L'école dehors, une autre façon d'apprendre… qui a fait ses preuves

L'école dehors, une autre façon d'apprendre… qui a fait ses preuves

A l’école de Péville, en province de Liège, les élèves de première primaire ont fait l’école dehors, l’année passée.
L’ABSL “La Leçon Verte” impulse ce nouveau courant de l’enseignement, déjà observé ailleurs en Europe.

Reportage
Aurore Vaucelle

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Madame Renard enlève son anorak ruisselant et son chapeau en forme de cloche. Elle salue ensuite la ribambelle d’enfants en pulls de toutes les couleurs qui, tout à coup, gigotent d’avant en arrière, dans des rires à peine étouffés. Madame Renard est là. Ce qui veut dire que l’on va faire l’école, mais dehors !

N’allez pas croire pour autant que c’est la foire. Laurence Havard est animatrice à “La Leçon Verte” depuis près de huit ans. Et Dieu sait si cette biologiste de profession a dû expliquer plus d’une fois que ce qu’elle fait, ce n’est pas animer la récréation, mais bien participer à l’éducation de la jeunesse dans le très sérieux cadre scolaire.
Depuis huit ans en effet, l’ASBL “La Leçon verte” va à la rencontre du corps enseignant en promeuvant une autre manière de faire la classe. L’idée ? Amener les professeurs sur un autre terrain; déplacer la classe hors les murs; aérer les cervelles de la jeunesse dans un contexte qui stimule les apprentissages de toute sorte. Et ce contexte, c’est la nature. Au dehors.

Biologiste de formation, Laurence Havard fait découvrir aux élèves et aux enseignants une autre manière de faire la classe.

Prendre l’air et voir le monde

Pas besoin d’être dans un cadre naturel exceptionnel pour donner cours dehors. Ce matin-là, à la petite école de Péville, on fera l’école dans le parc qui voisine la cour de récréation. Madame Renard (alias Laurence Havard, vous l’aurez compris), qui porte autour du cou une image de goupil comme on en voit dans les livres de biologie illustrés, sort de son sac autant de colliers à images qu’il y a d’enfants levant le doigt et gigotant. Devine qui est le bouton-d’or ou le coprin chevelu (“C’est un champignon, M’dame), et il devient ton totem pour la matinée de cours au grand air...

«A leur pupitre, ils sont seuls, ils ne travaillent pas en groupe.»

Laurence Havard, alias Madame Renard, animatrice à “La Leçon Verte”

L’enseignement dehors est encore méconnu en Belgique. Certes, Laurence Havard voit sept classes par an, depuis trois ans, et dans une classe il y a 15 à 20 élèves : un vrai problème de calcul ! Elle aura touché plus de 3000 enfants depuis qu’elle est Madame Renard, sans compter ses collègues qui œuvrent à Namur et dans le Brabant wallon.
Pourtant, la démarche bénéficie de peu de relais institutionnels et le subventionnement auprès des écoles ne dépasse jamais la première année. Et ce malgré l’efficacité (vite observée) qui ressort de cette manière d’enseigner.

Quel genre de vie future veut-on pour ses enfants ?

Selon Sarah Wauquiez, pédagogue, et actuellement formatrice en Suisse et en France, auprès d’adultes qui souhaitent apprendre à enseigner dans la nature, la question de l’école dehors est tout sauf anecdotique et doit idéalement toucher une population élargie, qui dépasse “le public des parents qui sont déjà convaincus du bien fondé de la démarche”.
On lui a demandé concrètement ce que cet enseignement apporte, en comparaison de l’enseignement traditionnel, dans la construction de la jeunesse. “Il y a une contradiction entre les enfants que l’on veut voir grandir, et la manière qu’on emploie pour les éduquer. Je crois qu’il faut se poser la question différemment. Quelles sont les compétences clés pour une vie réussie en bonheur ? Et cela passe forcément par les compétences sociales et personnelles. Beaucoup de parents aimeraient pour leurs enfants une vie meilleure que la leur, mais ils pensent que, pour cela, il faut les stimuler ; qu’ils soient bilingues à trois  ans et des rois en maths. Or un environnement d’apprentissage en dehors de la salle de classe, dans les situations réelles de la vie quotidienne, développe des compétences dont les enfants auront besoin dans leur vie. Il faut réviser nos idées sur les compétences qui sont importantes dans notre société”.

La bonne santé des enfants en question

Le champ des études consacré à la santé de la jeunesse démontrent qu’elle est trop sédentaire. Un enfant âgé entre 6 et 11 ans passe en moyenne six heures sans bouger sur le banc de l’école, et deux heures de plus devant les écrans, alors qu’une activité de 90 minutes est absolument nécessaire à sa bonne santé (*).
De la même manière, des études récentes concernant les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH) – que l’on diagnostique en pagaille ces dernières années – prouvent que 20 minutes de marche dehors suffisent à des enfants atteints de ces troubles de l’attention pour retrouver une concentration comparable à celle des autres enfants (*).

C’est dans ce contexte que faire l’école dehors apparaît comme une solution. Pour la bonne santé des enfants et pour la formation de leur intelligence dans un monde en perpétuelle évolution. “Les apprentissages de base qu’on a transmis durant une centaine d’années; un certain rapport au savoir, ce n’est plus tout à fait ce qu’il nous faut”, éclaire Sarah Wauquiez, pédagogue qui possède une grande expertise de l’éducation en plein air. Elle forme d'ailleurs des adultes dans ce sens.

Les activités à l'extérieur sont d'autant plus indispensables qu'un enfant âgé entre 6 et 11 ans passe aujourd'hui en moyenne six heures sans bouger sur le banc de l’école,
et deux heures de plus devant les écrans.

Coopération, expression, perception du monde

Pendant ce temps, à Péville, tout le monde boutonne son anorak, rentre sa tête joufflue dans sa capuche et “sort” en classe. Le mauvais temps n’est pas du tout une bonne excuse pour ne pas faire la classe dehors, surtout si l’on considère que l’Ecosse, l’Angleterre, la Finlande ou le Danemark sont les pays précurseurs de l’école au grand air – pluie ou froid, ou pas. D’ailleurs, ce jour-là, on oublie bien vite la pluie pour se consacrer à la leçon du jour, soit un récapitulatif de toutes les ‘leçons vertes’ de l’année. “Les champignons sont les nettoyeurs de la forêt : vrai ou faux  ?”...

On apprend mieux en jouant, car on produit plus de connexions dans notre cerveau. L’apprentissage touche une corde émotionnelle, ce qui fait mieux apprendre

Sarah Wauquiez, pédagogue.

Dans le couple d’oiseaux, c’est la femelle qui chante : vrai ou faux ?”... Par équipe, les enfants doivent trouver le plus vite possible la réponse, puis partent à la recherche du carton vert qui valide ou du rouge qui invalide la question de Madame Renard. Et que ça se bouscule, et que ça disserte sur les qualités prétendues du champignon et de la mésange. Dans les “Mais non, puisque je te dis…” et les “Moi, je te ferais dire que…”, on entend que cette école-là oblige les enfants à s’exprimer face aux autres, et les forcent à la coopération.
A leur pupitre, ils sont seuls, ils ne travaillent pas en groupe. D’ailleurs au début de l’année, c’est difficile, ils se disputent…" Madame Renard poursuit : “L’école dehors, c’est aussi l’occasion de bouger tout son corps. On apprend avec le corps et l’esprit en même temps, ce qui améliore grandement l’apprentissage”.
Un propos confirmé par les pédagogues. “On apprend mieux en jouant, car on produit plus de connexions dans notre cerveau. L’apprentissage touche une corde émotionnelle, ce qui fait mieux apprendre”, éclaire Sarah Wauquiez. Au final, faire l’école dehors ouvre de nouvelles capacités à une intelligence différemment stimulée, tout en donnant une approche plus systémique du monde aux enfants, indispensable dans la construction du futur citoyen qu’il sera.

A la fin de la leçon dehors, on salue l’arbre qui nous aura protégés de la pluie et nous aura appris plein de choses sur lui.

Non, il n’y a pas de loup dehors

Le parc est désormais recouvert d’autant de taches de couleurs que de cirés de petits élèves. Occupés qu’ils sont à chercher la réponse à la question de Madame Renard et, en même temps, à triturer la limace, à farfouiller dans les feuilles, et regarder le nid dans l’arbre.
Madame Backaert, la maîtresse de première primaire, nous explique que c’est une chance de pouvoir faire l’école dehors une fois par mois avec Madame Renard. “Les enfants de cette école viennent pour certains de milieux défavorisés, ils ne sont pas habitués à sortir avec leurs parents.” Certains, au début de l’année, avaient peur du dehors, il a fallu les rassurer. Non, il n’y a pas de méchants loup. Non, on ne va pas se salir…

" Les enseignants n’ont jamais appris à enseigner hors de la salle de classe, ou sans manuel."

Sarah Wauquiez

Curieusement, les professeurs sont eux aussi à rassurer. C’est la pédagogue Sarah Wauquiez qui nous l’avoue. “Les enseignants n’ont jamais appris à enseigner hors de la salle de classe, ou sans manuel.” Mais la réponse aux problématiques de l’enseignement actuel (une pédagogie, plus globale qui prend en compte santé, bien-être, et citoyenneté) se trouve dans la capacité des enseignants à saisir cette nouvelle voie d’apprentissage.

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(*) In “Tous Dehors"
Vous êtes enseignant et tenté par cet enseignement ? Du matériel pédagogique est disponible sur www.silviva-fr.ch

Vidéos:
Christel Lerebourg

Photos:
Johanna De Tessières

Nature et bonne santé inscrites au programme de l’école ?

“Nous pensons qu’un facteur primordial expliquant l’explosion des problèmes de santé chez les enfants est le déclin marqué du jeu depuis 15 ans. Le jeu, particulièrement à l’extérieur, est vital dans le développement de la santé et du bien-être des enfants”. Dans une lettre publiée dans le “Daily Telegraph”, le 10 septembre 2007 par 270 experts de l’enfance, le constat était formel : les enfants ne jouent pas assez. Et, de manière concomitante, ne sont pas assez en contact avec le monde extérieur–­ ce qui nuit à leur développement.

Ce constat a été pris à bras-le-corps par les pays du nord de l’Europe, qui ont compris la nécessité de connecter leur jeunesse à la nature dans un contexte institutionnalisé. Les programmes scolaires suédois insistent sur la nécessité d’inclure le milieu naturel dans l’apprentissage. Face à la pénurie de places en crèche, le Danemark, par exemple, a développé le principe de crèches dehors toute l’année – et ça réussit au teint des bébés ! Enfin, en Suisse, la bonne santé est au programme comme un objectif pédagogique. Dans chacun de ces pays, la démarche de “faire l’école dehors” est inscrite dans le paysage éducatif.

En Belgique, on en est plus au stade de l’expérimentation, même si les professionnels observent que la tendance est en augmentation. Ce qui nous a donné l’idée d’aller nous aussi suivre cette classe sous les arbres.