Des funérailles qui prolongent le cycle de la vie

Loin d'être arc-boutée au protocole, la fondatrice de "Croque-Madame" pose un regard optimiste sur la mort.
Elle apporte aux funérailles une dose de créativité.
Notamment la dimension écologique, au cœur de sa pratique.

Reportage 
Valentine Van Vyve

« On ne dit au revoir qu'une seule fois. Autant le faire bien », entame Cléo Duponcheel. Et le faire bien, pour cette jeune croque-morts bruxelloise, c’est pouvoir le faire en adéquation avec les besoins exprimés par les proches, dans le respect des souhaits du défunt.

Ce matin pluvieux là, c’est ce qu’elle s’attache à faire, alors qu’elle procède à la mise en bière d’une dame âgée. Avec délicatesse, elle déplace le corps dans le cercueil. Avec minutie, elle pose la croix au centre du couvercle. Avec attention, elle referme ce dernier avant d’emmener la défunte pour son dernier voyage. « Ils ne seront pas nombreux lors de la cérémonie », confie-t-elle. C’est elle qui l’animera. Vêtue d’un tailleur bleu et d’un foulard serré autour du cou, elle affiche une certaine sobriété. Mais pas la mine des mauvais jours.

"On ne rigole pas avec la mort"

Loin d’être arc-boutée au protocole, la fondatrice de « Croque-Madame » a décidé de poser un regard optimiste sur la mort, inspirée par ce qui se fait au Mexique, où les funérailles sont un moment de fête unissant autour du défunt plusieurs générations. « Elle fait partie du cycle de la vie et n’en est pas son contraire. Une fois qu’on en prend conscience, on profite d’autant plus du chemin qui nous amène à ce fait inéluctable… et qui rend les humains tellement égaux. »

« On ne rigole pas avec la mort », a-t-elle souvent entendu. « Justement, c’est un moment auquel il faut pouvoir apporter un peu de légèreté et d’humour, estime-t-elle. Cela aide aussi les familles, les aide à supporter ».

Des familles à qui elle consacre le temps nécessaire afin de « connaître mieux le défunt et de cerner les souhaits de ses proches. La capacité d’écoute est essentielle. Cela permet d'anticiper certains souhaits dans un moment où tout se passe très vite et où les proches n'ont pas toujours la capacité de réfléchir ».
De la toilette funéraire à la cérémonie en passant par la tenue vestimentaire des porteurs, Cléo Duponcheel souhaite ouvrir les possibles et propose des alternatives à ce qui se fait traditionnellement. « En fait, je réponds à la demande », argumente-t-elle, ajoutant que « la tradition ne perdure que si elle a du sens ». A contrario, quand elle en est dépourvue, pourquoi la perpétuer ? « Je revendique le droit de transgresser les traditions. Pour qu'un moment difficile devienne un moment riche en émotions, tout cela avec la plus grande douceur et le plus grand respect », glisse-t-elle.

« Si on me demandait que les porteurs soient habillés en clowns, je le ferais. »
Cléo Duponcheel

« La limite, c'est l'hygiène, la relative décence et les réglementations légales. »

La vie d’après

Sa pratique, Cléo Duponcheel la souhaite durable : des funérailles éthiques et écologiques qui prennent en compte « la vie d’après ». Pour la famille du défunt, « il est important que les funérailles leur ressemblent et participent au deuil. Qu’elles remettent aussi les gens d’aplomb ». Pour le défunt, cette vie d’après se fait à la faveur d’un « retour à la terre » (lire ci-dessous).

« L’écologie, ce n’est pas une mode, c’est une nécessité », martèle Cléo Duponcheel. Et sa profession n’est pas épargnée par les efforts à fournir. Au-delà, puisque l’on parle de rites funéraires, c’est toute la société qui doit être en mesure de se poser la question des implications environnementales de ces derniers. Actuellement, il existe deux modes de sépulture reconnus : la crémation et l’inhumation. Or, « ils sont tous deux néfastes pour l’environnement », appuie l’entrepreneur de pompes funèbres. Le premier implique une dépense énergétique nécessaire pour brûler le corps. « Par ailleurs, les filtres des incinérateurs ne permettent pas d'absorber tous les composants nocifs pour l'environnement », souligne-t-elle.

Lors de l'inhumation, les corps sont enterrés à deux mètres de profondeur, soit trop profondément et dans des conditions telles que « les corps se décomposent lentement et de manière non naturelle », ce qui empêche les matières organiques de nourrir la terre.

« On entasse des corps et manque de place dans nos cimetières. Ce n’est pas tenable. »
Cléo Duponcheel

Et de pointer encore au rang des dysfonctionnements les monuments funéraires : « les caveaux en zinc empêchent la décomposition, les pierres tombales sont faites en granit venant souvent d'Inde ou de Chine...».

Une solution existe, pourtant, dont « l’impact écologique serait important » : l’humusation. Un mode de sépulture qui offrirait le double avantage d’être écologique et de donner du sens à la mort puisque le corps, transformé en humus, permettrait de régénérer des sols abîmés. « La boucle est ainsi bouclée, le cycle de la vie est respecté », commente Cléo Duponcheel.

L'humusation, une solution écologique qui fait débat

« La nature fait tellement bien les choses, laissons-la faire », déclare Cléo Duponcheel. La méthode qu'elle préconise est celle de l’humusation, un « processus contrôlé de transformation des corps en humus sain et fertile », résume Francis Busigny, fondateur de la fondation METAMORPHOSE, qui vise à modifier les législations en vigueur en faveur de l’Humusation.

Concrètement, le corps, enveloppé dans un linceul, des vêtements en coton, chanvre, lin, est enseveli par des humusateurs agréés et formés dans 3m3 de broyat de copeaux de bois. Ceux-ci ont une double utilité : Ils créent « les conditions pour que les micro-organismes tapis dans les quelques premiers centimètres du sol fassent ce qu’ils font depuis que le monde est monde, notamment dans les forêts pour recycler en permanence ce qui tombe sur le sol (feuilles, branches...) », précise-t-il. L’accumulation importante de matière organique fait monter la température et tue ainsi les germes pathogènes, « éliminant de ce fait les risques d’insalubrité publique ». Par ailleurs, ils empêchent les odeurs de décomposition qui attireraient les charognards.

« Aucun processus humain ne parvient à faire ce que la nature fait naturellement : découper toutes les chaînes moléculaires en morceaux de telle sorte que les antibiotiques, les perturbateurs endocriniens,… seront rendus inoffensifs et n’iront pas dans les sols et les nappes phréatiques mais garantiront un recyclage harmonieux », explique Francis Busigny. Il suffit de 12 mois pour que le corps se métamorphose en terreau.

Un mètre cube et demi- c'est la quantité de compost que produit un corps au terme du processus d'humusation.

Que faire de celui-ci ensuite ? « Puisque l’on entoure la dépouille de copeaux, on se retrouve, au bout du processus, avec 1,5m3 de super-compost », poursuit-il. Quinze litres, soit 1 %, sont donnés à la famille afin qu’elle puisse faire pousser un arbre et s’y recueillir ; 99 % de la matière pourrait être utilisée pour planter une centaine d’arbres qui permettront de régénérer les sols les plus abîmés, notamment en bordure de désert. « Après la mort, le corps permet de régénérer les sols malmenés et a un impact sur le dérèglement climatique grâce aux arbres plantés », s’enthousiasme le spécialiste en compostage. En poussant la logique plus loin, il argumente que les économies réalisées grâce à l’humusation (cercueil réutilisable, entretien plus léger, plus de soin de thanatopraxie qui empêchent la décomposition, une stèle à la place qu’une pierre tombale) permettraient de planter jusqu’à 10 000 arbres par défunt.

100 - Le terreau créé par l'humusation d'un corps permettrait de planter une centaine d'arbres.

En plus des atouts écologiques avancés, l’humusation donne du sens : elle prolonge le cycle de la vie. « On rend à la terre ce qu’elle a donné. Cela remet de l'humilité, l'homme fait partie de la nature, n'est pas supérieur à elle, le met sur un pied d'égalité avec le reste du vivant », commente Cléo Duponcheel.

Coup d'arrêt en Région Wallonne

Ce qui coince ? Actuellement, deux modes de sépulture sont reconnus par la loi : l’inhumation et la crémation. Si, jusqu'à la semaine dernière, le législateur n’était pas sourd à l’alternative proposée par l’humusation, la Région wallonne a finalement mis à coup d'arrêt à la pratique. Une étude de l’UCLouvain commandée lors de la législature précédente conclut de l’inefficacité du processus, les dépouilles ne se décomposant pas dans les délais prescrits, ni de manière adéquate en termes de salubrité. Selon le ministre régional des Pouvoirs locaux, Christophe Collignon, « la fiabilité du procédé était le préalable à tout processus législatif. L’échec des expérimentations marque aujourd’hui la fin de celui-ci. D’autres pistes, basées sur des techniques traditionnelles éco-responsables, existent et sont à l’étude. Un groupe de travail régional et un autre interrégional planchent d’ores et déjà sur la question. J’attends leurs conclusions avant d’envisager de proposer la légalisation de tout nouveau procédé »,a-t-il notifié à nos confrères de Sudinfo.

« La région bruxelloise cite l’humusation dans son ordonnance du 9 novembre 2018 », se réjouit par contre Francis Busigny. Pour la légaliser, il attend des chiffres issus de projets pilotes. A voir s'ils conforteront ou non l’atout environnemental d’un tel mode de sépulture...

Un Centre pilote pour l’humusation, initiative citoyenne de spécialistes du compostage, a d'ores et déjà été mis en place et proposera d’ici peu des recommandation pour la mise en place des conditions idéales de test sur des cadavres humains. « On peut bien donner son corps à la science, pourquoi pas à l’avancée dans le processus d’humusation ? »

Le diable est dans les détails

Outre ce nouveau mode de sépulture, « l’écologie se trouve dans les détails », pense-t-elle. Depuis plusieurs années, elle s’attache donc à revoir sans cesse ses habitudes. Cela commence par le papier utilisé : « Il est compostable, recyclé ou recyclable, du carton alvéolé. Mes cartes de visite sont ensemencées », énumère celle qui tend vers le zéro déchet : gant de toilette, rasseoir, linguettes, savon sans emballage, pain de rasage, capiton en Cotton bio et local... « Je travaille avec une styliste à une blouse pour le défunt qui permettrait une meilleure dégradation », ajoute-t-elle.
Côté ustensiles, elle privilégie le métal - « ils peuvent tenir toute une carrière » - plutôt que le plastique. Les fleurs, cultivées à Anderlecht, sont bio et de saison. Quant aux cercueils, exit les bois en aggloméré remplis de colle, « on veille à ne pas utiliser non plus le bois d’arbres millénaires. » Des bois par ailleurs non vernis et locaux. « Ce cercueil-ci, c’est du peuplier », précise-t-elle au moment de refermer le cercueil de la vieille dame.

Elle a beau faire des efforts, « des funérailles 100 % écologiques, ce n’est actuellement pas possible », prévient Cléo Duponcheel. Le temps court implique de se déplacer rapidement et, bien souvent, en voiture, certains produits n’ont pas encore d’alternative, le matériel de protection (masque et gants) est jetable, les soins de thanatopraxie nécessitent l’usage de produits toxiques… « Le chemin est encore long », admet-elle.

Enfin, pour remplir ses exigences éthiques, « Croque-Madame » favorise les collaborations locales avec des petites structures. Une manière, là encore, de mettre l’humain au centre de ses préoccupations.

Photo : Didier Bauweraerts
Vidéos : Valentine Van Vyve