Blindcode

Une autre vision du codage

Permis de coder

Coder, créer des pages web, des systèmes d’utilisation, des environnements virtuels… Coder est essentiel dans nos sociétés. D’ailleurs, c’est une compétence professionnelle très recherchée. Beaucoup d’employeurs se plaignent de ne pas trouver de personnes sachant coder. La main-d’œuvre s’arrache. Parfois avec des salaires élevés. Pourtant, coder, ça peut sembler complexe. Ça renvoie, dans l’imaginaire, à des suites de lettres, de balises, de chiffres. Un casse-tête en apparence. Mais si coder n’est pas “simple” de prime abord, ce n’est pas impossible.

C’est une logique à avoir. Une fois qu’on est plongés dedans, c’est passionnant”, nous dit Sophie, qui apprend à coder dans les locaux de BeCentral à Bruxelles, en ce début d'automne.
Sophie l’avoue, c’est un univers qu'elle imaginait très masculin. “On a l’impression que l’informatique c’est pour les hommes. Et au final ce n’est pas compliqué, c’est de la logique, de la réflexion. Je suis vraiment contente et on apprend plein de choses ici. On fait du HTML, du CSS, du Javascript. C’est gai car on est dans du concret”, nous lâche-t-elle le sourire aux lèvres.

Mais la particularité de Sophie, c'est qu'elle est malvoyante. Un obstacle supplémentaire dans une pratique qui nécessite d’avoir “l’œil” partout. De voir où il manque un caractère. Une balise. Un point. “C’est beaucoup de travail mais tout le monde peut y avoir accès. On se corrige, on s’entraide, c’est une chouette façon d’apprendre”, dit-elle fièrement.
Si Sophie apprend à coder aujourd’hui, c’est aussi grâce à l’association EQLA, qui accompagne les personnes aveugles ou malvoyantes avec son cursus “Blindcode”, une formation pour devenir développeur web ou consultant en accessibilité. Avec un double objectif : le premier de favoriser l’intégration de personnes malvoyantes dans la vie active. Le deuxième de sensibiliser les autorités publiques et la société à ces problématiques.

Comment les personnes malvoyantes peuvent-elles, par exemple, être autonomes sur les sites publics, pour les transports en commun, alors que souvent, ceux-ci ne sont pas adaptés et ne sont pas accessibles ?
“On n’imagine pas combien c’est compliqué de recharger une carte de bus en ligne pour une personne malvoyante… On n’en a pas conscience. Pour quelqu’un qui est en situation de handicap, ça devient une torture, c’est à la limite oppressant. Et l’une des sources de difficultés que l’on a identifiées, c’est que les webdesigners, les codeurs, n’ont pas été formés aux questions d’accessibilité numérique. À partir de ce moment-là, forcément, il y a des sites publics qui sont totalement à la traîne”, avance d’entrée de jeu Rafal Naczyk, l’attaché de presse d’EQLA.

Obligation d’accessibilité du secteur public

La bonne nouvelle, c’est que depuis ce 23 septembre, via la mise en application d’une directive européenne de 2016, tous les sites web du secteur public doivent être accessibles aux personnes porteuses de handicap, comme les malvoyants. Selon EQLA, qui se base sur des chiffres de Statbel, 15 % des personnes seraient en situation de handicap (physique, mental, visuel) en Belgique et cela pourrait monter à 30 % au niveau européen pour l’accessibilité web (si on prend en compte les personnes temporairement handicapées et les personnes âgées peu habituées au web).
Pourtant, les sites sont loin d’être accessibles. Et les aspects contraignants ne sont pas très clairs en cas de non-respect de la directive. “Cela signifie qu’il pourrait y avoir des class actions qui pourraient se former par exemple”, détaille tout de même Rafal Naczyk, qui ajoute que les sites se coupent potentiellement de ces 30 % d’internautes.
Reste à voir comment les sites de services publics comme la Stib, le Tec, De Lijn, la SNCB ou même tous les sites communaux vont se mettre à jour dans ce domaine. Un test fait devant nos yeux prouve bien que c’est loin d’être gagné.
Une personne malvoyante, généralement, “lit” un site web via une transcription audio de ce qui s’affiche à l’écran. Mais avec les pop-ups, les publicités indésirables, les cases à cocher, les tableaux non libellés, les chiffres… On arrive vite à un brouhaha audio incompréhensible.

Aller plus loin

EQLA forme déjà des personnes malvoyantes depuis des années aux outils informatiques. Mais depuis le mois de mars de cette année, l’association a décidé de proposer une formation de codage de dix mois avec un stage en entreprise à la fin.
On est soutenu par le Digital Belgium Skills Fund, qui favorise l’inclusion numérique, ainsi que d’autres partenaires, comme Bruxelles Formation et évidemment BeCentral, qui nous permet d’avoir des locaux dans un espace de coworking numérique. Ça nous permet d’accéder à tout un écosystème. Avec la crise du Covid-19, on a dû faire pas mal de formation à distance au début mais ça s’est passé mieux qu’on ne pensait”, détaille l’initiatrice du projet, Harielle Deheuy
On a déjà des partenariats avec Apple Retail France mais on cherche encore des partenariats avec des entreprises en Belgique pour des stages en fin de formation”, ajoute-t-elle en précisant que les personnes qui suivent la formation ont leur propre matériel.

“On tourne autour du pot”

Pour une personne malvoyante, trouver un emploi n’est pas aisé. Pour un travail de développeur web, on peut facilement imaginer que ce n’est pas plus facile. Mais EQLA ne lâche pas le morceau.
Dans la formation, on a des personnes aux backgrounds différents. Ça va de jeunes qui sortent de l’école à des adultes en reconversion professionnelle, à cause d’apparition de déficience visuelle par exemple, donc c’est une bonne option”, tient à mentionner Harielle Deheuy. “Il faut savoir qu’une entreprise sur quatre qui emploie des spécialistes IT et près de 8 % d’entre elles n’arrivent pas à pourvoir tous les postes. C’est aussi l’occasion d’améliorer la diversité dans l’entreprise pour les employeurs, ce qui est toujours bénéfique au niveau global et au niveau de leur RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Ça permet également d’obtenir des labels de diversité de la Région”, avance-t-elle encore.
Et à partir du moment où on a des experts IT qui sont sensibilisés, ils seront capables de faire des sites plus accessibles. Ce qu’on veut faire passer comme message, c’est que, finalement, les entreprises qui cherchent des profils IT ont tout à gagner à embaucher des déficients visuels, qui seront sensibilisés car ils vivent la situation et qui, en plus, auront été formés de manière ad hoc. C’est gagnant-gagnant. On bataille depuis des années pour cela”, ajoute Rafal Naczyk.
“Le problème en Belgique, c’est qu’il y a plusieurs labels, mais pas suffisamment aboutis. On tourne autour du pot. On a le label AnySurfer, mais il pourrait être plus abouti, car certains sites qui ont le label posent encore des difficultés. Il faut quelque chose de contraignant, pas uniquement de la bonne volonté des agences web”, conclut Rafal Naczyk.