Atelier Groot Eiland,
l'île au travai
l

Ambassadeur du parcours d’emploi et de la production durable à Bruxelles depuis 34 ans.
L’Atelier Groot Eiland est lauréat du Prix de l’économie sociale, pour sa capacité à évoluer.
Un projet en perpétuelle évolution.

Reportage 
Anne Lebessi

Tom Dedeurwaerder confesse avoir un faible pour trois choses dans la vie. Les matchs du Club Bruges, les gens “animés par la passion de ce qu’ils font” et son propre travail en tant que directeur de l’ASBL Atelier Groot Eiland (GE).
Hors du stade de foot, c’est dans les ateliers et cuisines de son association - située Quai du Hainaut à Bruxelles - que M. Dedeurwaerder fréquente le plus de “gens motivés”, selon ses propres mots.
Qu’il s’agisse de chômeurs de longue durée, de personnes sans diplôme, touchées par la précarité ou encore atteintes de décalage psychique, toutes et tous considèrent leur parcours d’emploi et d’intégration chez Groot Eiland comme une chance leur permettant de retrouver de la fierté via une activité, voire un emploi sur le marché du travail régulier.

“Être motivé est la première condition pour atterrir chez nous.”
Tom Dedeurwaerder

Tom Dedeurwaerder inclut également dans son calcul les responsables de ses différents départements. Pour lui, l’Atelier GE “est une entreprise comme une autre, avec des employés qu’il faut valoriser, des clients, une rentabilité” à tenir.

Dans les cuisines du Bel Mundo, une dizaine de personnes s’affairent sans hâte tandis que la pression retombe, après la fin du service du midi.

Dans la salle du restaurant social, deux “tables” finissent leur café et, dans quelques instants, passeront à la caisse. Les clients paieront une vingtaine d’euros chacun pour le plat du jour (un burger de poulet façon grand-mère accompagné de ses légumes au gratin), une limonade ou une bière locales, une mousse au chocolat vegan et leur café.

On fait payer le prix du marché. Ce n’est pas parce qu’on fait dans le social que l’on doit brader les prix.”
Tom Dedeurwaerder

Pour le directeur, qui pense “durable”, sa bonne gestion est la clef du succès de son entreprise. Les légumes utilisés pour le gratin viennent du potager attenant aux bureaux. “On cultive des high-value crops, de manière à faire 5 ou 6 récoltes par an. En deux mois, c’est mûr .” Ce sont beaucoup de salades (des feuilles de moutarde, de la roquette, des bettes, du persil, des radis, des bébés carottes), dont GE revend une partie de la production dans ses deux magasins bio ou à des restaurants bruxellois.

Pour le reste, le restaurant participe d’une dynamique zéro déchet. En effet, grâce à un partenariat avec le supermarché du coin, son responsable cuisine peut aller se servir quotidiennement dans les promos du jour.

Formation et accompagnement

Le personnel du restaurant est en formation de huit mois à un an et demi. “Faire une sauce béchamel ça s’apprend vite, illustre Tom Dedeurwaerder. Pareil pour les normes d’hygiène. Ce que les employeurs sur le marché nous demandent, c’est surtout : ‘Avez-vous quelqu’un sur qui je peux compter ?’”
Un passage à l’Atelier GE permet un redémarrage professionnel sur mesure. Pour ce faire, le personnel en formation cuisine ou menuiserie est suivi par un job coach (lire par ailleurs) et un assistant social. On lui apprend à “se vendre”, à faire une adresse mail pro, à être ponctuel, à recevoir les ordres d’une femme...
À l’instar de ce qui se fait au Forem ou chez Actiris ? Pas seulement : “Ici, chacun vient avec son sac à dos de problèmes. Quelqu’un chez nous avait par exemple un problème avec l’alcool. Il était super gentil mais plusieurs bouteilles vides avaient été retrouvées dans la chambre froide. Dans le privé, il aurait été jeté dehors. Ici, on va travailler là-dessus via le suivi d’un assistant social.”

De même pour une employée qui arrivait systématiquement en retard, car elle ratait tous les jours son tram après avoir déposé son enfant à l’école. Avoir son assistant social au boulot lui a permis de trouver avec lui une solution adaptée. Il lui a proposé de se former à la conduite à vélo et, depuis la fin de sa formation à l’Atelier GE, elle se rend à son nouveau travail à bicyclette.

Le personnel en formation est envoyé par différentes institutions ou associations, comme la prison de Nivelles, le Samu Social, le Centre de santé mentale Antonin Artaud, et une cinquantaine d’autres. Tous “ces gens doivent recevoir encore une chance”, commente M. Dedeurwaerder.

Après l’Atelier, sitôt engagé

Mardi matin, 10 h 30, Jelle, coach d’emploi et assistant social à l’Atelier Groot Eiland, pousse la porte de The Bank, un établissement horeca d’Ixelles. C’est avec un plaisir non dissimulé qu’il y retrouve Guy-Noël, sorti de cuisine pour l’accueillir.
Les deux jeunes hommes rayonnants se réclament des nouvelles. C’est la première fois qu’ils se voient en dehors du cadre de l’Atelier Groot Eiland. Jelle a accompagné Guy-Noël l’année dernière dans sa recherche d’emploi, pendant que ce dernier se formait comme cuisinier au restaurant de l’association, le Bel Mundo.

Du respect en cuisine

“Le parcours de Guy-Noël, c’est une de nos success stories, explique Jelle. C’est simple : il était ultra-motivé. Lors de sa formation en cuisine, il était du genre à arriver à 7 h 30, c’est-à-dire une heure avant le début des activités. Et il revient de loin... À l’époque, il logeait dans les locaux de la Croix-rouge, dans un dortoir. Il manquait souvent de sommeil et avait pas mal de route en bus à faire pour arriver jusque chez nous.”

Il se trouve que la motivation est une des conditions non négociables pour être formé à l’Atelier. Le directeur, Tom Dedeurwaerder, est formel sur ce point. Il est également nécessaire de parler le français ou le néerlandais, prérequis pour se comprendre derrière les fourneaux et en salle.

Se former à l’art culinaire était-il une évidence pour Guy-Noël ? “J’aime préparer et servir les autres”, acquiesce celui qui valorise la cohésion d’équipe avant tout. “Tant qu’il y a du respect en cuisine, ça se passe bien !” Sur les murs de l’Atelier Groot Eiland, à 4 km de là, la photo de Guy-Noël rejoindra probablement le Wall of Fame, de ceux qui ont trouvé un emploi stable à “l’extérieur”, nous explique Tom Dedeurwaerder.

Guy-Noël et Jelle racontent que le dernier jour de job coaching en groupe, après une session d’elevator pitch – cet exercice consistant à apprendre à convaincre un potentiel futur employeur le temps d’un trajet en ascenseur –, Guy-Noël a demandé à Jelle de l’aider à imprimer de suite une vingtaine de CV et à sélectionner sur une carte des établissements dans lesquels il pourrait postuler. Dans la foulée, il est parti en ville se présenter en personne, porte à porte… et a très vite été pris à l’essai à The Bank.

“Tout le monde apprend encore”

Au bout d’un mois, après un poste à la plonge et au “froid” (entrées et desserts), il est formé au “chaud” et obtient le Graal : un contrat à durée indéterminée. La cheffe, Maya, l’encourage à proposer des recettes. Et il la convainc – grâce à sa mousse au chocolat et au tahin – qu’elle ne s’est pas trompée !
Pour Emma, la jeune patronne de l’établissement, Guy-Noël a entièrement sa place en cuisine. “Le restaurant n’existe que depuis juillet 2019 et c’est aussi ma première expérience dans l’horeca. Ici, tout le monde est jeune et tout le monde apprend encore, je n’ai aucun souci avec ça.”
Elle semble confiante et déterminée, à l’instar de Guy-Noël. Une success story, disait Jelle.

Un nouveau champ à Bruxelles

En décembre 2019, l’ASBL a reçu le Prix de l’économie sociale, catégorie “entreprise senior” (elle existe depuis 1986), pour son “dynamisme et sa capacité à évoluer”. Après la menuiserie et l’horeca (“deux secteurs où à Bruxelles, il y a de l’offre et où des personnes, même peu éduquées, peuvent s’insérer à n’importe quel moment”), l’Atelier GE se lance dans l’agriculture urbaine à plus grande échelle. C’est une friche de 9000 mètres carrés à Jette sur laquelle Tom Dedeurwaerder et sa responsable en innovation et développement ont jeté leur dévolu. Ils y développent un CSA (community supported agriculture) où les agriculteurs de l’atelier côtoieront les gens du quartier. Ceux-ci pourront, selon les jours de bonne ou de mauvaise récolte venir faire la cueillette et repartir avec des légumes, moyennant une contribution annuelle. “Vu le nombre d’habitants à Bruxelles, et le fait qu’il n’y ait qu’un seul autre potager de ce type (à Boitsfort, La ferme du chant des cailles, NdlR), ce projet a tout à fait sa place.”

M. Dedeurwaerder le répète : il ne se lance jamais dans un nouveau projet sans être entouré de gens passionnés, ni si l’objet du développement omet les termes “durable”, “social”, “écologique” et “rentable”.

Photos : Anne Lebessi
Vidéo : Valentine Van Vyve