“Résilience,
c’est mon mot préféré”

Atteinte d’une maladie rare, Lorence Lefebvre a de grosses difficultés à se mouvoir.
En août, elle effectuera une randonnée de 75 km dans les forêts canadiennes, en autonomie complète en s’aidant d’un exosquelette.
Un défi conçu comme un message d’espoir aux personnes en souffrance.

Reportage 
Laurence Dardenne

Perchée sur les hauteurs de Jambes, avec une vue imprenable sur la citadelle de Namur, la maison de Lorence Lefebvre est certes charmante. En revanche, pour y accéder, le chemin escarpé, pentu et peu sûr, n’est pas des plus aisés. C’est la première réflexion que l’on se fait inévitablement en le gravissant pour aller rencontrer la jeune femme, atteinte du Syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique rare et orpheline, qui touche environ 500 personnes en Belgique, et qui la handicape lourdement dans sa mobilité.

Un large sourire aux lèvres, elle nous ouvre la porte de ce lieu où elle passe le plus clair de son temps. Bien trop à son goût car en effet, l’envie de bouger, découvrir, partager, vivre tout simplement, l’anime plus que beaucoup d’entre nous. La poussant à se dépasser sans cesse, à relever des défis aussi costauds et improbables qu’une grande randonnée de 75 km dans les forêts canadiennes, en autonomie complète et équipée d’un exosquelette. Son grand projet de cette année, alors qu’en 2019, Lorence Levebvre s’était rendue un mois en Indonésie dans le cadre d’un projet écoresponsable, sous tente, sans eau ni électricité.

Le verdict tombe en 2012

Si, avec le recul, elle se souvient des multiples entorses, tendinites, luxations subies dans son enfance, les premiers signes véritablement tangibles de sa maladie sont apparus en 2012, lorsqu’elle se réveille un matin avec une douleur au niveau de l’épaule gauche. On lui diagnostique une tendinite. “Mais dans les deux mois qui ont suivi, cela a été aussi l’épaule droite, le coude gauche, le coude droit, le poignet gauche, le poignet droit… Cela commençait à faire beaucoup de tendinites”. Elle s’est alors lancée dans la valse des spécialistes, tandis que les douleurs s’étendaient à tous ses membres.

Je me sens comme un meuble Ikea qui a déjà subi quatre déménagements ; comme si plus rien ne tient en place."
Lorence Lefebvre résume ses problèmes de santé avec humour.

Le diagnostic sera finalement posé en 2018, au Centre des maladies rares de l’Hôpital Erasme : Syndrome d’Ehlers-Danlos.“Mon corps produit du mauvais tissu conjonctif, lequel est présent dans tout l’organisme. C’est du tissu de soutien ; tout ce qui est articulaire, ligamenteux, musculaire, au niveau de la peau… Toutes mes articulations sont instables. Quand je suis assise, par exemple, mes hanches s’affaissent ; quand je pose mon pied par terre, pareil pour ma cheville ; quand j’utilise mes mains, mes articulations ne restent pas dans leur prolongement normal… Tout est en état un peu inflammatoire en permanence. C’est douloureux 24 heures sur 24. Les blessures sont fréquentes.”

“Un zèbre en liberté” : relevez-vous, battez-vous, vivez !

Ne peut-on pas faire des difficultés que nous rencontrons tous quelque chose qui nous pousse ? Qui nous porte ? C’est de cette réflexion qu’est née, en septembre dernier, l’association “Un zèbre en liberté”.

Suite à l’arrêt de ma vie professionnelle et à ma mise en invalidité il y a 2 ans j’ai choisi de réinventer ma vie et de véhiculer un message : invalide mais vivante, explique Lorence Lefebvre. J’ai ainsi créé cette ASBL en 2019 – “Un zèbre en liberté” – qui a pour but de démontrer la capacité de chacun à dépasser sa propre situation ; cette capacité humaine à transcender une difficulté pour la transformer en attitude constructive, la possibilité de positiver, de surmonter l’adversité, de mobiliser la moindre parcelle de possibilité.”

L’association a un double projet. D’une part, il s’agit de dire à chacun “Relevez-vous, battez-vous, vivez !”. Et, d’autre part, le faire d’une façon inattendue “en relevant des défis que ma situation personnelle devrait rendre impossibles”, explique la Namuroise, dont les yeux pétillent à l’idée de réaliser son prochain grand projet. En août 2020, elle se rendra au Canada  pour y effectuer une grande randonnée de 75 km en forêt, très technique (l’une des plus difficile au monde), en autonomie complète et équipée de nombreuses orthèses. Après l’Indonésie, ce sera donc le deuxième projet de l’ASBL. Pour pouvoir réaliser ce défi, Lorence Lefebvre espère trouver des sponsors intéressés de soutenir son initiative.

À la recherche du plus intense

Pourquoi ce besoin d’aller si loin dans ses derniers retranchements ? “C’est vrai, les choses que je fais, je ne suis pas censée les faire. Je vais justement chercher les choses qui, de prime abord, ne sont pas pour moi. Si je veux véhiculer un message de volonté, ce n’est pas en allant marcher une heure et demie que je vais démontrer quoi que ce soit. Non, je vais chercher le plus intense, le plus difficile, là où je sais que je vais avoir des moments extrêmement pénibles parce que c’est justement dans ces moments-là que l’on trouve quelque chose en soi. Tant qu’on est dans un confort même inconfortable, on ne va pas trouver cette étincelle qui reste tout au fond de nous et que l’on peut utiliser justement quand on est au pire moment, quand on n’en peut plus, quand on est à bout, physiquement, moralement, quand on a juste envie de s’asseoir, de pleurer et de renoncer. Le moment où l’on se relève et où l’on met un pied devant l’autre, pour moi, c’est ce moment-là qui compte.

Quant à ses prochains projets, “à partir de l’année prochaine, j’aimerais constituer des groupes pour partir avec des personnes qui ont envie aussi d’aller chercher cette fameuse étincelle en eux.

Après la rando au Canada, Lorence rêve déjà de la Guyane française, une mission de survie pendant un mois en Amazonie. “J’aimerais pouvoir constituer un groupe de dix personnes maximum. Le but n’est évidemment pas de faire venir des sportifs qui viennent s’éclater. Mon but est d’être dans une recherche de soi-même, de cette étincelle que l’on a au fond de soi et que, parfois, on oublie. Un problème physique, un deuil, un licenciement… les difficultés de la vie, je les mets toutes un peu au même niveau. Tout ce qui nous fait souffrir, tout ce qui nous blesse, tout ce qui nous rend fragile est une raison d’aller chercher en soi la force dont on a besoin pour la traverser.”

Envie de soutenir les projets de l’association “Un zèbre en liberté” ? Plus d’infos : www. un-zebre-en-liberte.org ou www.facebook.com/un.zebre.en.liberté
Contact : contact@un-zebre-en-liberte.org

Une souffrance physique et morale

Une fois le diagnostic enfin posé, Lorence se tourne vers les groupes d’entraide. “Je me suis rendu compte que les personnes souffraient physiquement, mais aussi et peut-être surtout moralement. Tout ce qui complique l’existence, qui fait peur pour l’avenir, c’est quelque chose qui est compliqué à gérer. Le côté physique, c’est pénible. Mais c’est le côté moral qui est le plus difficile.J’ai eu envie de dire : allez, un peu d’esprit positif, on se bat, on relève le menton. Oui, c’est nul ; oui, c’est dur ; oui, c’est chiant ; oui, c’est pas juste… Mais qu’est-ce qu’on fait ? On s’assied et on pleure ? Ou on prend ce qu’on peut pour avancer ?”.

Objectif : véhiculer un message positif

C’est alors qu’est venue l’idée de créer son association. “Mon but premier était de véhiculer un message positif, qui n’est pas destiné qu’aux personnes ayant un problème physique. Des difficultés, on en a tous. Ce qui nous pèse, ce qui nous rend le quotidien difficile… Ne peut-on pas faire de ces difficultés quelque chose qui nous pousse ? Qui nous porte ?”. S’il ne faut pas se cacher que la vie reste un combat quotidien pour cette maman d’un grand adolescent, lui aussi malheureusement atteint de cette maladie rare, son choix et sa détermination à la vivre au mieux forcent l’admiration.

“Quand je mets le premier pied par terre, j’ai déjà mal. Je ne marche pas avec mes jambes, je marche avec ma tête en permanence."
Lorence Lefebvre

"Il faut couper son esprit de son corps. Parce que, si l’on écoute son corps, on s’assied, on pleure et on n’en peut plus. Tout se fait avec la tête.

C'est avec une force mentale visiblement hors norme que Lorence Lefebvre arrive au bout de ses défis. Comme son expédition en Indonésie. “J’ai pris un plaisir énorme à vivre ce projet dans ces grandes difficultés. Quand on fait un trek, on se sent vivant, sorti de soi-même, transcendé. Complètement. C’était transcendant. Il faut entraîner son esprit à se couper de ses douleurs, à voir le beau, le bon, ce qui nous nourrit, ce qui nous touche, ce qui nous apporte… Et laisser de côté ce qui nous détruit, ce qui nous fait mal.” Résilience ? “C’est mon mot préféré. Tout ce qui nous fait souffrir, tout ce qui nous blesse, tout ce qui nous rend fragile est une raison d’aller chercher en soi la force dont on a besoin pour la traverser.”

Photos : Jean-Christophe Guillaume
Vidéos : Semra Dessovali