle.
Plus que des subsides, c'est surtout dans l'éducation que les pouvoirs publics devraient investir, juge encore Anna Balez. "Il faut expliquer aux jeunes et montrer de manière créative qu'on n'est pas obligé de posséder pour être heureux. Faire ce travail aidera les futures entreprises qui se lanceront dans cette voie à dépenser moins d'argent et d'énergie dans ce job de sensibilisation et de conviction."

Un abonnement et un ordinateur

Epaulée par Greenlab, le programme bruxellois d’accélération à l’entrepreneuriat environnemental, et confortée par les tests réalisés auprès d'un panel de personnes, Anna s'est donc jetée à l'eau début 2015, convaincue de la pertinence de cette approche. "Tout le monde me regardait gentiment, mais j'ai ce côté un peu casse-cou qui me rend crédible", s'amuse-t-elle. Assez crédible en tout cas que pour convaincre la Commission européenne de lui accorder un coup de pouce de 600 000€ (sur trois ans) dans le cadre de son programme d'Eco-innovation.
Après avoir débuté sur le site des Tanneurs, Tale Me dispose aujourd'hui d'un showroom à Saint-Gilles, ainsi qu'à Paris depuis un an. Les ateliers pour leur part sont implantés au sein du site de Greenbizz Brussels.

10 000 - Le stock de vêtements donc dispose Tale Me compte actuellement quelque 10 000 pièces qui permettent de répondre aux demandes de 2000 abonnés.

La formule proposée est d'une simplicité... enfantine. "Nous sommes le Netflix du vêtement pour jeunes enfants, résume la fondatrice. C'est exactement le même système. Les gens choisissent une formule d'abonnement mensuel. Ils peuvent ensuite choisir un certain nombre de vêtements chaque mois, qu'ils échangent ensuite en fonction des changements de taille, de la saison ou simplement de leurs envies. Tout fonctionne en ligne. Ils sont livrés à la maison ou en points-relais, mais ils peuvent aussi venir les retirer ici. Au total, nous disposons de 10 000 pièces. La boutique n'est en fait qu'une vitrine où nous proposons quelques échantillons de notre gamme pour que les personnes intéressées puissent se rendre compte de ce que nous proposons et établir une relation de confiance."
En parallèle, Tale Me organise également des ateliers "do it yourself", "zéro déchet" "home organizing" ou "hypno-naissance" qui permettent de renforcer les liens avec sa communauté d'utilisateurs - "les parents de demain".

Qualité, réparation, insertion

Grâce au système proposé par Tale Me, les vêtements peuvent être utilisés par quatre ou cinq enfants différents, alors que ceux que l'on achète son rarement réutilisés plus d'une fois - par le petit frère ou la petite soeur, un cousin, les enfants des amis... Le secret ? La qualité. "On ne travaille qu'avec des marques de référence et nous sommes très attentifs au sourcing, à ce que ces produits que nous achetons neufs soient produits dans le respect de l'environnement et des hommes", insiste Anna Balez.
"C'est une démarche globale dans le temps, développe-t-elle. Pour faire durer le vêtement, il faut maîtriser sa conception dès le départ afin de pouvoir le réparer. Quand on dit réparer, ce n'est pas remettre un patch Mickey sur un trou, cela veut dire enlever une manche et en remettre une neuve sans que cela se voie. Et pour arriver à cela, il faut que l'on ait au départ du tissu de qualité. On se tourne donc vers des petits créateurs qui peuvent nous fournir le tissu pour les réparations et nous fabriquons aussi des vêtements nous-mêmes."

Boucler la boucle

Dans l'atelier situé à deux pas du site de Tour et Taxis, une équipe d'une petite dizaine de personnes réalise ainsi la confection et la réparation des vêtements proposés à la location. "Nous travaillons en partenariat avec le CPAS. Nous employons des couturières expérimentées ou qui apprennent le métier. Certaines ne font que du repassage ou de la couture légère comme le remplacement de boutons. Nous venons également d'engager un réfugié syrien qui était couturier dans son pays. Il dépote ! Il est vraiment hyper doué et c'est chouette parce qu'il apprend plein de techniques aux autres !" se réjouit notre interlocutrice.

« Il y a eu des révolutions pour obtenir plus de droits sociaux, il va falloir une grosse révolution par rapport à la consommation. On n'est pas plus heureux en consommant plus. On est arrivé au bout de ce modèle-là, mais les gens ne l'ont pas encore intégré. »

Anna Balez

Avec 2000 abonnés issus de Belgique, de France, du Luxembourg, des Pays-Bas ou encore d'Allemagne, Tale Me peut se réjouir du succès rencontré, même si ces chiffres sont en deçà des ambitions de la jeune femme. "C'est un peu en dessous de ce que j'espérais, mais je suis confiante car on enregistre une croissance continue. Nous sommes en train de changer d'échelle, mais on doit tout inventer pour ce créneau : une façon innovante de communiquer sur le web, de gérer les stocks, la logistique..."

Au printemps, Tale Me lancera ainsi une gamme de chemises dédiée aux hommes cette fois. "C'est un système pensé pour une catégorie spécifique : les hommes qui portent trois à cinq chemises par semaine. Ces chemises de belle qualité arriveront lavées, repassées et sur cintre dans leur penderie tous les dimanches soirs. Plus besoin de s'occuper du pressing !"

A plus long terme, Anna Balez et son équipe réfléchissent également à la manière dont on pourrait encore allonger la durée de vie de ces habits en créant des gammes de vêtements destinés à la location sur les principes de l'écoconception.
Et pour que la boucle soit vraiment bouclée, Tale Me stocke actuellement toutes les fringues arrivées en fin de parcours dans le but de les recycler un jour. "Nous recyclons assez bien de jean. C'est une fibre relativement facile à refiler pour refaire du jean. Mais actuellement, il n'existe pas encore de possibilité pour recycler les fibres des autres tissus, alors on les conserve parce que sur le plan environnemental, c'est moins impactant de les garder dans notre stock. Mais il y a enfin des jeunes qui se lancent dans des recherches pour corriger cela. D'ici cinq ans, on devrait y arriver, je suis confiante là-dessus" conclut-elle, résolument optimiste.

Photos : Jean-Christophe Guillaume
Vidéo : Johanna Pierre

Une "babythèque" à Ixelles ?

Emprunter plutôt qu'acheter des produits à bas coûts qui finiront par être jetés. C'est également la philosophie qui anime le projet en gestation au centre culturel Elzenhof d'Ixelles. L'idée est de créer une sorte de "bibliothèque" où les jeunes parents pourraient, moyennant une contribution annuelle, emprunter des accessoires de qualité destinés à des bébés âgés de zéro à un an (coussin d'allaitement, baignoire, chauffe-biberon, relax, porte-bébé...). Des équipements coûteux, dont on n'a généralement l'utilité que durant quelques mois et qui finissent souvent par encombrer les greniers.
Portée par le "Netwerk Bewust Verbruiken" (un réseau qui vise à développer les modes de vie durables) et le centre Elzenhof, cette Babytheek serait aussi un lieu de rencontres et d'échanges pour les apprentis papas et mamans (ou papys et mamys).
Un financement participatif a été lancé sur la plate-forme Growfunding BXL afin de récolter les 12 000 € nécessaires à la mise en route du projet. Celui-ci a en outre été sélectionné par la Fondation Be Planet ! qui a pour objectif de jeter des ponts entre des initiatives citoyennes locales et des entreprises inscrites dans une logique de développement durable. La recherche d'un partenaire susceptible de soutenir la Babytheek à hauteur de 10 000 € supplémentaires est actuellement en cours.
Une première collecte d'accessoires pour bébés (en bon état) a été organisée ce samedi, une autre aura lieu le 9 décembre.