De nombreux parents, souvent très jeunes et issus de milieux précarisés, se retrouvent dépassés par leurs nouvelles responsabilités. Une situation qui aboutit trop souvent au placement des enfants.
Pour éviter d'en arriver là, l'ASBL Le Petit vélo jaune leur propose de trouver un soutien auprès d'accompagnants bénévoles qui les aident dans le démarrage de leur aventure familiale.
Reportage
Annick Hovine
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Dans le petit appartement bruxellois, au huitième étage, tout est nickel. Aïcha*, 22 ans, y vit depuis juin dernier, avec ses deux jeunes fils : Amadou*, 4 ans et demi, et Alseny*, un an et demi. Il leur fallait quitter le logement deux chambres qu’elle louait à un autre bout de la commune : cuisine trop exiguë, proprio pas très gentil et, surtout, loyer bien trop cher (930 euros par mois, charges comprises).
Le déménagement a été épique. Quelques amis de Fedasil sont venus prêter main-forte. Myriam, bénévole au“Petit vélo jaune”, un service de prévention et de soutien à la parentalité, a aussi donné un gros coup de main.
“Il faut s’imaginer le spectacle. Aïcha voulait tout laver : les vêtements des enfants, les couvertures, les rideaux… On a fait une expédition au salon-lavoir. Je tenais la poussette qui débordait de linge. Elle avait le plus petit sur le dos”. Aïcha, intervient : “Je portais aussi un paquet sur la tête”. En évoquant ce souvenir, les deux femmes rient à gorge déployée. Ce jour-là, quelqu’un a cru que Myriam était la maman adoptive d’Aïcha. Elles échangent un sourire complice. Entre ces deux-là, on sent des liens forts. Elles ne se connaissent pourtant que depuis février, quand la jeune retraitée est devenue “coéquipière” de la très jeune maman.
Quand c’est trop compliqué
Guinéenne, Aïcha est arrivée en Belgique en 2012. Mineure étrangère non accompagnée, l’adolescente est placée au centre d’observation et d’orientation. La jeune fille, enceinte, y est très bien entourée. Après deux mois, elle est dirigée vers un centre d’accueil pour réfugiés, où naîtra son premier petit garçon. Quelques mois plus tard, elle obtient le statut de réfugiée. Elle doit quitter le centre d’accueil. Dans un premier temps, elle est hébergée par une ASBL qui soutient les mineurs étrangers, avant de trouver un appartement. La jeune femme accouche d’un second fils. Les circonstances de la vie font qu’elle se retrouve seule, avec un bébé et un très jeune enfant.
C’est compliqué. La psychologue du centre d’accueil, avec qui elle est restée en contact, lui parle du “Petit vélo jaune”. L’association a pour ambition d’offrir un cadre de vie rassurant aux parents qui se sentent en manque de ressources ou de repères. Elle propose d’accompagner les mamans fragilisées, si possible dès la grossesse, pour éviter que la situation se dégrade et qu’on en arrive à des ruptures familiales, voire au placement des enfants.
Les bénévoles du “Petit vélo jaune” sont là pour écouter les familles, les soutenir, les épauler, tenter de trouver des réponses. “Certains parents ont parfois juste besoin d’être reconnus dans leur relation avec leur enfant, d’un regard humain et non professionnel, d’une personne complice qui validera leur choix de parent”, explique Vinciane Gautier, coordinatrice générale de l’ASBL.
Coup de cœur réciproque
Le bénévole – baptisé coéquipier – ne fait pas les choses à la place des parents, mais leur fait découvrir leurs propres compétences, leurs propres ressources.Il doit s’engager pour au moins une année, mais en fonction des situations, le coaching peut être prolongé de quelques mois.
“J’avais besoin de quelqu’un pour m’aider, pour faire les courses, pour me promener avec les enfants. C’était difficile quand j’allais au parc toute seule. Amadou voulait courir, le petit criait dans sa poussette. Je ne savais pas très bien comment faire. Je n’en pouvais plus”, indique Aïcha.
Après la visite d’Isabelle, assistante en psychologie, en charge des familles et des bénévoles du “Petit vélo jaune”, la jeune Guinéenne a dû patienter quelques semaines, parce qu’il n’y avait pas de coéquipier immédiatement disponible.
Il y a ensuite eu la première rencontre avec Myriam. “Je l’ai tout de suite aimée”, clame Aïcha. “C’est vrai, ça a été un coup de cœur réciproque”, confirme la bénévole qui s’est inscrite à l’association en novembre 2016. Les coéquipiers du “Petit vélo jaune” se rendent une fois par semaine, au moins deux heures, dans la famille qui leur est attribuée. La formule est très flexible. “Je viens à des jours et des heures différents chaque semaine, comme cela nous convient à toutes les deux. C’est très libre, ce qui est gai”, poursuit Myriam.
Dans sa – première – vie active, Myriam était responsable de la publication des syllabus aux Presses universitaires de Bruxelles. Retraitée, elle a voulu trouver des activités qui privilégient les relations humaines.
Parcours du combattant
Elle vient souvent pour une demi-journée, voire plus chez Aïcha. “Au début, on est allées dix semaines d’affilée à l’hôpital : Amadou devait passer une batterie d’examens de logopédie. Comme il y avait beaucoup de documents administratifs à régler, on allait tous ensemble à la clinique”, raconte Myriam.
Puis il y a eu la recherche d’un appartement. Pas simple, quand on a la peau noire. “Quand les propriétaires entendaient mon accent, c’était fini, ils raccrochaient. Quand c’est Myriam qui appelait, j’avais au moins un rendez-vous”, explique Aïcha. La coéquipière confirme : “On ne se rend pas compte de cette réalité. Quand on vit au quotidien avec elle, on apprend beaucoup de choses”. A deux, elles ont contacté tous les services, toutes les personnes ressources, frappé à toutes les portes… “Cette problématique du logement, j’y connaissais encore moins qu’Aïcha !”.
Même parcours du combattant pour trouver une place en crèche pour Arseny. “J’ai demandé à Myriam de faire des lettres de motivation”. Elles n’ont pas dû servir : la jeune maman qui avait multiplié les inscriptions vient de recevoir une réponse positive.
Aïcha a profité de l’été pour faire une petite remise à niveau en français. “On a fait pas mal d’exercices”, explique Myriam. La jeune maman se décarcasse pour trouver un travail dans la vente : elle cherche sur internet, répond à des offres d’emploi, va se présenter en personne. Mais là aussi, c’est compliqué. Une supérette proche de son domicile lui a proposé un horaire de 8h-14h, une semaine, et 14h-20h l'autre semaine. Impossible pour une maman seule avec enfants. Mais Aïcha a tenu bon : elle est allée plaider sa cause chez l’employeur : elle peut travailler de 8h30 à 17h chaque jour.
“J’attends la réponse”, dit-elle, déterminée. Myriam croise les doigts pour elle.
* Prénom d’emprunt.