Constatant les dérives de l’industrie textile, la jeune Liégeoise Stéphanie Fellen veut révolutionner la mode en vendant des vêtements et des accessoires uniquement fabriqués en Europe, dans le respect de l'environnement et de l'humain.
Découverte de cette approche novatrice, alors que la Fashion Week de Paris bat son plein.
Reportage
Aude Quinet
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Au numéro 44 du boulevard Piercot à Liège, assise derrière son ordinateur, Stéphanie Fellen (31 ans) prépare les prochaines collections. Elle s’attelle à répondre aux derniers mails reçus de ses différents partenaires et fournisseurs.
A la tête de Made & More, la jeune femme est installée depuis mars 2016 dans ce qu’elle appelle son « studio ». Des locaux qui font office de bureau, magasin, studio photo, atelier de couture, mais aussi d'espace de stockage et de centre d'expédition. En tant que jeune entrepreneuse, Stéphanie ne s’arrête jamais, si ce n'est pour répondre à nos questions. A ses côtés, Charlotte (graphisme) et Aurélie (développement des ventes) l’aident à faire grandir son projet : démontrer qu'une mode éthique, durable et responsable est possible.
La mode autrement
L’idée de lancer sa société lui est venue lors de ses études en ingénieur de gestion à HEC-ULiège. « Je trouvais que le monde économique dans lequel on vivait n’était plus cohérent », explique-t-elle. Son diplôme en poche et malgré un emploi confortable de cadre dans le secteur de la chimie industrielle, Stéphanie a décidé de tout plaquer au bout de quatre ans pour créer sa start-up. « Je me suis dit : ‘je vais créer une société transparente, juste, qui va un peu bousculer les codes’ ». Elle se tourne alors vers le secteur de la mode « car c’est quelque chose que j’aime beaucoup. Ma mère et ma grand-mère ont toujours cousu et je couds moi-même. C’est un savoir-faire qui me tient à cœur.»
Stéphanie est également touchée par l’impact environnemental et social de l'industrie textile. « C’est une industrie qui délocalise, pollue fortement et exploite la main-d’œuvre ouvrière. Cela ne me semble pas correct de fermer des usines ici pour fabriquer un vêtement à petit prix à l’autre bout du monde, dans des conditions précaires.» Pour cette passionnée attentive à l’origine des produits, il est au contraire tout à fait possible de fabriquer localement de belles choses tout en ayant « des prix accessibles et un prix de revient correct », affirme-t-elle.
Seule dans son garage, elle a lancé sa start-up sur fonds propres en juillet 2013 avant d’être approchée deux ans plus tard par l’incubateur Leansquare. « A ce moment-là, je vendais déjà dans six pays avec treize marques partenaires. » Sous l’aile protectrice de cette structure, la jeune femme est rapidement parvenue à lever des fonds auprès de nombreux actionnaires, privés et publics. Aujourd’hui parfaitement autonome, elle a déjà pu engager deux personnes à temps plein et financer ses premières collections.
Traçabilité et made in Europe
Made & More se présente sous la forme d’une boutique en ligne. Elle propose notamment des vêtements pour hommes et femmes de la marque maison « By Made & More », lancée en avril 2016. Il s’agit de collections capsules et permanentes (T-shirts, robes, chemisiers, pulls, gilets et jupes) imaginées par Stéphanie et conçues dans des ateliers de fabrication partenaires en Italie, en France et au Portugal.
Pour chaque vêtement, la transparence est de mise. La jeune entrepreneuse a pour principe de visiter les ateliers de production et de rencontrer les ouvriers et artisans. Des informations auxquels ses clients ont directement accès via les étiquettes. Elle garantit en outre « un prix juste » pour une fabrication artisanale locale à échelle humaine.
Le choix d’une fabrication européenne s’est ainsi imposé. Il permet de certifier des conditions de production soumises aux règles européennes, mais aussi de bénéficier d’un accès rapide aux marchandises et ainsi réduire l'empreinte écologique de la production.
Qui plus est, « chaque pièce porte le prénom d’un ou d’une couturière ». Stéphanie Fellen y voit une manière de revaloriser le savoir-faire de ces hommes et femmes aux doigts de fée. « La robe en coton biologique, c’est Roselyne, la cheffe de l’atelier en France. Le t-shirt pour hommes, c’est Daniel. Les chemisiers en lin fabriqués en Italie, c’est Elena...»
Une attention particulière est également apportée aux matières utilisées. « On n’a que du naturel : du coton bio, du lin, de la soie, du viscose… Je veux que ce soit du tissu de qualité.» Des tissus qui proviennent de France, du Portugal, de Turquie ou de Lituanie.
Enfin, Made & More a choisi d'offir une garantie à vie sur ses collections. Pas sur l’usure naturelle ou le mauvais entretien du tissu, bien sûr, mais « s’il y a un défaut de fabrication, s’il manque un bouton ou si une couture se défait, soit le client nous le renvoie gratuitement, soit on lui envoie un kit de réparation gratuit pour qu’il puisse le réparer lui-même ».
Des marques partenaires
Outre des vêtements, la boutique en ligne est complétée par des bijoux, sacs (en cuir tanné végétalement…), chaussures (en daim ou cuir vegan), accessoires, papeterie (papier recyclé) et autres bougies naturelles… de dix-sept marques partenaires provenant d’Espagne, du Portugal, de France, de Belgique et d'Angleterre. Celles-ci doivent répondre à une série de critères de sélection: « Que ce soit beau, que ça soit dans l’ère du temps, que ça rencontre les valeurs de "Made & More" mais aussi que ça corresponde au goût de notre clientèle », spécifie Stéphanie Fellen qui exige là encore la transparence sur les ateliers de fabrication. « Il faut qu’on puisse nous ouvrir les portes de l’atelier de production pour qu’on puisse aller filmer, voir, auditer… », insiste-t-elle.
Au fil du temps, une relation de confiance s’établit avec ces fournisseurs qui doivent garantir « une certaine capacité de production. Ils doivent pouvoir produire cent pièces les mêmes. C’est de l’artisanat local à moyenne échelle».
Une usine en projet
A côté de sa présence en ligne, Made & More ouvre également les portes de son studio un week-end par mois ainsi que des boutiques éphémères (pop-up stores) en Belgique et en France. Les prochaines prendront place à Paris en octobre et à Bruxelles en décembre. « C’est important pour rencontrer les clients et pour pouvoir leur parler. Ils peuvent aussi toucher et essayer les vêtements », explique Stéphanie.
Un point de vente physique permanent devrait voir le jour dans le courant de l’année 2018. « D’autres ouvertures suivront », annonce la gérante qui a encore des projets plein la tête afin d’étoffer la gamme de vêtements mais aussi d’agrandir l’équipe.
Enfin, « j’aimerais avoir ma propre usine de production », explique-t-elle. Des contacts sont d’ores et déjà pris « afin de racheter des usines existantes ou de réhabiliter des sites industriels abandonnés pour produire ici », dévoile celle qui entend réindustrialiser dans notre pays.
Aujourd’hui, Made & More compte 1300 clients répartis dans treize pays : France, Belgique, Suisse, Hollande,Royaume-Uni, Suède, Australie, Etats-Unis, Espagne, Luxembourg,…Une belle aventure qui ne demande qu'à essaimer.
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Vidéos:
Johanna Pierre
Photos:
Alexis Haulot
Une production artisanale et locale
Ce jour-là, Stéphanie Fellen a rendez-vous avec Delphine Quirin, une créatrice de bandeaux, bonnets, écharpes, et autres mitaines... Dans son atelier, rue Pierreuse à Liège, où il lui arrive de fabriquer artisanalement jusqu’à 20 turbans par jour, la modiste Liégeoise lui présente ses dernières créations en vue de déterminer la collection « hiver » qui sera proposée sur l’e-shop de Made & More. « J’ai ce bonnet-ci qui pourrait t’intéresser, après il faut voir la couleur que tu veux… J’ai aussi ces écharpes qui sont uniques et qui peuvent être pas mal pour toi… ». Delphine Quirin a comme particularité d’être la première partenaire de Made & More. « Il y a quatre ans, c’est la première personne que j’ai contactée », se souvient Stéphanie. « On a très vite commencé à travailler ensemble et depuis, chaque année, il y a des bonnets ‘Delphine Quirin’ sur l’e-shop ».
L’efficacité de la production locale
Produire localement, c’est avantageux sur le plan écologique et éthique... mais aussi pratique. Stéphanie en a fait plusieurs fois l’expérience : « Son atelier étant tout près du studio, il m’arrive de lui demander un bonnet que je n’ai plus en stock, et qu’elle me fabrique aussi vite ! Je viens alors le chercher directement », raconte-t-elle. De son côté, Delphine trouve aussi des avantages à s’associer à la start-up. « Elle a une visibilité autre que la mienne ». Mais les deux femmes se rejoignent également et plus fondamentalement sur certaines « valeurs », qui sont les lignes directrices de leurs vies professionnelles respectives.
Pour la jeune entrepreneuse qui croit en une mode alternative et durable, il est plus logique de se fournir et de consommer local que « de faire venir des containers du bout du monde ».