Communa insuffle de la vie dans des bâtiments inoccupés

Communa insuffle de la vie dans des bâtiments inoccupés

Communa coordonne des occupation temporaires, à Bruxelles, avec notamment des ateliers artistiques, des expositions, des espaces de travail partagés et des logements. Objectif : dynamiser les quartiers et lancer des pistes alternatives pour notre société.

Reportage
Baptiste Erpicum

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Mercredi 7 juin, deux fondateurs de Communa présentent leur association lors d’une soirée qui rassemble différents porteurs de projets destinés à revitaliser Bruxelles. Ils mettent en relation des propriétaires de bâtiments vides avec des collectifs qui pourraient les occuper temporairement. Et tout le monde en sortirait gagnant.

Les propriétaires se retrouvent de fait déchargés d’une part conséquente du travail de gestion et réalisent d’importantes économies, notamment parce qu’ils ne doivent pas payer une lourde taxe d'inoccupation”, explique Dimitri. “En mettant des bâtiments à disposition de projets citoyens à haut impact sociétal, on permet au tissu associatif de se renforcer et on revitalise aussi les quartiers de Bruxelles”, poursuit Daniel.

Mais concrètement, comment cela se passe-t-il ? Pour le savoir, nous nous sommes rendus dans le nouveau QG de l’ASBL, rue Gray, à Ixelles.

Chantier participatif

Une voiture ralentit au niveau du numéro 171. “Alors, ça avance?” lance le conducteur, par sa fenêtre. “Oui, on est dans le temps”, assurent une bonne dizaine de jeunes, occupés à récurer une cuisinière et transporter du matériel d’un endroit à l’autre.

Des lettres tracées à la craie sur un tableau indiquent le nom des lieux - La Serre - ainsi que le programme de ce jeudi 13 juillet - un chantier participatif. Les volontaires s’activent dans un grand hangar au toit vitré et dans les maisons de part et d’autre, pour y préparer l’installation d'occupants, mais aussi de près de vingt associations, collectifs et entrepreneurs.

Il s’agit d’un projet d’occupation temporaire, qui s’inscrit dans le contrat de quartier durable Maelbeek. Sa coordination a été confié par les autorités d’Ixelles à l’ASBL Communa, spécialisée en la matière.

"Tous les bâtiments vides à Bruxelles représentent une opportunité."

Dimitri, fondateur de l'ASBL Communa

S’il arrive, comme ici, que les pouvoirs publics mettent d’eux-même un bien à la disposition de cette association, le plus souvent, ses membres doivent démarcher longuement auprès des propriétaires publics ou privés, avant de pouvoir entreprendre une nouvelle occupation temporaire.

"Des études tendent à démontrer que grâce à une occupation temporaire, un bien peut gagner en valeur, parce qu’il aura été un lieu de vie, où se sont passées de multiples activités."

Dimitri, fondateur de l'ASBL Communa

Le discours est rodé. Il n’est pas question de parler de “squats”, mais bien d’usages transitoires d’édifices temporairement vides. Ce qui se défend essentiellement avec trois arguments : tout d’abord, l’occupation temporaire évite aux propriétaires de payer une lourde taxe d'inoccupation; ensuite, elle prévient la dégradation des biens; et enfin, elle crée un pôle d’attractivité.

Des solutions à la vacance immoblière

"Aucun type de bâtiment n’est épargné par la vacance ! Ces espaces vides abîment le patrimoine architectural de la ville et diminuent l’attrait culturel des quartiers. Cela s’inscrit dans un contexte de besoin criant d’espaces abordables tant dans le domaine du logement que dans le secteur associatif, entrepreneurial et artistique." Ce constat, dressé par Communa, "ne bénéficie à personne", estiment les fondateurs de l'ASBL.

A côté des immeubles vides qui sont à ce jour commercialisés et immédiatement disponibles - ceux-ci équivalent à plus de 50.000 m² de surface - il y a les immeubles de bureaux vétustes ou inadaptés aux normes actuelles et qui de ce fait nécessitent une rénovation. "Ce type de patrimoine représente un réel potentiel", réagit la porte-parole de la Ministre du logement à Bruxelles, Céline Frémault, tout en précisant qu'il "ne figure à ce jour pas de liste exhaustive d'immeubles susceptibles d'être reconvertis en logement."

Ainsi, depuis 2015, l’Alliance Habitat, qui vise l'acquisition et la reconversion de bâtiments vides, a permis la production de 525 nouveaux logements publics. Un dispositif jugé "porteur" et représentant une "alternative innovante" au modèle initial des Plans logements qui ne comptait que sur les seules ressources foncières publiques existantes.

A côté des initiatives politiques, Communa vise pour sa part à offrir une solution "citoyenne" à la vacance immobilière en "facilitant la réactivation temporaire des bâtiments vides, tous types d’immeubles confondus". "De ces espaces débloqués émergent alors des lieux hybrides partagés, pouvant mêler logement, activités économiques, vie associative et création artistique."

Les origines de Communa

Dans le hangar de la rue Gray, qui sera utilisé comme atelier, mais aussi comme lieu de rencontre, cuisine et restaurant, un joyeux fracas accompagne les derniers déménagements, bricolages et autres coups de peinture et de balai. Il ne reste que quelques jours avant l’ouverture. Daniel affiche cependant un sourire confiant. “On a déjà bien avancé. Vous seriez venus au début des travaux, en mars, vous comprendriez. Il y avait des vitres cassées, et des pigeons squattaient tous les étages.

Au rez-de-chaussé de la maison à droite du hangar, Alan amène un meuble pour aménager une future bibliothèque. Ses muscles saillants débordent de son t-shirt sans manche. Il se présente comme “l’un des membres historiques de Communa”.

Originaire de France, ce jeune homme pose ses valises dans notre capitale après une histoire jalonnée de petits boulots, de peines de cœur et de belles rencontres. Les premières semaines, il squatte un canapé chez des étudiants bruxellois qui jouissent de leur deuxième occupation temporaire, entre septembre 2014 et septembre 2016, pour vivre entre potes, à moindre frais, mais aussi pour organiser des activités et, pourquoi pas, rêver à leur avenir.

Dans cette grande villa de 800 mètres carrés, à Uccle, il y a des poules et un potager. Il y a aussi un système de récupération d’eau de pluie, des tables d’hôtes hebdomadaires et des cours de français adressés à tous.

Une communauté de vie commence alors à voir le jour, avec des objectifs communs. Ce sont les prémices de Communa. Alan prend goût à l’aventure. “Dès qu’il faut faire des travaux, du bricolage ou même un peu d’électricité, je donne de mon temps.

Alan appartient à ce que Daniel appelle “la tribu” de Communa. “Nous pouvons compter sur un grand groupe de volontaires. Il y a toujours quelqu’un pour venir donner un coup de main. Au fil du temps, nous avons aussi constitué un carnet d’adresses bien utiles. En avril, un électricien est venu refaire tout le réseau électrique de La Serre pour un petit prix.

L'ouverture de La Serre

Mercredi 27 juillet, tout est enfin prêt, en temps et en heure. Le soir, dans le hangar de La Serre, un grand repas, cuisiné à partir d’invendus alimentaires, rassemble tous les porteurs de projet qui feront vivre les lieux.

Au bar, Louis D’Hondt explique qu’il a créé La Jacqueline, un collectif qui construit et apprend à construire des “sound systems” pour faire bouger la capitale en musique. Devant un grand plat de légumes, Rabia, un sans-papier, évoque son combat pour faire valoir ses droits et lever les frontières.

Un grand repas, cuisiné à partir d’invendus alimentaires, rassemble tous les porteurs de projet qui feront vivre les lieux.

Enfin, Simon, 27 ans, raconte qu’après avoir travaillé un an et demi dans les affaires européennes, il a finalement décidé de faire quelque chose de ses mains. Il a donc lancé Fruitopia, une petite entreprise qui concocte des confitures à partir de produits récupérés dans les marchés. Le coût de l’un de ses pots revient à 2,5 euros. Mais, selon le principe du prix libre et conscient, c’est au client de décider le prix qu'il est prêt à mettre pour acquérir le produit en question.

“Le fait que Communa met un tel lieu à disposition de différents projets, cela permet de se lancer à moindre frais, de créer un réseau et cela dope bien sûr notre motivation."

Simon, 27 ans, fondateur de Fruitopia.

Croissance organique

"Ici, il y a énormément de monde motivé pour trouver des solutions aux problèmes, notamment le gaspillage alimentaire”, poursuit le jeune entrepeneur.

Ainsi, la démarche de Communa continue de faire des émules, et grandit de manière organique. A l’heure actuelle, l’association coordonne l’occupation temporaire de pas moins de neuf lieux, répartis sur quatre communes à Bruxelles, abritant chaque fois autant de projets, divers et variés.

Dans une maison du boulevard Guillaume Van Haelen, à Forest, par exemple, une exposition intitulée “C’est pas l’hôtel 5 étoiles ici!”, présentée par Florence Detienne et Sarah Verlaine, détricotaient, au début du mois d’août, les clichés sur les habitants de la rue, en montrant leurs visages et en relatant leurs histoires.

“C’est pas l’hôtel 5 étoiles ici !” détricote les clichés sur les habitants de la rue.

Selon Daniel, on peut parler d’écosystème. De fait, chaque occupation et chaque projet se répondent jusqu’à créer une communauté de vie dans des milieux ambiants alternatifs à la société de consommation actuelle.

Reste qu’il faut pérenniser l’entreprise. Daniel, Dimitri et quatre autres jeunes, parmi les plus actifs de l’association, tentent désormais de professionnaliser leur structure. “Nous aimerions créer un modèle économique en accord avec nos valeurs, explique Daniel. Nous ne voulons pas dépendre uniquement d’investissements extérieurs ou de dons. En échange de la mise à disposition de logements et d’espaces de travail, nous demandons aux occupants et aux porteurs de projets de contribuer au dynamisme de l'association, mais aussi de la soutenir financièrement, selon le principe du prix libre et conscient. La relation est vraiment différente de celle envisagée dans un bail classique. Enfin, nous cherchons à multiplier les rentrées. Si la Région et la collectivité profitent du fruit de notre travail, ce serait juste qu’elles puissent également nous rétribuer.

Daniel est ses complices espèrent dégager leurs premiers salaires d’ici quelques mois.

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Vidéos:
Johanna Pierre

Photos:
Christophe Bortels

"On rejoint une grande réflexion urbaine"

Ursula Adelsdorfer, cheffe de projet à la commune d'Ixelles (Rénovation Urbaine), travaille en collaboration avec l’ASBL Communa. Elle nous raconte comment cela se passe.

Comment avez-vous commencé à travailler avec Communa ?
Dans le cadre du contrat de quartier durable Maelbeek (un programme de revitalisation urbaine financé par la Région bruxelloise), nous avions l’opportunité d’organiser une occupation temporaire dans le local de La Serre. Or l’ASBL Communa avait justement introduit une demande auprès de nos services pour occuper des espaces délaissés et éventuellement bénéficier des subventions. Avec Communa, cela a tout de suite “matché”.

Aujourd’hui, comment se passe votre collaboration ?
Il y a une convention, un contrat entre eux et nous. Avec des devoirs et des obligations. Nous mettons à leur disposition un local. Nous les avons aussi soutenus financièrement pour faire une partie des travaux. Dans la rue Gray, il manquait de structures de proximité, il y avait trop peu de contact avec les citoyens. Je suis vraiment agréablement surprise. Je trouve que les membres de Communa ont concrétisé quelque chose assez vite, voire vraiment très vite. Avec un impact direct sur le quartier. Ce qui est très intéressant dans ce projet, c'est qu’il est ancré dans un local intermédiaire, entre la rue et l'espace urbain. Et donc ce n'est pas vraiment un local institutionnalisé. On rejoint là une grande réflexion urbaine, qui concerne les tiers lieux et les communs.

Vous voulez dire qu’à La Serre, la porte est toujours grande ouverte ?
Oui. Je pense que les passant et les habitants du quartier ont beaucoup plus de facilité à rentrer dans un espace comme celui-ci. A ce titre, cette expérience va au-delà de la simple occupation. Il y a vraiment une interaction énorme avec l'espace urbain. Et le plus impressionnant, c'est au niveau de la mobilité. Toutes les voitures freinent au niveau du passage piéton pour regarder ce qui se passe à l’intérieur du hangar. On pourrait mettre tous les casses vitesses que l’on voudrait, cela resterait moins efficace que cette porte grande ouverte.